Tu célébreras une fête solennelle..... en l'honneur de l'Éternel ton Dieu...., après qu'il t'aura béni dans toute ta récolte et dans tout l'ouvrage de tes mains, et tu seras dans la joie, Deutéron., XVI, 15.
Mes Frères; Elle
était bien intéressante cette
fête des tabernacles dont vous venez
d'entendre l'institution, et que
célébraient les juifs après
avoir serré les fruits de la terre.
Logés durant quelques jours sous des tentes
de feuillage, ils se rappelaient le temps où
leurs ancêtres, sans propriété,
erraient dans un désert stérile. Ce
souvenir leur rendait plus doux le séjour
de l'heureuse Palestine, et leur
faisait mieux sentir les divers présens que
le cultivateur reçoit de la Providence. Ils
la célébraient chaque année
cette fête, parce que du plus au moins la
saison des récoltes est toujours celle des
bienfaits, et doit toujours être celle de la
reconnaissance. Ils la célébraient
sans doute avec un redoublement de ferveur et de
joie, quand le Ciel avait particulièrement
béni leurs travaux, quand l'abondance
était entrée dans leurs maisons.
Et quoi de plus juste que de rendre alors au
seigneur un hommage solennel? Lorsque dans le temps
des semailles nous confions à la terre le
grain qui doit multiplier dans son sein; lorsqu'au
retour du Printemps nous voyons nos champs se
couvrir d'une tendre verdure et nos arbres
parés de fleur, notre premier sentiment est
de prier Dieu de réaliser nos
espérances. Dans nos besoins, dans nos
perplexités, dans nos inquiétudes, un
mouvement naturel aussi prompt,
aussi involontaire que la pensée nous porte
à l'implorer. Est-il moins juste, mes chers
Frères, de lui rendre grâces
lorsqu'ils exaucé nos désirs? Ne
serait il pas bien honteux pour le coeur de l'homme
d'être moins disposé à
s'élever à Dieu pour le bénir
du succès, pour l'adorer dans la
prospérité, que pour implorer sa
protection dans l'attente, l'anxiété,
l'infortune?
Lorsque dans un temps de calamités
nationales je vois un peuple nombreux se presser
dans le sanctuaire, où il vient invoquer
l'arbitre de nos destinées, j'éprouve
une émotion mêlée de douceur.
Un spectacle plus doux encore et plus beau, c'est
celui d'un temple rempli d'adorateurs conduits par
la reconnaissance. Il me semble que la relation qui
existe entre le Créateur et ses
créatures me frappe alors d'une
manière sensible et touchante. Dieu
bénit, et l'homme rend grâces: le Ciel
répond à la terre et la terre
répond au
Ciel.
Si l'Évangile n'exige pas de nous, d'une
manière positive comme la Loi l'exigeait des
Juifs à cette époque de
l'année, des témoignages
éclatans de sensibilité, cela tient
sans doute en partie à ce qu'il s'occupe
principalement de la grande destination de l'homme
et cherche surtout à diriger ses regards
vers les biens éternels.
Mais prenez garde aussi qu'en laissant à
notre disposition ces démonstrations
extérieures de reconnaissance, il nous
demande le sentiment qui en fait un besoin; il veut
qu'elles soient chez nous l'effet des mouvemens de
l'âme et non pas seulement de
l'obéissance à la loi.
Comme sous l'Évangile Dieu fait beaucoup
plus pour l'homme; comme par ses bienfaits et son
amour il presse son coeur de toutes parts, il veut
en recevoir un hommage plus libre et plus
volontaire: il se montre à son égard
plus délicat, plus jaloux, et l'on peut dire
qu'il lui prescrit moins, parce qu'il en attend
davantage.
Je viens donc vous entretenir et
des sentimens que nous devons éprouver dans
les circonstances où nous sommes et des
devoirs qu'elles nous imposent. J'aime à
croire que vos coeurs sont disposés à
m'entendre. Dieu veuille accompagner de sa
grâce les réflexions que je vais vous
présenter!
Amen.
Si jamais nous dûmes éprouver cette
joie qu'excite le spectacle de l'abondance; si
jamais la nature sembla nous inviter à
célébrer une fête de
reconnaissance, c'est sans doute en ce
moment.
Je sais qu'il est des hommes toujours
mécontens. Prompts à murmurer quand
la terre qu'ils cultivent ne répond pas
à leur attente, ils se plaignent aujourd'hui
de sa fécondité. Le Ciel avec toute
sa puissance ne saurait les satisfaire. Ils
ressemblent à ces Juifs qui blâmaient
également et l'austérité de
Jean-Baptiste et la douce indulgence de
Jésus. On peut les comparer à ces
enfans dont parle notre divin Maître, et leur
faireaussi ce reproche: on
a joué
de la
flûte et vous n'avez point dansé: on a
chanté des airs lugubres, et vous n'avez
point pleuré
(Luc,
VII,
32.) . Mais
ce n'est point à eux
que je m'adresse: et que pourvoient mes faibles
discours sur des coeurs que les bontés du
Seigneur n'ont pu toucher? je ne parle qu'aux
hommes religieux et sensibles. C'est eux que
j'invite à porter leurs regards sur
l'ensemble de nos récoltes. C'est à
eux que je le demande, cette année
n'a-t-elle pas été bénie entre
toutes les autres?
Elle n'a été pour nous qu'une suite
de saisons fertiles, un enchaînement de
bienfaits. Les pluies salutaires et les chaleurs
fécondantes ont été
entremêlées au gré de nos
souhaits. Il semble qu'elles aient paru
tour-à-tour à la voix de l'homme
dès qu'il les appelait par ses
désirs. Depuis ces beaux jours du printemps
où nous vîmes les premiers jets de
l'herbe verdoyante jusqu'à
ceux-ci qui terminent si
richement pour nous les scènes de
l'année, nous avons joui d'une
température favorable. Aucune de nos
récoltes n'a manqué, et plusieurs ont
surpassé notre espoir. Les fruits de la
terre ont été aussi délicieux
qu'abondans.A tous ces égards l'année
mil huit cent quatre sera long-temps
célèbre: elle fera oublier celles
dont on avait conservé la mémoire:
nos enfans en parleront à leurs
arrière-neveux; ils se plairont à
leur raconter les miracles de sa
fécondité.
Il y a plus: non-seulement la Providence nous a
fait part des richesses dont elle couvrait la
terre; mais elle nous à distingué par
une protection spéciale. Nous avons
été à l'abri de ces orages, de
ces inondations qui ont désolé en
divers lieux l'habitant des campagnes, qui
entraînaient dans leurs terribles cours ses
troupeaux, ses plantations, sa demeure.
Nous avons contemplé de loin ces malheurs,
comme d'un rivage tranquille on
contemple la tempête. Nous avons recueilli
sous un Ciel propice, et serré, sans
altération, ce grain précieux qui
fait la nourriture de l'homme, tandis que nos
voisins assaillis par des pluies continuelles l'ont
vu se dénaturer, se détruire,
s'anéantir sous leurs yeux au moment
même de la récolte, au moment
même où ils se croyaient sûrs
d'en jouir. Et c'est ainsi, mes Frères, que
par une réunion de grâces, dont
quelques-unes nous sont particulières, Dieu
frappe à la porte de nos coeurs, et semble
nous dire aujourd'hui, comme autrefois aux Juifs: Tu
célébreras
une fête solennelle
à l'Éternel ton Dieu, quand il
t'aura béni dans l'ouvrage de tes mains, et
tu seras dans la joie.
I. Mais
vous devez le comprendre, la
joie dont parle mon texte n'est point cette joie
terrestre de l'avidité qui calcule ce
qu'elle possède, ni cette joie brutale de
l'intempérance qui se
promet d'être assouvie.
C'est une joie noble et religieuse qui nous
élève à Dieu, comme à
l'auteur de toutes ces grâces. C'est cette
joie dont nous trouvons de si beaux modèles
dans nos Saints Livres, cette joie qui respire dans
ces belles paroles du Roi Prophète: O
Dieu! la
louange
t'attend en Sion: tu nous donnes le matin et le
soir des sujets de te rendre grâces! Tu as
visité la terre, tu l'as rendue
féconde; tu as multiplié ses
richesses; tu as béni les germes et les
semences: tu as couronné l'année de
tes bienfaits: les campagnes ont été
couvertes de tes dons: elles se revêtent
d'allégresse; elles élèvent la
voix et chantent l'hymne de tes
louanges
(Ps.
LXV.).
Mes Frères, telle est l'impression que doit
faire sur notre âme la vue des saisons
fertiles: et si l'on ne connaissait pas la
grossièreté, l'ingratitude du coeur
humain, on regarderait comme
impossible qu'il ne l'éprouvât pas
toujours; car cette abondance est:
1.° de tous les biens temporels celui que nous recevons le plus directement du Seigneur, et
2.° l'un des plus propres à nous émouvoir.
1.° Tout vient de Dieu
sans doute. C'est lui qui bénit l'industrie
de l'artisan, les travaux du guerrier, les calculs
du négociant; mais sa main se cache pour eux
sous le voile des causes secondes. Ils peuvent
rapporter à eux- mêmes leurs
succès: ils peuvent oublier Celui qui fait
leur
destinée.
Il n'en est pas de même du cultivateur: il
n'y a point d'intermédiaire entre son Dieu
et lui. Plus heureux, placé plus près
de toi, Seigneur, il est tel que les oiseaux de
l'air sur qui tu étends ta main pour leur
dispenser la nourriture. C'est à lui surtout
qu'on peut appliquer ces paroles pleines
d'énergie: Caches-tu
ta face! les
créatures sont troublées. Retires-tu
ton souffle?
elles
défaillent
(Ps.
CIV,
29.). Tu as
daigné, je l'avoue,
lui permettre de concourir avec toi à la
reproduction des fruits de la terre.
Tu as daigné lui donner une part dans
l'oeuvre mystérieuse de la nature; mais vous
le sentez, Chrétiens, sans le secours du
Ciel, en vain vous vous accableriez de travaux,
vous vous épuiseriez de fatigues, en vain
vous vous coucheriez tard; en vain,
devançant le lever du soleil, vous guideriez
la charrue, vous traceriez péniblement le
sillon, vous jetteriez avec art une semence choisie
dans une terre bien préparée, ou vous
tailleriez la vigne et l'arroseriez de vos sueurs,
tout cela ne servirait de rien; tout cela ne
produirait pas un seul brin d'herbe, une seule
feuille, sans la bénédiction du
Seigneur; sans la Chaleur du jour et la
fraîcheur des nuits; sans l'heureux
mélange des rayons du soleil et des douces
rosées ou des pluies bienfaisantes; sans
l'action de cet air
tour-à-tour frais, tiède et
brûlant qui féconde la terre, sans
toutes ces choses sur lesquelles vous n'avez pas la
moindre influence; en un mot, sans le travail
invisible de cette Providence qui est l'âme
de la nature.
C'est donc à toi seul, o Éternel, que
nous devons les saisons fertiles. C'est de tous tes
bienfaits celui où il nous serait le moins
permis de te
méconnaître.
2.° Ajoutons que c'est un des plus propres
à émouvoir nos coeurs. Nous avons une
disposition naturelle à nous réjouir
au spectacle de la fertilité des campagnes.
Une heureuse récolte fait éprouver
une agréable émotion à ceux
même qui n'y ont pas d'intérêt
personnel. Cela tient sans doute à un
sentiment confus de l'utilité de ces biens,
de leur nécessité, de leur influence
sur la prospérité publique; et la
réflexion ajoute une nouvelle force à
ce sentiment.
En effet, mes Frères, il est divers
présens de la Providence qui
peuvent contribuer à la
douceur de notre vie, la force, l'adresse,
l'intelligence, la gaîté, une bonne
réputation et d'autres encore: mais quel que
soit le prix de ces avantages, on ne saurait dire
qu'ils soient indispensables; on peut vivre sans
les posséder. Il n'en est pas de même
de ces alimens qui font la nourriture de l'homme et
des animaux, qui chaque jour renouvellent nos
forces et notre vie. Que deviendrions-nous, Grand
Dieu, si tu cessais de nous les dispenser? Que
deviendrions-nous, si la terre que tu as
chargée de nous les présenter,
cessait de les produire, si les saisons se
succédaient en vain, si le printemps,
l'été, l'automne passaient sans nous
offrir leur redevance
accoutumée?
Pour vous en faire quelque idées
rappelez-vous, mes Frères, ce que vous avez
éprouvé lorsqu'une seule de vos
récoltes a manqué. Quel cri de
douleur fit retentir nos campagnes, lorsque la
vigne déjà parée de grappes
fut atteinte de la gelée!
Quel n'était pas en d'autres temps votre
abattement, votre anxiété, lorsque le
vent du midi resserrant le grain encore
caché sous l'épi trompait l'espoir de
vos moissons, ou lorsqu'une sécheresse
brûlante consumant l'herbe des prairies, vous
voyiez dépérir vos troupeaux
languissans, vous étiez forcés de
livrer au fer et le boeuf laborieux et la vache
nourricière!
Si la privation ou la réduction d'un seul
des présens de l'année vous semblait
si cruelle, que serait-ce de la privation de tous!
Que serait-ce d'une stérilité
générale qui amènerait parmi
nous l'affreuse disette!
Peignez-vous un instant les horreurs de cette
famine dont le nom seul glace le coeur.
Peignez-vous vos enfans pâles et abattus,
vous demandant un pain que vous ne pourriez leur
donner. Comment achèterons-nous du
blé, s'écrient les infortunés
Égyptiens? Et, après avoir
donné en échange leur or, leurs
maisons, leurs terres, ils viennent, pour
enobtenir, s'offrir à
l'esclavage eux et leur famille ( Genèse,
XLVII.). Jacob
troublé envoie ses
fils en Égypte; il se résout,
malgré sa juste défiance, à
leur remettre Benjamin, à se séparer
de ce fils chéri, la seule consolation de sa
vieillesse (Genèse,
XLIII.). Pressé
par le besoin
impérieux de la faim, l'homme est capable de
tout: il se porte à toutes les
extrémités du désespoir et
trop souvent du
crime.
Qu'elle est douce au contraire, qu'elle est
heureuse cette sécurité que
produisent les saisons fertiles! Qu'il est doux de
voir la terre que nous cultivons nous prodiguer ses
trésors! qu'il est doux de n'avoir pas
à craindre la détresse pour les siens
et pour soi-même! Et quelle augmentation de
joie, de penser que cette même aisance, cette
même tranquillité que nous
goûtons, règne autour de nous! Quelle
consolation de penser que les indigens, les
indigensqui doivent être
l'objet de notre sollicitude la plus tendre, mais
auxquels, pour la plupart, nous ne pouvons offrir
que de faibles secours, ou du moins, des secours
suffisans, quelle consolation de penser qu'ils
auront moins à souffrir, qu'ils recevront
davantage, qu'ils auront leur part à la
prospérité publique, et qu'ils ne
demeureront pas étrangers à notre
joie!
Il est impossible sans doute que ces idées,
ces émotions n'excitent pas une vive
émotion dans une âme sensible et
religieuse. Il est impossible qu'elle ne
s'élève pas au Souverain Bienfaiteur
dans un vif sentiment de ses
gratuités.
II. Mais
en de telles circonstances ce ne
serait pas assez de le bénir en secret; ce
ne serait pas assez de faire monter jusqu'à
son trône des actions de grâces
particulières. Comme c'est ici une
bénédiction nationale, et publique,
la reconnaissance de l'homme doit avoir le
même caractère: il faut qu'il
vienne alors avec un zèle
nouveau dans la maison du Seigneur, le
célébrer avec ses frères, et
joindre ses voeux, ses louanges à celles de
l'Église. C'est alors que nos temples
doivent être remplis d'adorateurs émus
et fervens.
O mon Dieu! quel souvenir, quelle affligeante
pensée vient ici flétrir mon
âme, oppresser mon coeur! Est-ce donc
là l'effet que tes faveurs ont produit sur
nous? Cette dernière récolte, en
particulier, qui a passé de si loin notre
attente, a-t-elle ranimé notre zèle
pour ton service, notre empressement pour ton
culte?
Ah! tes temples étaient presque
déserts. Et où étaient-ils ces
ingrats qui demeuraient loin du sanctuaire, qui
n'éprouvaient pas le besoin si naturel
à un bon coeur, de rendre grâces au
Dieu qui bénit? Ils étaient tout
entiers aux soucis de la vie, se jetant, comme la
brute, sur les fruits de la terre, sans lever les
yeux vers le Ciel: ils t'offensaient, Seigneur,
pour prix de tes bienfaits; et,
sous prétexte de cette même abondance
qui vient de toi, ils troublaient la
tranquillité de tes Sabbats et profanaient
le jour que tu t'es réservé.
Ici, Chrétiens, ne pensez pas que je veuille
user d'une rigueur excessive. Je sais que sous la
Loi, Néhémie reprit avec force ceux
des Juifs qui foulaient au pressoir ou qui
portaient leurs denrées à
Jérusalem le jour du Seigneur. Je sais que
dans les beaux jours de l'Église, que
dis-je? du temps même de vos pères, on
n'aurait pas eu l'idée qu'il fût
nécessaire de prendre sur le Dimanche pour
cueillir le fruit de la vigne. Je sais qu'un
Chrétien vraiment fidèle et fervent
n'eût point trouvé dans les
circonstances un motif suffisant pour se le
permettre, et que se reposant sur la Providence, il
n'eût pas douté de pouvoir faire toute
son oeuvre en travaillant six jours. Mais je ne
suis que trop porté à accorder
quelque chose au relâchement du temps
où nous sommes et à la
dureté des
coeurs, pour
parler
le langage de l'Écriture.
Bien loin d'avoir à me reprocher à
cet égard une sévérité
inflexible, je répondrai peut-être un
jour de mon indulgence au tribunal du Souverain
Juge. Et si la première partie du jour du
Seigneur eût été
consacrée à la reconnaissance; si
j'avais eu la consolation de voir dans ce temple
une réunion nombreuse de fidèles
empressés à rendre grâces au
Ciel, j'aurais cherché moi-même des
excuses à ceux qui, après avoir
rempli ce devoir, se seraient occupés du
soin de leur récolte: j'aurais
cherché à me persuader qu'ils y
étaient forcés en quelque sorte, ou
croyaient l'être par l'embarras d'une
excessive abondance. Mais que personne ne se fasse
illusion: je dois vous le déclarer; il n'est
point d'excuse pour celui qui eu de telles
circonstances ravit à son Dieu le Dimanche
tout entier, le passe tout entier sans rien faire
pour lui, absorbé par les soins, enseveli
dans les inquiétudes de
la terre.
Tout homme qui, sans avoir commencé ce jour
sacré par rendre au Seigneur un tribut
d'actions de grâces, se permet d'en violer le
repos, n'est aux yeux du Ciel, à ceux de
l'Église, qu'un ingrat et un
profanateur.
Et comment pourrait-il goûter cette joie
douce dont je voudrais vous voir
pénétrés? Non, non, elle n'est
point faite pour lui: son coeur ne peut
l'éprouver ni même la concevoir. Il ne
connaît point l'enchantement de la
reconnaissance religieuse, de cette reconnaissance
qui nous montre dans les bienfaits de notre Dieu un
gage de son amour et de sa protection; de cette
reconnaissance qui porte à la fois dans son
âme et la sécurité de l'avenir
et l'avant-goût de grâces plus
précieuses, d'une félicité
plus pure. La pensée des présens du
Seigneur est associée pour lui au souvenir
de ses transgressions: elle doit réveiller
en lui des impressions pénibles: du moins
réduit aux sensations de l'homme
terrestre et animal, sa joie est
une joie inquiète, accompagnée
d'agitations et de soucis: c'est un fruit
assaisonné d'amertume et environné
d'épines.
Vous seuls pouvez vous réjouir, petit
troupeau qui, dans ces jours de délaissement
et de mélancolie, avez été ma
consolation! vous qui avez montré dans cette
occasion, que vous cherchez premièrement le
royaume de Dieu et sa justice (Matth.
VI,
33.), que
les intérêts
présens ne sauraient vous faire oublier les
intérêts éternels, et qui avez
su les concilier! vous qui n'avez point
cessé de venir dans la maison de Dieu avec
empressement, avec ferveur, et qui
déplorant, comme nous, l'ingratitude du
grand nombre, avez joint vos voeux aux nôtres
pour en obtenir le
pardon.
III. Mais,
indépendamment d'un
hommage public de gratitude, il est un autre devoir
compris dans la joie religieuse: il est un autre
devoir que nous imposent les
gratuités de la Providence. Ce devoir est en
général d'aimer de tout notre coeur
un Dieu qui nous comble de biens, de mettre en lui
notre confiance, d'obéir à ses lois
avec fidélité, avec zèle, et
plus particulièrement, d'entrer dans ses
vues, en faisant de ses dons l'usage auquel il les
destine; usage de charité, usage de
tempérance.
Voilà ce que vous a dit votre coeur,
fidèles qui, même avant de serrer vos
récoltes, en avez offert à notre
Sauveur les prémices dans la personne de
l'indigent, ou du moins en avez formé le
projet, en avez pris l'engagement avec
vous-mêmes! Puisse la
bénédiction du Ciel que vous attirez
sur ces contrées, fertiliser vos champs et
faire prospérer votre
maison!
Sans doute, mes Frères, c'est là un
devoir également juste et doux à
remplir dans les circonstances où nous
sommes. Eh! qui pourrait resserrer sa
main, lorsque le Seigneur ouvre
la sienne? Qui pourrait refuser au Bienfaiteur
Suprême une légère offrande de
ce qui vient de lui? Qui pourrait refuser au pauvre
une modique part de l'excès de son superflu?
Où est celui qui, ne sachant pas même
où placer les présens de
l'année, ne consentirait pas a en faire
passer quelque partie dans ce séjour
éternel où nous ne trouverons,
où nous ne posséderons de
trésors que ceux qui seront amassés
par la bienfaisance?
Non, mes chers Frères, je ne crains pas que
l'on ait à vous reprocher un tel
excès d'aveuglement et
d'insensibilité. Je me plais à
reconnaître qu'en général ce
n'est point là le vice de ce troupeau. Je me
plais à penser que dans chacun de nos
villages, les familles indigentes recevront de
leurs voisins plus fortunés quelques
provisions pour l'hiver, et pourront mêler
leur voix aux accens de la joie
publique.
Mais, hélas! puis-je m'assurer
aussi que les grâces du
Seigneur ne seront pas une occasion de chute pour
un grand nombre d'entre nous, que plusieurs d'entre
nous ne les tourneront pas en dissolution? Qu'il
serait coupable cependant celui qui oserait en
faire un si funeste usage! O Dieu! tu
te rends témoignage en nous
faisant du bien, en nous envoyant les saison
fertiles
(Act.
XIV,
17).
C'est ainsi que tu nous montres ce que tu es. C'est
ainsi que tu fais briller à nos yeux tes
perfections divines, ta puissance et ta
bonté. Et l'homme, en retour, l'homme que tu
as distingué entre toutes les
créatures mortelles, l'homme que tu as
couronné
de gloire et d'honneur
(Ps.
VIII,
6.),
l'homme que tu as formé
à ton image, au lieu de se rendre aussi
témoignage par une conduite sage et noble,
descendrait du rang où tu l'as placé,
se mettrait de niveau avec l'animal destitué
de raison, perdrait dans une joie
brutale son intelligence et sa
dignité! Il ferait de cette abondance
même que tu destinais à
répandre dans sa demeure la paix et la
sécurité, un sujet de troubles et de
désordres! Elle lui fournirait l'occasion
d'exciter les alarmes de son épouse, de
faire couler ses pleurs, de se donner en spectacle
à ses enfans!
Suis- je donc réservé, Grand Dieu,
à contempler cet affreux tableau dans ces
campagnes qui me sont si chères? Ah! s'il en
est ainsi, de tant d'épreuves diverses par
lesquelles tu m'as fait passer, o mon Dieu, ce
serait la plus cruelle, et après t'avoir vu
durant le cours d'un long ministère,
employer tour-à-tour, pour fléchir
ces âmes que tu m'as confiées, les
faveurs, la terreur de l'exemple, les menaces, les
châtimens, je serais forcé de penser
que cette abondance que tu nous envoies est un
présent de ta colère, une punition
plutôt qu'un bienfait, et que tu abandonnes
ces hommes coupables à leurs penchans
déréglés en
leur fournissant les moyens de les satisfaire.
Et lorsque, pour te venger de nos transgressions,
tu nous retirerais les saisons fertiles, lorsque
ton bras redoutable s'appesantirait sur nos
têtes, nous aurions nos malheurs à
leur reprocher; nous serions forcés de leur
dire que ce sont eux qui ont appelé sur nous
tes fléaux.
Ils se réjouissent cependant ces hommes
inconsidérés; ils se livrent à
une joie animale et grossière; mais quelle
en sera la suite? Quel sera pour eux le fruit de
cette abondance dangereuse dont ils abusent?
L'habitude funeste de l'intempérance, de
l'oisiveté, du désordre, les
divisions domestiques, la maladie, la ruine, une
vieillesse accablée de tous les maux que la
débauche entraîne après elle.
Que dis-je, une vieillesse? N'avez-vous jamais
ouï raconter l'histoire tragique de quelque
infortuné que la mort a frappé au
milieu de ses excès, dont l'âme
enveloppée des vapeurs de l'ivresse a
été
transportée soudain devant le Souverain
Juge, et dont le cadavre inanimé offrait
encore l'effrayante expression de la
débauche et du délire?
Ah! prenez garde, ce sont les paroles de votre
Sauveur? c'est la voix qu'il vous fait entendre du
haut du Ciel, prenez
garde que vos coeurs ne s'appesantissent par les
excès de la gourmandise et de l'ivrognerie.
Veillez et priez, de peur que ce jour, le grand
jour du jugement, ne vous surprenne
(Luc
XXI,
34,36.).
Mais où me suis-je emporté, mes chers
Frères? et dans ce moment où je vous
ai rassemblés pour vous entretenir des
gratuités du Seigneur et vous inviter
à vous en réjouir, faut-il que de
lugubres présages sortent malgré moi
de ma bouche? Ah! qu'ils ne se réalisent
point ces présages! Réunissons-nous
pour prévenir un si grand
malheur.
Que ceux à qui leur place et
l'autorité dont ils sont revêtus
fournissent des moyens efficaces pour
maintenirl'ordre, les
déploient tous en ce moment critique. Qu'ils
fassent exécuter avec fermeté les
ordonnances relatives à cet objet important,
et qu'ils punissent sévèrement ceux
qui oseraient y contrevenir. Qu'ils soient ainsi
les gardiens, les bienfaiteurs de nos campagnes.
Qu'ils les sauvent de leur perte. Nous les en
conjurons au nom des gens de bien, au nom de tous
les amis de l'ordre, au nom de la
société? au nom de la Religion: et
sans doute ils ne voudront pas, en laissant le
champ libre à la licence, prendre sur eux la
terrible responsabilité de tous les
excès, de tous les crimes, de tous les
accidens tragiques qui pourraient en être
l'effet.
Que les chefs de famille fassent régner plus
que jamais dans leurs maisons l'ordre et la
régularité des moeurs. Que dans ces
longues soirées d'hiver ils retiennent leurs
fils autour du foyer paternel. Qu'ils ne permettent
pas à leurs serviteurs de s'en
éloigner. Qu'ils emploient les
nombreux loisirs de cette saison
à des soins utiles, à des lectures
pieuses, et qu'ainsi ces heures dangereuses qui
pouvaient leur être en piège, tournent
au profit de l'instruction, de la vertu, de
l'intimité
domestique.
Vous tous, Chrétiens, qui êtes venus
adorer le Dieu qui nous bénit, et qui
désirez sans doute que la paix et le bonheur
règnent dans nos familles, dans notre petite
communauté, employez toute votre influence
pour retenir ceux avec qui vous avez quelque
relation. Prononcez-vous fortement en faveur du bon
ordre. Montrez avec énergie votre
dégoût, voire horreur pour la
débauche.
Tous ensemble, mes chers Frères, revenons
à notre Dieu avec sincérité,
avec abandon, avec zèle. Réparons
pendant le cours de cette saison, dont le calme est
destiné a nous rappeler à
nous-mêmes, réparons tant d'offenses,
tant de profanations, tant de jours passés
sans songer à
lui.
Et que demande-t-il de nous, si ce n'est que nous
l'aimions, que nous mettions notre plaisir à
nous approcher de lui, à être avec
lui; que nous le servions ainsi en
esprit et en vérité (Jean
IV,
24.) afin que
nous soyions heureux sur la
terre (Ephés.
VI,
3.).
Oui; c'est en nous conduisant ainsi que nous
pourrons être heureux. Alors nous pourrons
nous réjouir des bienfaits du Seigneur; nous
pourrons espérer qu'il ne nous retirera
point sa protection; nous pourrons envisager ses
faveurs temporelles comme le gage de faveurs plus
précieuses, et la félicité de
cette vie passagère sera pour nous le
présage d'une félicité plus
excellente. C'est vers elle, en effet, qu'il
faut tourner nos regards et nos pensées.
Hélas! les biens de la terre sont toujours
mêlés d'épines et d'amertume:
ilsont un caractère
d'imperfection qu'on ne sent jamais mieux qu'en les
possédant, et c'est lorsqu'ils abondent
qu'on éprouve leur insuffisance.
Exclusifs par leur nature, dès que tous les
possèdent, ils baissent de valeur; ils sont
environnés de soucis, mêlés
d'anxiété, accompagnés de
fatigue. Vous l'avez éprouvé dans
cette dernière époque; elle a
été pour tous une époque
d'embarras, de travaux excessifs, et pour
plusieurs, de peines et d'inquiétudes.
Aspirons, aspirons à ces biens
éternels qui seuls désaltèrent
pleinement le coeur de l'homme, et ne lui font
jamais éprouver ni satiété ni
dégoût; à ces biens
éternels dont le charme sera d'autant plus
doux et le prix d'autant plus grand qu'ils seront
le partage d'un plus grand nombre, et dont la
jouissance, loin d'être pour nous une
occasion de trouble et d'agitation, sera
accompagnée de la paix et du repos
éternel.
Plusieurs
disent, qui
nous fera
jouir des biens? O Éternel!
lève sur nous la clarté de ta
face (Ps.
IV,
7.)! O Dieu!
donne-nous ta
grâce qui vaut mieux que la
vie (Ps.
LXIII,
3.)!
C'est ce que nous te demandons par
Jésus-Christ, auquel, comme à toi,
Père céleste, et au Saint-Esprit, un
seul Dieu béni éternellement, soient
la gloire et l'adoration aux siècles des
siècles! Amen.
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