La voix de l'Éternel crie.... Écoutez la verge et celui qui l'a assignée, Michée VI, 9.
EST-IL quelqu'un parmi
vous
qui soit affligé, sans que je le sois aussi?
disait Saint Paul aux Corinthiens (2
Corint., XI, 29.). Telle est
l'expression
fidèle des sentimens d'un Pasteur. Et sans
doute lorsqu'un père souffre dans ses
enfans, il souffre dans la partie la plus sensible
de lui-même. Que serait une douleur
personnelle auprès du sentiment de leur
douleur?
Voilà, mes chers Frères, ce que j'ai
éprouvé dans cette calamité si
générale et si terrible, à
laquelle je n'ai rien
vu d'égal depuis que
j'habite au milieu de vous, et dont nos vieillards
eux-mêmes ne se rappellent point d'exemple
(1).
Je
souffre pour
chacun de vous et pour tous ensemble: mon coeur est
navré du sentiment de vos pertes; il ressent
vos inquiétudes; il envisage avec effroi
toutes les conséquences de cet
événement fatal. Quelle consolation
vous donnerai je? Vous en attendez de ma bouche;
vous êtes venus en chercher dans ce temple;
et sans doute il ne vous trompe pas cet instinct de
la nature, cet heureux mouvement qui vous conduit
dans le sanctuaire au jour de la calamité.
Mais que servirait un vain palliatif qui ne
produirait qu'un soulagement passager? Il faut
aller à la source du mal pour le
guérir. Si le Maître du monde est
irrité contre nous, en vain nous
tournerions-nous de tous côtés, nous
ne pourrons goûteraucune
tranquillité réelle jusqu'à ce
que nous nous soyons rapprochés de lui,
réconciliés avec
lui.
Aussi, mes Frères, indépendamment des
impressions douloureuses qui me sont communes avec
vous, mon coeur est agité d'autres sentimens
qui naissent de l'intérêt de vos
âmes et du ministère dont je suis
revêtu. Je vois dans cet
événement les desseins de la
Providence sur ce troupeau; je vois les fruits
salutaires qu'il peut produire, si vous le voulez;
je vois le remède sortir du mal: je vois
aussi le devoir qui m'est imposé
d'élever la voix, de faire entendre ces
accens: Écoutez la verge, afin d'ouvrir les
yeux de ceux qui vivent encore dans l'illusion;
afin de fortifier, de fixer les heureux mouvemens
de ceux qui ont commencé à se tourner
vers le Dieu qui nous
afflige.
Souffrez donc, Chrétiens, que je sonde la
plaie pour la guérir. Secondez- moi
vous-mêmes par les
dispositions de vos coeurs, par
les sentimens de docilité, de recueillement,
de componction qu'exige une telle
circonstance.
Et toi, Grand Dieu, Dieu Sauveur, qui m'ordonnes de
faire entendre la vérité
sévère à ceux sur les douleurs
desquels je voudrais répandre le baume le
plus doux de la tendresse! Toi qui m'envoies
auprès de ce peuple, comme tu envoyais jadis
tes prophètes auprès d'Israël
dans la disgrâce! ne m'abandonne point
à ma propre faiblesse; mets toi-même
dans ma bouche les paroles que je dois dire, et
adresse les au coeur de ceux qui vont les
écouter!
Amen.
Écoutez la
verge! Mais,direz-vous
peut-être,
venez-vous nous exhorter à sentir le coup
dont nous sommes frappés? Manque-t-il
quelque chose à notre affliction? Dans cette
cruelle matinée où nos premiers
regards aperçurent une gelée fatale
blanchir nos campagnes, où, parcourant nos
possessions, nous vîmes les tendres rameaux
de la vigne déjà couronnés de riches
grappes pencher languissamment leur tête,
noircis et desséchés comme si la
flamme les eût traversés, un cri
gênerai de désolation ne fit-il pas
retentir nos hameaux? Ne vit-on pas des larmes
couler des yeux les plus mâles? La
consternation ne se peignit-elle pas sur nos
visages? N'est-elle pas encore empreinte sur nos
fronts, et le trait poignant delà douleur au
fond de nos
âmes?
Sans doute, mes Frères, nous sommes
affligés; nous le sommes
profondément. Mais penseriez-vous que cette
affliction, qui tient uniquement à la
sensibilité de la nature, fût tout ce
que Dieu demande de nous, tout ce qu'il a voulu
exciter en nous? Il suffit d'être homme pour
sentir la verge: il faut savoir l'écouter;
il faut savoir entendre les leçons qu'elle
nous donne; grandes leçons trop
oubliées et trop nécessaires!
leçon de piété leçon
d'humiliation; leçon d'amendement et de
repentir.
1.° Leçon
de
piété. C'est la première que
nous devons recevoir. Dieu est l'arbitre de notre
sort: les causes secondes ne sont point les vrais
moteurs des événemens; elles ne sont
que l'instrument dont la Cause Première se
sert pour accomplir ses desseins, pour
récompenser ou pour
punir.
C'est-là une vérité sur
laquelle repose toute la morale, et qui suffirait
seule pour nous attacher au devoir. La raison qui
nous annonce un Dieu Créateur, Maître
et Dispensateur de toutes choses, l'établit
déjà cette grande
vérité. Nos Livres Saints la
confirment: elle nous est annoncée à
chaque page de nos Écritures. Là nous
lisons ces déclarations
énergiques:
Les biens
et les maux
ne procèdent ils pas du commandement du
Très-Haut! Je suis l'Éternel, et il
n'y en a point d'autre qui forme la lumière
et qui crée les ténèbres, qui
donne la paix et qui envoie l'adversité.
C'est moi l'Éternel qui fais toutes ces
choses. C'est lui, c'est le Seigneur qui fait la
plaie et qui la guérit. Celui qui plante et
celui qui arrose ne sont rien; mais c'est Dieu qui
donne l'accroissement. Si l'Éternel ne
bâtit la maison, ceux qui la bâtissent
y travaillent en vain. Si L'Éternel ne garde
la ville, celui qui la garde fait le guet en vain.
C'est en vain que vous vous levez de grand matin y
que vous vous couchez tard et que vous mangez le
pain de douleur; certes c'est Dieu qui donne du
repos à ceux qu'il
aime
(Lament.
de
Jérém., III,
38; Es.,
XLV,
6, 7; 1
Cor., III, 7; Ps.,
CXXVII,
1.2.).
Mais, quoi! serait-il possible qu'elle fût
méconnue par l'habitant des campagnes cette
vérité capitale? Serait-il possible
qu'elle fût méconnue par le
cultivateur qui lève sans cesse ses yeux
vers le Ciel, soit dans ses craintes, soit dans ses
espérances, qui voit partir du Ciel et les
pluies
salutaires
et les chaleurs vivifiantes? Pourrait-il
méconnaître le Dieu qui règne
dans le Ciel, et qui de là fait descendre
sur la terre ses bénédictions ou ses
fléaux? Pourrait-il ignorer que c'est lui
seul qui est le Maître de son sort et de sa
fortune?
Sans doute, mes Frères, il n'est personne
parmi nous qui osât nier cette
vérité; mais c'est des lèvres
seulement qu'on lui rend hommage. Il est une
incrédulité du coeur qui consiste
à l'oublier dans nos actions, à nous
conduire comme si elle n'était pas
démontrée. Il y a une illusion
produite par l'amour des biens de la terre, qui
fait que voyant seulement les causes secondes et
visibles, on ne compte que sur les moyens humains,
on n'emploie que les moyens humains, on ne pense,
en un mot, qu'à faire soi-même son
sort, comme s'il importait peu d'irriter le
Tout-Puissant, ou d'attirer sur nous ses
faveurs.
Or, je dis que cette illusion, je dis que cette
incrédulité pratique est
très-commune: elle est comme une maladie
régnante dont la contagion s'étend
tous les jours. Il seroit trop aisé d'en
apporter des preuves. Voyez lequel l'emporte quand
ce que nous devons à Dieu est en opposition
avec les conseils de l'intérêt,
même dans les moindres occasions. S'agit-il
de faire un léger sacrifice pour se rendre
dans le temple du Seigneur, pour envoyer nos enfans
s'instruire de sa loi, pour sanctifier le jour
qu'il s'est consacré, pour conserver ou
rétablir la paix, pour remplir un devoir
d'humanité? c'est toujours le culte,
l'instruction, la loi du Sabbat, c'est toujours le
devoir, c'est toujours Dieu qu'on sacrifie.
Le soin de lui plaire est le seul qu'on ne craigne
pas de négliger: la crainte de l'offenser
est la seule crainte dont on ne soit point
touché; l'intérêt que nous
avons à nous assurer sa protection est le
seul intérêt qui ne frappe
personne.
O vous qui pensiez être les artisans de vos
destinées, l'avez-vous entendue cette voix
qui a retenti dans nos campagnes:
«Dieu seul est le Souverain. C'est de lui seul
que dépend le succès. Sans sa
bénédiction, les travaux de l'homme
sont vains et son espoir est
trompeur.»
Cette leçon vous semble-t-elle assez
hautement proclamée? Est-elle assez
énergique, assez
terrible?
2.° Mais
le
coup qui nous
a frappés n'est pas seulement destiné
à nous la rappeler; il a encore pour but de
nous punir: c'est un châtiment que Dieu nous
envoie; il est irrité; nous sommes
coupables; nous devons nous humilier sous sa main
puissante. Leçon d'humiliation, c'est la
seconde qui nous est
donnée.
Serait-il quelqu'un parmi nous dont le coeur la
repoussât cette leçon, dont
l'âme aigrie par le malheur fût
disposée à murmurer plutôt
qu'à demander
grâce?
Insensé, lui dirais-je, à quel
nouvel attentat vous
portez-vous? Quel en sera le fruit? Est-ce en
outrageant le Très-Haut que vous voulez
désarmer son bras levé sur
nous?...
Mais je parlerais inutilement à des hommes
à qui le Tout-Puissant lui-même parle
en vain par l'organe terrible de ses fléaux.
S'il en est de tels au milieu de nous, qu'il
sortent de ce temple; qu'ils craignent de nous
ravir le fruit de notre dévotion; qu'ils
nous laissent avec notre Dieu, nous sommes
rassemblés pour le fléchir: qu'ils ne
viennent pas rallumer son courroux et s'opposer
à l'efficace de nos prières. Pour
nous, mes chers Frères, humilions-nous;
rentrons en nous-mêmes, et reconnaissons les
fautes qui ont attiré sur nous les
fléaux du
Ciel.
Je sais que l'adversité ne doit pas toujours
être envisagée comme un signe de la
colère céleste; mais je sais aussi
que Dieu fait
des
vents ses Anges, des
flammes de feu ses
Ministres
(Ps.
CIV,
4.), et que
les calamités
nationales ont toujours été
regardées comme des châtimens. Je sais
que l'histoire entière d'Israël n'est
qu'une suite d'exemples de cette
vérité: je sais qu'il y a telle
circonstance où le rapport de la cause avec
l'effet, des fautes avec le malheur qui les a
suivies, ne laisse pas lieu au doute pour l'homme
raisonnable et religieux. Or, Chrétiens, ne
sommes-nous pas précisément dans
cette circonstance? Hélas! mes chers
Frères, ne sommes-nous pas punis
précisément par où nous avons
péché? Ce que l'on peut nous
reprocher surtout, le vice dont l'influence
s'étend parmi nous de jour en jour, n'est-ce
pas cette avidité pour les biens de la terre
qui fait qu'on ne songe qu'à s'enrichir, cet
esprit d'intérêt qui porte les hommes
à l'injustice, à la fraude et en
particulier à l'oubli de
Dieu, de son culte, aux
profanations et aux
scandales?
Si cette réflexion ne suffit pas pour nous
apprendre à considérer nos malheurs
sous leur vrai point de vue, que notre propre
histoire nous instruise. Repassons les
années qui ont précédé:
nous étions loin sans doute d'être
exempts de reproche; mais le jour du Seigneur nous
était encore sacré; mais
jusqu'à un certain point nous étions
demeurés fidèles par comparaison du
moins avec les peuples d'alentour. O Dieu! j'ai
fait cette comparaison; j'ai nourri cette
pensée avec trop de complaisance dans mon
coeur? Alors, mes chers Paroissiens, vous
étiez ma joie
et ma couronne
(1
Thess., II, 19.).
Alors aussi Dieu semblait vouloir
nous conduire par des
cordages d'amour
(Os.,
XI,
4.); au
milieu de l'agitation
générale, nous jouissions du calme:
les années fertiles se
succédaient: l'Ange du Seigneur semblait
avoir tracé une ligne autour de nos
campagnes: les fléaux du Ciel qui
parcouraient les pays voisins n'osaient la
franchir, n'osaient approcher de nos villages.
Nous entendions raconter de tragiques histoires;
nous entendions parler d'incendies, d'orages,
d'inondations, à peine en ressentions-nous
quelque légère atteinte. Mais par
degrés l'esprit de piété, le
respect pour le jour du Seigneur s'est affaibli
parmi nous; le relâchement a gagné de
proche eu proche. Chaque Sabbat a vu de nombreux,
de nouveaux profanateurs. L'époque de la
récolte, cette époque de bienfaits et
de reconnaissance est devenue pour nous le moment
d'offenser le Ciel avec plus d'audace. L'automne
dernière, ces mêmes vignes, objet
maintenant de deuil et de douleur, ces vignes qui
semblent frappées de malédiction, et
dont la seule perspective attristera si long-temps
la nature et réveillera
le sentiment de nos douleurs,
ces mêmes vignes, quel homme peut
résister à la force de ce
rapprochement? ont été pour plusieurs
l'occasion de profaner le Dimanche dès les
premières heures du
jour.
Alors enfin, ô mon Dieu! ta patience s'est
lassée; tu as laissé échapper
de ta main la verge fatale; en un instant, par un
seul acte de ta volonté se sont
évanouis et les travaux et les
espérances de l'année. Ainsi s'est
accomplie de nos jours cette menace que tu avais
faite jadis par un Prophète: On criera
dans toutes les rues:
hélas! hélas! Le laboureur et ceux
qui savent planter la vigne mèneront deuil:
il y aura des lamentations dans tous les vignobles;
car je passerai tout au travers, a dit
l'Éternel (Amos
V, 16, 17.).
O vous tous qui avez offensé le
Tout-Puissant! rentrez maintenant en
vous-mêmes: dépouillez,
dépouillez enfinces
voiles d'illusions et de vains prétextes
dont les replis fermaient à la
vérité l'accès dans votre
conscience. Voyez quelle calamité terrible
vous avez appelée sur votre tête et
sur celle de vos frères
innocens......
Mais que parlé-je d'innocens? Non; non,
point de distinction pareille entre des hommes
pécheurs. Si les uns ont été
hardis dans leurs transgressions, les autres ont
été tièdes dans leur
zèle, chancelans dans leur
fidélité. Humilions-nous tous; nous
sommes tous
coupables.
Que le Pasteur s'humilie parce qu'il ne s'est pas
élevé contre les profanations avec
assez de persévérance et
d'énergie; parce qu'il a laissé
peut-être la chair et le sang affaiblir sa
voix, l'affection et la tendresse amollir ses
avertissemens, qu'il s'est découragé,
rebuté trop tôt du peu de
succès de ses
efforts.
Que les Anciens du troupeau
s'humilient, parce qu'ils n'ont pas
été assez vigilans peut-être,
assez exacts à donner l'exemple, assez
fortement prononcés contre les
scandales.
Que les plus fidèles d'entre nous
s'humilient, pour n'avoir pas été
assez ardens, assez fermes, assez soigneux de se
défendre du mauvais exemple, et de le
compenser par le leur, assez attentifs à ne
pas dévier de la ligne
droite.
Humilions-nous tous: Que le Pasteur, que les
Anciens, que les justes, que les pécheurs,
que les chefs de famille, que les jeunes gens, que
le troupeau tout entier s'humilie.
Prosternés par la pensée aux pieds du
tribunal de la justice éternelle,
présentons pour nous-mêmes cette belle
confession que le prophète Daniel fit au nom
des Juifs captifs à Babylone: O
Seigneur!
o toi qui
es le Dieu fort, le grand, le terrible! nous avons
commis l'iniquité; nous nous sommes
révoltés contre tes ordonnances:
à toi est la justice et
ànous
la confusion de face. Ni nous, ni
les principaux d'entre nous, ni le Pasteur, ni le
peuple, n'avons été attentifs
à ta loi. Ce mal nous est arrivé pour
nous ramener à toi: maintenant
détourne ta colère et ton indignation
de dessus nous. Voici, nous ne te présentons
point nos supplications, appuyés sur notre
propre justice, mais sur tes grandes compassions et
pour l'amour du Seigneur. O Dieu, prête
l'oreille; exauce, pardonne; fais luire ta face sur
ton peuple et sur ton sanctuaire (Dan.,
IX.).
3.° Ce ne
serait pas
assez de s'humilier: ce n'est là qu'un
premier pas pour revenir à Dieu; ce n'est
là qu'un premier acte du repentir: c'est
l'amendement qui en est l'essence. Leçon
d'amendement, c'est la troisième qui nous
est donnée.
Sans doute, pour que Dieu revienne à nous,
il faut que nous revenions
à lui; sans doute, pour
cesser de lui déplaire, il faut renoncer
à tout ce qui lui a déplu. Le plus
grand crime à ses yeux, ce qui l'irrite
davantage, c'est de résister à ses
coups; c'est de s'endurcir quand il nous frappe.
Voilà le trait que l'Écriture emploie
pour mettre le sceau au caractère du plus
méchant des Rois de Juda; lorsque Dieu
l'affligeait, il continuait toujours de
pécher; Achaz
était toujours Achaz
(2
Chron., XXVIII, 22.).Voilà le crime
que
l'Éternel a menacé des plus
sévères châtimens. Si vous ne
m'écoutez pas,
disait-il aux Juifs, lorsque
je vous aurai châtiés,
et si vous vous
élevez contre moi, je marcherai contre vous
en ma fureur, et je vous châtierai sept fois
autant (Lévit.
XXVI,
27,
28.).
Faisons donc cesser parmi nous les profanations et
les scandales. Après un châtiment si
terrible, tout profanateur doit être
envisagé désormais
comme l'ennemi de tous. Que le
jour du Seigneur soit vraiment sanctifié
dans nos campagnes; que, suivant l'esprit de son
institution, il soit consacré au culte
divin, à l'examen de nous-mêmes,
à de pieuses lectures, à des oeuvres
de charité. Que l'on n'entende plus parler
au milieu de nous de ces traits de mauvaise foi, de
fraude, d'injustice, qui sont en abomination
à l'Éternel, qui provoquent sa
vengeance, qu'il reprochait si énergiquement
à l'ancien peuple, et dont il disait: Laisserais-je
impunies
de
telles choses? (Jérémie,
V,
29.)
Que cette nouvelle épreuve de
l'instabilité des biens de la terre nous
apprenne enfin à ne plus les aimer avec
passion. Que cette leçon frappante sur notre
dépendance tourne enfin nos regards vers le
Dispensateur Souverain. Sortons enfin des illusions
de cet esprit d'intérêt qui nous cache
notre intérêt véritable.
Reconnaissons, sentons que notre grand, notre seul
intérêt, c'est de
plaire au Seigneur et d'attirer sur nous sa
protection. A ces premiers traits de la
réforme qui doit s'opérer en nous,
ajoutons-en deux plus particuliers que les
circonstances actuelles prescrivent
impérieusement, l'économie et la
charité.
Une économie sévère, une
austère frugalité peuvent seules nous
aider à réparer de telles
brèches. Les excès de vin seraient un
scandale impardonnable aujourd'hui: dans une telle
année, le seuil des cabarets ne doit
être passé que par le voyageur qui
demande un asile. Que le cultivateur s'en
éloigne avec effroi. Que chacun mette sa
gloire à faire régner l'ordre dans sa
maison, à retrancher de sa dépense
toute superfluité. C'est le moment de
réformer en particulier ce luxe dans les
repas qui s'est introduit parmi nous. Les personnes
à qui leur fortune permettrait encore de s'y
livrer, ne pourraient le faire sans insulter
à la misère publique. Que
tous ceux qui ont quelque
superflu écoutent leur propre coeur; il leur
dira que ce superflu est plus que jamais un objet
sacré, qu'il est la part du
pauvre.
Oui, mes chers Frères, quel que soit pour
nous l'effet de la calamité
générale, cette calamité
même nous prêche hautement la
charité. Malheur à celui à qui
le sentiment de ses propres pertes ferait oublier
l'homme qui souffre plus que lui! Malheur à
celui à qui il reste plus que l'absolu
nécessaire, et qui ne songerait pas à
celui qui manque de ce nécessaire absolu!
Pensez a tant de personnes qui ne vivent que de
leur travail, et qui voient le fruit de ce travail
dévoré d'avance; à tant
d'autres chargées d'engagemens qu'elles ne
pourront remplir; à tant de pères de
famille qui, pour nourrir de nombreux enfans, n'ont
que des bras qui ne seront point employés.
N'entendez-vous pas les gémissemens de la
douleur, les cris de la détresse, retentir
au fond de vos âmes. Ne
nous contentons pas de dire, que deviendront les
pauvres? et ne pensons pas avoir satisfait à
la charité par un vain mouvement de
compassion. Songeons à les soulager
efficacement. Faisons pour cela tout ce qui est en
notre pouvoir, et la providence fera le reste. Ne
craignons pas même d'outrepasser nos
facultés. Si souvent nous tentons le Ciel
par des fautes ou des
témérités qu'il punit,
essayons cette noble manière de tenter la
Providence. Elle a bien su frustrer nos
espérances et déjouer nos calculs; il
ne lui sera pas plus difficile, de réparer
nos pertes, si elle le juge à propos.
Voilà, l'argent que nous avions
confié à la terre s'est perdu,
prêtons à l'Éternel, qui ne
perdra point notre
dépôt.
Si telle est notre conduite sous tous ces rapports;
si nous nous attachons sincèrement à
la piété, à la justice; si
nous sommes assidus au travail, économes,
charitables, la bénédiction
du Ciel, n'en doutez-pas, luira
de nouveau sur nous. Cette époque, si
douloureuse aux yeux de la chair, sera
précieuse aux yeux de la Foi. Je dis plus;
en régénérant cette paroisse,
elle préparera pour nous et pour nos enfans
des années plus heureuses. Alors, dit
l'Écriture: L'Éternel
nous fera du bien, et
notre terre rendra son fruit (Ps.,
LXVII,
6.).
Mais pouvons-nous concevoir de telles
espérances? Une conversion
générale sera-t-elle pour nous en
effet le fruit de la calamité? Ah! mes chers
Frères, j'aurais osé le penser
à l'entrée de mon ministère,
dans ces jours de la jeunesse où l'on
espère tout. Mais lorsque les années
ont produit en nous la triste connaissance des
hommes et des choses, comment se flatter que
l'adversité fasse sur le grand nombre une
impression durable? Comment se flatter qu'elle
opère un changement dans les moeurs
publiques? Que se passera-t-il
parmi nous, hélas?
Les plus justes s'humilieront: les autres seront
plus retenus peut-être durant quelques
semaines: peu-à-peu les âmes
rentreront dans leur assiette ordinaire: l'habitude
reprendra son empire; chacun retournera à
son train de vie; peut-être même on
s'éloignera de Dieu davantage: car, tel est
l'effet du malheur, il aigrit s'il ne touche pas:
peut-être se fera-t-on des circonstances un
prétexte pour violer le Sabbat plus
hardiment, pour offenser le Ciel avec plus
d'audace; un prétexte pour s'endurcir, pour
fermer son coeur à la compassion et sa main
à l'indigent.
Et quelle en sera la suite? O Dieu! quel triste
avenir se dévoile à mes regards! De
mes lèvres qui voudraient bénir,
sortent malgré moi de funestes
présages. La bénédiction du
Très-Haut qui semble abandonner
insensiblement cette paroisse, se retirera pour
toujours: la colère du Ciel pèsera
sur nous: malheurs particuliers, calamités
nationales, saisons infertiles
enchaînées les unes aux autres, que de
moyens qui lui serviront à punir notre
endurcissement; on verra l'aisance et le
bien-être s'enfuir du milieu de nous, et
bientôt il ne restera plus de trace de cette
ancienne prospérité dont
l'idée semblait unie au seul nom, du
Mandement.
Alors, mes chers Frères, mais trop tard,
vous vous rappellerez ce discours: mes paroles qui
dans ce moment ne font sur vous qu'une faible
impression, mes paroles vous sembleront
prophétiques. Quelqu'un de vous
peut-être les répétera
tristement à ses enfans, lorsque je ne serai
plus, lorsque je me reposerai à coté
de vos pères qui m'attendent près de
ces murs; heureux d'avoir été
retiré du monde avant de voir la
misère et la détresse s'avancer sur
ceux que j'ai tant aimés, avant de les voir
rejetés du
Seigneur.
Mais, Grand Dieu! sera-ce donc là notre
sort? Je ne puis soutenir la perspective que je
viens de tracer. O Dieu! qu'il
n'en soit pas ainsi! Écoute notre ardente
supplication, pour l'amour de ton Christ, dont le
nom adorable est réclamé sur cette
Église. Que nous ne soyons point tels que
ces hommes dont il est dit que, frappés
de tes plaies, ils
blasphémaient ton nom, et mordaient leur
langue dans la violence de leur douleur; mais
qu'ils ne se repentirent point? (Apoc.,
XVI,
10, 11.)
Que, par notre pénitence et
notre résignation à ta
volonté, nous prévenions de nouveaux
coups de la
justice!
Mes chers Frères, il est encore temps de
fléchir le courroux céleste; il est
encore en notre pouvoir de ramener la
prospérité publique. Vous êtes
émus, je le vois; votre coeur s'ouvre au
repentir; venez promettre au Seigneur soumission,
obéissance, fidélité: levez-
vous; prions-le tous ensemble d'avoir pitié
de nous.
Dieu puissant et bon! Dieu
Sauveur!jette un regard sur
nous; jette un regard sur tes enfans
humiliés. Tu te sers des châtimens
pour rappeler à toi les coeurs
égarés. Voila, nous entendons ta
voix; nous sommes disposés à revenir
à toi: puisque
ce mal nous est arrivé à cause de nos
mauvaises oeuvres, nous ne voulons plus retourner
à enfreindre tes ordonnances
(Esdr.,
IX,
13, 14.).
Éternel, notre Dieu! fixe ces heureux
mouvemens dans nos âmes! Daigne y verser
aussi la consolation et l'espérance! Que
nous sortions de ce temple plus religieux et plus
fidèles! Que le sentiment de nos douleurs
soit allégé par celui de ta paix et
de ton amour, par celui de notre
réconciliation avec toi en Jésus-
Christ! Amen.
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