Ceux qui portent des habits magnifiques et qui vivent dans les délices, sont dans les palais des Rois. Luc VII, 25.
Ces paroles supposent
évidemment que le luxe et les plaisirs sont
l'apanage de ceux qui vivent près des Rois,
dans les grandes cités, et sans doute ils
paraissent leur convenir mieux qu'à
d'autres. Ils leur sont pourtant nuisibles à
eux-mêmes, parce qu'on ne vit guère
dans les délices sans que le coeur et
l'esprit ne s'appauvrissent, sans qu'on ne
s'éloigne de Dieu. Mais combien ce genre de
vie est plus funeste au cultivateur dont il
contrarie absolument la destination, au cultivateur
dont les revenus sont si
bornés, dont les dépenses par
conséquent doivent l'être aussi, qui
gagnant peu doit vivre de peu, qui placé
près de la nature doit ne connaître
que les besoins et les plaisirs qu'elle donne! Pour
lui le luxe est le plus grand ennemi du bonheur.
Heureux quand il conserve l'esprit de son
état, le goût de la retraite et de la
simplicité des moeurs, il devient, quand il
s'en éloigne, le plus misérable des
êtres.
C'est ce que je veux vous montrer aujourd'hui. Dieu
veuille mettre la persuasion sur mes lèvres
et la docilité dans vos coeurs!
Amen.
Que l'habitant des campagnes serait fortuné,
qu'il serait intéressant s'il savait remplir
sa destination et se contenter des jouissances que
le Créateur a préparées pour
lui dans un sommeil tranquille, une santé
robuste, une nourriture simple et frugale, dans les
tableaux variés et touchans de la nature,
dans le calme des passions, et la douce exemption
des inquiétudes et des
soucis!
Que j'aime à me représenter une
réunion de tels hommes! Leurs âmes
sont en rapport avec les objets qui les
environnent. Entrez dans leurs demeures; l'ordre et
la propreté les décorent: au premier
regard vous pensez y trouver la droiture, la
candeur, l'hospitalité; vous n'êtes
point trompés dans votre attente. Durant la
semaine ils se livrent à d'utiles travaux,
et ne sont point tentés de les quitter avant
la fin de la journée pour aller en des lieux
funestes à leur fortune, à leur
santé, satisfaire de honteuses passions. Ils
ne désirent pas un autre délassement
que celui qu'ils trouveront le soir au sein de leur
famille, autour de leurs
foyers.
Après avoir travaillé six jours sans
interruption, quelle douceur ensuite ils
goûtent à se reposer le
septième dans le sein de leur Dieu! C'est
pour eux que cette grande et belle institution du
sabbat est vraiment bienfaisante; leur corps
en a besoin, leur âme
aussi bien que leur corps en ressent la salutaire
influence. Ils viennent humilier dans le sanctuaire
ce front qui porte l'honorable empreinte du travail
et de la chaleur. Le reste de la journée se
passe en famille et se partage en
récréations innocentes, en devoirs
religieux. On lit ensemble la parole de Dieu. On se
promène ensemble dans les champs qu'on a
cultivés. On admire ensemble le spectacle de
la nature.
Je me plais à considérer le chef de
chaque famille régnant dans sa demeure comme
un patriarche respecté; car, n'en doutez
pas, mes Frères, l'obéissance des
enfans tient essentiellement à cette
éducation mâle qui se perd avec la
simplicité des moeurs. Assis à sa
table au milieu des siens, il savoure avec eux des
alimens grossiers que l'appétit assaisonne.
Il ne connaît point pour ses en- fans les
inquiétudes de l'avenir; il ne dit pas,
comment pourvoirai-je à leur
établissement? Que deviendront-ils
quandje ne serai plus?
L'éducation qu'il leur a donnée
prévient toutes ces sollicitudes. Ses fils
intègres et laborieux ne manqueront jamais
du nécessaire: leur richesse est dans leurs
bras nerveux et dans l'habitude d'être
contens de peu de chose. Modestes et soigneuses,
ses filles n'ont pas besoin de porter de l'or dans
les familles où elles entreront: leur
goût pour la retraite, leur
simplicité, leur économie, leur
activité font une assez riche
dot.
Le temps s'écoule pour cette heureuse
famille dans un cercle de travaux et d'innocentes
récréations: régulière
et variée comme la nature, leur vie dans
chaque saison se compose de travaux et de plaisirs
différens. Ils gagnent peu, mais ils
dépensent moins encore, parce qu'ils ne
connaissent point les besoins de la mollesse et de
la sensualité. A la fin de chaque
année ils savent mettre en réserve
une petite somme pour payer les impôts, pour
voir aux cas fâcheux, aux
accidens, aux maladies, et
soulager leurs voisins
indigens.
Ce sont de tels hommes, mes Frères, qui
peuvent se voir renaître avec plaisir dans
des enfans nombreux: au bout de peu d'années
ce nombre n'est plus un fardeau, mais une richesse.
Ce sont de tels hommes qu'enrichissent les saisons
fertiles, parce qu'ils n'en consument pas les
produits en dépenses vaines. Ce sont de tels
hommes qui peuvent supporter les mauvaises
récoltes sans abattement: la
bénédiction du Seigneur repose sur
eux; ils goûtent le bonheur que donnent les
espérances de la piété, la
tranquillité du coeur, la pureté de
la vie, le sentiment de remplir la tâche que
le Seigneur nous impose et d'occuper dignement la
place où il nous a mis.
ici-bas.
Supposons, au contraire, que séduit par le
fol espoir d'ajouter à ses jouissances,
l'habitant des campagnes se laisse aller à
la tentation d'imiter les moeurs
des villes, que deviendra-t-il? Hélas! les
années les plus fertiles ne l'enrichiront
point; elles ne feront qu'alimenter chez lui
l'esprit du luxe et donner l'essor à ses
goûts dangereux. Les revers au contraire
seront terribles, accablans; ils le trouveront sans
ressource. Une éducation plus molle
énerve sa constitution; des maladies
inconnues ne tardent pas à se
développer, à se répandre; ce
ne sont plus des crises violentes mais de courte
durée, dont un fort tempérament
triomphait presque toujours; ce sont des maux qui
tiennent à un secret principe de
dépérissement, à des nerfs
affaiblis par le changement d'habitude, à
l'intempérie des saisons contre laquelle il
n'est plus endurci: il ne sent plus en lui cette
mâle vigueur qui le rendait capable de tout
supporter. Cependant ses besoins s'augmentent et se
multiplient, tandis que ses moyens sont toujours
les mêmes ou toujours plus réduits:
l'équilibre est rompu,
l'harmonie détruite entre
les revenus et la dépense; pour y
remédier, il consume sa vie et s'accable de
travaux.
La première conséquence d'une telle
situation c'est le dégoût de son
état dont la simplicité des moeurs
fait toute seule le charme. Il s'irrite qu'on le
juge heureux quand il se trouve à plaindre:
il se compare avec les hommes qui suivent une autre
vocation et leur porte envie. Bientôt
l'esprit d'intérêt prend possession de
son âme; l'or lui semble le premier des
biens; ses projets, ses pensées ont pour
unique but d'en acquérir; il se laisse
séduire par des entreprises
téméraires: il leur suffit de
présenter une chance de gain pour enflammer
son imagination; quelquefois même il
abandonne ses occupations accoutumées,
laisse à d'autres mains le soin de conduire
sa charrue pour se livrer à des
spéculations criminelles ou funestes, pour
entrer dans ces routes de la fortune semées
de précipices,
égalementpérilleuses
pour le repos et pour la probité.
Alors disparaissent par degrés la
loyauté, la candeur, la droiture,
l'humilité, toutes ces vertus antiques et
naïves qui faisaient son caractère et
lui méritaient le respect et l'affection: il
leur substitue l'orgueil qui cherche la louange et
s'applaudit lui-même: il leur substitue une
coupable finesse dans tout ce qui tient à
l'intérêt. Toutes les fois qu'il
traite avec ses frères, il s'étudie
à les surprendre; dès lors chaque
circonstance qui vous met dans le cas d'approfondir
ses procédés vous
révèle quelque secret honteux, et
plus il devient digne de blâme, moins il peut
le supporter.
A mesure que le coeur se corrompt, le jugement
s'obscurcit: mille fausses maximes, mille sophismes
abominables viennent soutenir, autoriser la
mauvaise foi. L'art de tromper n'est plus
qu'habileté; l'art de s'enrichir aux
dépens de ses semblables, une adresse
légitime: la conscience s'endort
d'autant plus aisément
que l'esprit de la Religion s'éteint, que sa
voix affaiblie ne rappelle plus l'homme à
lui-même.
Six jours ne suffisent plus pour travailler; on
dispute, on refuse au Créateur celui qu'il
s'est réservé; il est souvent
profané par des scandales odieux, presque
toujours absorbé par des travaux domestiques
qui retiennent loin du sanctuaire. La vanité
même fournit des excuses pour n'y point
venir: quelques-uns s'en dispensent sous
prétexte qu'ils ne sont pas assez bien
vêtus pour s'y présenter, comme si
l'on se rendait dans ces temples, non pour offrir
son hommage au Père des hommes, au
Maître de l'univers, pour s'humilier tous
ensemble à ses pieds, mais pour disputer la
parure et se donner en spectacle les uns aux
autres.
L'éducation religieuse des enfans se ressent
bientôt de cette même fatale influence:
rien ne la prépare plus; on l'abrège
autant qu'il est possible; le moindre embarras
suffit pour l'interrompre: cette
affaire, la première de toutes, est
subordonnée à toutes celles de la
vie; on n'envoie plus dans les écoles et
dans les temples ces malheureux enfans de la
charité qui ne sont confiés que sous
cette condition expresse; le désir sordide
d'en tirer le plus grand parti l'emportera sur un
engagement que l'honneur, l'humanité, la
Religion devait rendre si sacré. Le Seigneur
n'est plus invoqué dans l'intérieur
des maisons; on ne lit plus ensemble sa parole; son
idée même ne se réveille plus
que rarement dans les âmes tout
occupées des soins de la terre, toutes
possédées par le désir de ses
biens périssables. Alors aussi le
Tout-Puissant courroucé détourne ses
regards et retire sa bénédiction
d'une contrée où son nom n'est plus
craint, n'est plus imploré par la
généralité des
habitans.
A Dieu ne plaise, mes chers Frères, que ce
tableau nous convienne jamais dans tous ses traits!
A Dieu ne plaise que ce soit
jamais là notre histoire! Il est encore
parmi nous plusieurs familles respectables chez qui
la simplicité des moeurs nourrit la
probité et la Religion. Heureuses familles,
formées sur le modèle et les
préceptes de Jésus, où l'on
voit les enfans conserver la modestie, la
frugalité de leurs pères et ne
devenir plus riches que pour faire des
aumônes plus abondantes! Ceux même qui
se sont laissés séduire par l'esprit
du luxe, n'ont pas encore atteint le dernier
période de corruption qu'il
entraîne.
Néanmoins un oeil attentif, que dis- je?
l'oeil le moins attentif n'aperçoit-il pas
dans notre situation des symptômes alarmans?
N'est-ce pas une vérité reconnue et
tous les jours répétée, que
l'éducation se relâche de plus en
plus, que les moeurs s'amollissent, que l'on ne vit
plus comme l'on vivait, que l'on n'est plus ce que
l'on était jadis?
Hélas! ces campagnes long-temps
favorisées du Ciel ne conservent plus que le
renom de leur ancienne
prospérité. Je vois les plus sages,
les plus âgés d'entre vous, ceux qui
connurent la génération
précédente, je les vois gémir
sur le présent, je les entends regretter les
anciens jours; je les entends dire:
«On était heureux «alors; on
n'avait pas besoin de travailler le dimanche; on
n'avait point d'inquiétude; avec une
nourriture plus simple et sous des habits plus
grossiers le coeur était plus
content.»
En écoutant ces discours, quelles
pensez-vous que soient les sensations de votre
Pasteur, qui depuis si long-temps s'est
accoutumé à faire de votre bonheur
présent, de votre bonheur à venir,
l'objet de toutes ses pensées, qui s'est
tellement identifié avec vous, qui a
tellement uni son sort au vôtre, qu'il ne
peut plus être heureux que de votre bonheur
et malheureux que de vos peines? Ces signes
effrayans de dégradation, de
décadence ne sont-ils pas autant de traits
douloureux qui percent mon
coeur? Et que ne dois-je pas éprouver
encore, lorsque recevant la triste confidence de la
détresse secrète des familles, voyant
l'indigence et la faim menacer un grand nombre
d'entre nous, frapper à la porte de
plusieurs demeures où elles n'étaient
jamais entrées, j'oppose à ce tableau
déchirant des usages de luxe qui ne sont pas
encore
détruits?
Mais, diront peut-être quelques personnes,
vous nous demandez l'impossible: Comment rompre
toutes ses habitudes pour revenir à des
moeurs qui ne sont plus de notre
temps?
Ah! mes chers Frères, ce n'est pas moi qui
le demande: c'est l'impérieuse
nécessité; c'est votre
intérêt le plus pressant. Et s'il en
était autrement, qui plus que moi serait
disposé à regarder avec indulgence
vos amusemens et tout ce que vous croyez propre
à vous rendre
heureux?
Mais non, je ne vais pas même
jusque-là; je ne demande
point ce que je n'ai pas l'espoir d'obtenir. Je
sais trop quel est le fatal pouvoir de l'habitude;
je sais trop qu'après un long terme elle
devient une seconde nature, et que d'ordinaire on
porte sa chaîne toute la vie, quand une fois
on s'en est lié. C'est sans doute une
considération terrible qui devrait faire
frémir de prendre des habitudes qu'on n'est
pas assuré de pouvoir garder toujours
impunément.&emdash; Mais enfin, je n'en
demande point le sacrifice si vous pouvez encore y
pourvoir sans vous perdre: je demande moins sans
doute que ne se prescriront à eux-
mêmes les plus sages et les plus vertueux
d'entre vous: je me réduis à demander
ce qui est rigoureusement nécessaire,
indispensable.
1.° Et d'abord, mes Frères, c'est le
retranchement ou la diminution de toutes ces
dépenses extraordinaires et d'éclat
qui sont d'usage parmi nous en certaines
occasions.
Ces usages, vous le savez, ont pris naissance dans
des temps où ils étaient l'unique
récréation qu'on se permit. Nos
Pères se plaisaient à
célébrer les époques
intéressantes de la vie; mais
économes, laborieux et retirés dans
le cours ordinaire des choses, ils pouvaient sans
effort fournir à ces dépenses
auxquelles souriait la sagesse elle-même.
Dans une situation bien différente, nous
avons conservé leurs fêtes et nous y
joignons mille autres occasions de plaisir et de
dépense. Ainsi d'anciens usages, innocens et
doux en d'autres circonstances, sont changés
en abus dont tout le monde se plaint, et dont
personne n'ose secouer le
fardeau.
Je sais que cette faiblesse qui fait redouter
à l'excès d'être accusé
de parcimonie ou de blesser quelque membre du
cercle où l'on vit, se rencontre souvent
chez les caractères les plus doux et les
plus généreux; mais en comparaison
des intérêts de là
société, de
l'humanité, de la
Religion, que sont ces considérations
timides? Je dis plus; toutes frivoles que fussent
ces craintes, elles n'ont plus de fondement. Eh! je
le demande, quel homme sensible peut rapprocher
dans sa pensée ces fêtes, ces
rassemblemens nombreux, cet étalage de
prodigalité, du dénument, de la
détresse où se trouvent tant de
malheureux, sans que son coeur se serre ou se
soulève?
En de telles occasions, celui qui saura s'en tenir
à l'indispensable et donner l'exemple de la
simplicité, ne verra pas une joie moins pure
animer la fête, et il aura pour lui
l'assentiment de toutes les consciences,
l'approbation de toutes les personnes raisonnables
et vertueuses. Ce que je vous demande:
2.° mes chers Frères, c'est de ne vous
permettre aucune jouissance de luxe; et j'entends
par-là tout ce qui n'est pas d'absolue
nécessité, sans faire une
anticipation sur l'avenir, c'est-à-dire,
sans vous demander à vous-mêmes: Dans
un an, dans un mois, dans une
semaine, que penserai-je de cette dépense?
M'en applaudirai-je alors? cet argent que je vais
sacrifier, ne serai-je pas bien plus content de
l'avoir réservé pour les besoins de
ma famille, pour soulager des parens, des voisins
malheureux? Mon but est de me procurer le plaisir;
ne puis-je pas m'en procurer un plus doux en
faisant tressaillir le coeur de la veuve et de
l'orphelin?
Ah! mes Frères, si tant d'hommes que
n'arrête point le malheur des temps, et qui
semblent poursuivre les amusemens avec plus de
fureur que jamais, s'interrogeaient ainsi; s'ils se
disaient à eux-mêmes:
«Que fais-tu, malheureux? Tu vas consumer ce
qui suffirait pour nourrir ta famille plusieurs
jours; et si ce n'est pas son nécessaire
dont tu disposes, c'est celui du pauvre; c'est ce
que ton Sauveur te demande pour les
infortunés comme pour lui-même.
Arrête: crains de faire un
sacrilège. Va chercher
ailleurs des plaisirs plus purs, plus touchant. Va
porter à quelqu'un de tes frères la
consolation, la santé, la vie. Va ranimer
les membres souffrans du corps de
Jésus-Christ»
Sans doute, mes chers Frères, de telles
pensées ne leur permettraient pas d'aller
plus avant: ils reculeraient en frémissant,
effrayés de s'être vus près de
succomber à la
tentation.
La pensée des pauvres, la pensée des
malheureux, voilà pour un bon coeur, pour un
disciple de Jésus, l'arme la plus forte, la
plus sûre contre les séductions du
luxe. Le Chrétien parfait ne serait pas
même ébranlé par ces
séductions: son unique désir est de
retrancher toujours plus sur lui-même pour
pouvoir donner davantage, mais nous, mes
Frères, nous qui sommes faibles et
imparfaits, fixons du moins une part à la
bienfaisance en même temps qu'à la
mollesse ayons pour principe
invariable de ne jamais nous permettre une
superfluité sans mettre en réserve au
même instant une somme d'égale valeur
pour faire une oeuvre de charité. Cette
règle si simple et si juste,
fidèlement observée, aurait une
extrême influence sur notre conduite:
peut-être suffirait-elle pour nous corriger
insensiblement.
3. Ce que je vous demande enfin, mes Frères,
au nom de vos intérêts les plus chers,
c'est de former vos enfans à la
simplicité des moeurs. Vous les aimez ces
enfans: leur bonheur est l'objet de vos voeux les
plus ardens. Si quelqu'un vous indiquait le secret
assuré de les mettre à l'abri des
revers et de l'indigence, vous l'écouteriez
avec reconnaissance, avec transport. Eh bien, mes
Frères, nous qui ressentons aussi pour ces
jeunes gens des mouvemens paternels, nous venons
vous enseigner ce secret; nous venons vous
l'enseigner au nom de la Religion. Ce secret, c'est
la simplicité des
moeurs.
Elle ne leur donnera pas, je l'avoue, le moyen de
satisfaire aux besoins de la mollesse et de la
vanité: mais formés à son
école, ils ne les connaîtront point,
ce qui revient au même. S'ils savent vivre de
peu, ne seront-ils pas plus riches que ceux qui
possédant davantage, dépensent plus
encore? Apprenez-leur donc à la
chérir cette précieuse
simplicité. Formez leur corps et leur
âme de manière qu'ils ne soient jamais
tentés de s'en écarter. Qu'une
éducation mâle, que l'habitude du
travail et de la fatigue leur fasse un
tempérament robuste. Donnez-leur le
goût de l'ordre qui prolonge la durée
de tout ce qu'on possède, le goût de
l'économie et de la frugalité qui
pourvoient à peu de frais aux
nécessités de la nature. N'imitez-pas
ces parens inconsidérés qui par une
fausse tendresse, faisant part à leurs
enfans de toutes leurs jouissances, les lient de
bonne heure des chaînes qu'eux-mêmes
portent, leur donnent des besoins, des habitudes
qui seront pour eux un
piège, qu'ils conserveront peut-être
aux dépens de l'honneur et de la
probité.
Mais c'est surtout l'âme des jeunes gens
qu'il faut préparer de bonne heure pour la
rendre inaccessible aux tentations du luxe.
Hélas! combien d'enfans malheureux dont le
coeur et l'esprit sont infectés d'opinions
dangereuses par ceux même qui devaient les en
préserver! Ils n'entendent jamais leurs
parens s'entretenir des jouissances du luxe sans un
accent d'envie, et de celui qui les goûte,
sans dire des yeux ou des lèvres: II est
bien heureux. Ainsi, dès l'enfance ils
sucent le poison; ils sont imbus de cette erreur
fatale que l'or est le premier des biens. Les
plaisirs qu'il procure excitent déjà
leurs désirs; rien un jour ne les
arrêtera pour en
acquérir.
Vous, au contraire, efforcez-vous de former le
jugement et le sens moral de vos enfans.
Faites-leur distinguer soigneusement le
contentement de la richesse;
l'honneur, de l'éclat. Attachez- vous a leur
donner un juste sentiment du véritable
bonheur et de la véritable gloire.
Voilà l'infaillible moyen pour que les
jouissances du luxe n'aient plus de prix à
leurs yeux. Faites-leur observer comment les
sensations les plus douces viennent, non de la
superfluité, de la recherche, mais des
besoins satisfaits.
Opposez l'appétit avec lequel ils prennent
un repas frugal qu'a précédé
l'exercice, à la satiété
qu'ils éprouvent quelquefois dans ces
fêtes où le nombre des mets produit
souvent le dégoût. Qu'ils comparent ce
repos délicieux qui suit la fatigue, ce
sommeil plein de charme qui termine une
soirée laborieuse, au vide, à l'ennui
d'une journée passée dans
l'oisiveté. Qu'ils reconnaissent, qu'ils
sentent le sens profond de ces paroles de
l'Écriture:
Pourvu que nous ayons de quoi nous nourrir et nous
vêtir, cela doit nous suffire (I
Timot. VI, 8).
Dites-leur surtout, que c'est
du coeur que procèdent
les sources de la vie
(Prov.
IV,
23). Pour
leur donner le sentiment de
cette vérité, appelez en
témoignage leur propre expérience:
demandez-leur quand ils éprouvent la joie la
plus vive et la plus pure: est-ce au milieu du
tumulte, du bruit et des fêtes? n'est-ce pas
plutôt lorsqu'ils reçoivent les
bénédictions du pauvre assisté
par leurs jeunes mains, lorsqu'ils obtiennent
l'approbation de leurs parens dont ils ont
réjoui le coeur, en s'acquittant des devoirs
de leur âge?
Apprenez-leur à ne
rougir que de ce qui dégrade l'homme
réellement, du vice, de la mauvaise
conduite, jamais de la simplicité des moeurs
ou de l'obscurité de la vie.
Dites à vos fils, que dans la plus humble
demeure, sous le vêtement le plus grossier,
le cultivateur intègre a droit aux
égards de l'homme qui pense, et qu'il les
obtient plus sûrement que celui qui cherche
à s'élever aux
dépensde la
probité.
Dites-leur, que ce qui fait la gloire et la
dignité de l'homme, c'est la droiture, la
charité, la piété, et non pas
un vain éclat. Rappelez-leur ces paroles de
Jésus à ses disciples: Qu'êtes-vous
allés voir au désert? Un homme
vêtu d'habits magnifiques? Non,
Jean- Baptiste était
vêtu de poils de chameau et se nourrissait de
miel sauvage; néanmoins, ajoute le Sauveur, je
vous dis
que parmi
les fils des hommes, il n'y en a point eu de plus
grand que lui
(Luc
VII,
24, 25, 27).
Que vos filles soient élevées
d'après les maximes de ce grand Apôtre
qui apprend si bien à leur sexe en quoi
consiste sa véritable parure. Loin de leur
proposer des ajustemens pour récompense de
leurs progrès ou de leur docilité,
faites-leur comprendre combien ce genre de
mérite est frivole et ridicule. Dites-leur,
redites-leur sans cesse, que ce n'est pas à
l'apparence, mais au coeur, que Dieu regarde, que
les enfans les plus
agréables à ses yeux sont les enfans
parés d'innocence et de modestie; que le
monde lui-même applaudit à la vertu,
au lieu qu'il nous dispute toujours les avantages
extérieurs.
Répétez-leur souvent ces belles
paroles dictées par l'Éternelle
Sagesse: La
grâce trompe; la beauté
s'évanouit, mais la femme qui craint le
Seigneur sera louée
(Prov.
XXXI,
30).
Qu'elles soient
pénétrées de cette
vérité, que la gloire de la jeune
fille, ce qui la fait désirer dans les
familles et rechercher par un époux
estimable, ce n'est pas de beaux habits, de vaines
prétentions qui feraient redouter en elle
une compagne dissipée, mais le goût de
la retraite, l'économie, l'activité,
l'amour de ses devoirs, en un mot, les vertus qui
promettent une digne épouse, une bonne
mère. Que l'ingénuité soit sur
leur front; que la pudeur colore leur teint; que la
sensibilité timide et le respect filial
animent leur physionomie; et je
me plais à reconnaître que ce portrait
convient à plusieurs de nos jeunes
personnes. Que l'ordre, la propreté, la
décence fassent leur parure: elles n'auront
pas besoin de vains ornemens pour intéresser
et pour plaire. Veillez sur ce dépôt
précieux. A moins d'une
nécessité pressante, gardez-vous de
les éloigner de votre maison avant que leur
caractère soit formé. Qu'elles
croissent à l'ombre du toit paternel, comme
la fleur des champs s'épanouit sous le
chêne loin du souffle des
vents.
Attachez-vous encore à prolonger l'empire de
l'autorité paternelle. N'avancez point en
imprudens le terme où vos enfans seront
reçus au nombre des membres de
l'Église. Croyez-en votre Pasteur lorsqu'il
cherche à reculer cette époque: il
agit alors en ami plus attentif que
vous-mêmes à vos vrais
intérêts. La raison est un fruit qui
mûrit tard. Combien de jeunes gens se
figurent être des hommes lorsqu'ils sont
encore des enfans! Tandis qu'ils
auraient encore un besoin absolu des sages
directions d'un père, indépendans,
impatiens du frein dans sa propre maison, ils se
livrent bientôt, sans que rien les
arrête, au goût du plaisir et de la
dissipation. Conservez donc avec soin dans vos
demeures ce respect de l'âge et de
l'autorité paternelle, cette
hiérarchie patriarcale, seul garant de
l'honnêteté comme de la
simplicité des
moeurs.
J'ose le penser, mes Frères, des enfans
formés sur de tels principes ne seront pas
aisément séduits par la mollesse et
la vanité: ils feront votre consolation,
votre gloire; ils porteront dans votre, âme
la paix et la sécurité: le moins
opulent d'entre vous pourra dire en quittant ce
monde: je laisse à ma famille un riche
héritage, la probité, l'amour du
travail et la simplicité. De tels enfans ne
seront pas un legs moins précieux pour nos
campagnes: ils arrêteront les progrès
du mal; ils nous retiendront sur
le penchant de l'abîme.
Que dis-je? ils feront revivre les antiques moeurs:
ils ramèneront les beaux jours de
l'Église; ils rappelleront sur nous la
bénédiction du
Ciel.
Voilà, mes chers Frères, les conseils
que la Religion vous adresse; voilà les
ordres qu'elle vous donne. Plus que jamais ils sont
de saison: c'est le moment plus que jamais de
renoncer à l'amour du plaisir, aux
dépenses vaines, aux habitudes
coûteuses. Nos malheurs, nos
espérances, les châtiment et les
bienfaits du Seigneur, le passé, le
présent, l'avenir, tout nous en fait la loi.
Les maux que nous avons soufferts ont laissé
des traces profondes j l'épuisement
où ils nous ont jeté ne peut cesser
en quelques jours; il faut, pour retrouver notre
ancienne prospérité, déployer
tout ce que peuvent la sobriété, le
travail, une sévère économie:
il faut entrer ainsi dans les vues de ce Sauveur
adorable, qui, né pauvre et vivant de peu,
voulut nous apprendre à
mépriser le luxe et les vanités: il
faut entrer dans les vues de ce Dieu qui nous
rappelle avec tant de force à la sagesse: il
faut nous rapprocher de lui. Alors nous aurons la
douceur de penser que nos peines ne seront point
perdues, et que la Providence bénira vos
efforts. Alors, Seigneur.
Par ta faveur nous verrons de nos yeux
Ta gloire encore habiter en ces lieux.
Ainsi soit-il.
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