Après cela, Jésus, s'étant assis vis-à-vis du tronc, prenait garde à l'argent que le peuple y jetait; et plusieurs personnes riches y en jetaient beaucoup. Il vint aussi une pauvre Veuve gui y mit deux petites pièces de monnaie, qui valaient le quart d'un Sol. Alors Jésus, ayant appelé ses Disciples, leur dit. Je vous dis en vérité que cette Veuve, toute pauvre quelle est, a plus donné qu aucun de ceux qui ont mis dans ce tronc. Car tous les autres ont donné de leur superflu, mais celle-ci a donné de son indigence, même tout ce quelle avait, tout ce qui lui restait pour sa subsistance. Marc, XII, 41 - 44.
LE trait
d'histoire
que rapporte notre texte nous présente un
spectacle qui aquelque chose
à la fois d'intéressant et de
merveilleux. Une femme veuve et portant les
livrées de la misère s'approche du
tronc qui reçoit les offrandes, pour y
déposer une partie de son nécessaire.
Elle croit n'être point observée. Elle
n'aperçoit parmi ceux qui sont
rassemblés dans le sanctuaire personne dont
elle imagine fixer l'attention; et le Fils de Dieu,
le Juge du monde, celui qui sonde les coeurs,
caché sous la forme d'un simple mortel, a
les yeux sur elle; il voit avec complaisance son
sacrifice; il en relève le
prix.
Sans doute ce tableau est propre à remuer
notre coeur, à frapper notre imagination;
mais il n'est pas moins fait pour nous instruire
que pour nous
émouvoir.
Nous y trouvons un grand exemple et une grande
leçon. Une pauvre veuve exerçant la
charité la plus pure, la plus noble, la plus
attendrissante; voilà l'exemple. Le Fils de
Dieu donnant à cette
bonne oeuvre sa juste louange et nous
traçant les règles de la
bienfaisance; voilà la
leçon.
Écoutez, Chrétiens, avec
docilité ce que nous allons vous dire dans
la simplicité de notre coeur sur cet
important sujet. Qui que nous soyons, nous pouvons
en méditant ce trait de l'Évangile
faire un grand bien à notre âme: nous
pouvons apprendre à devenir toujours plus
charitables et d'une manière toujours plus
agréable au Seigneur. Dieu veuille que ce
soit là le fruit de ce discours! Ainsi
soit-il.
I. Si
l'Évangéliste
eût ajouté au récit de cet
événement dont il a voulu conserver
la mémoire, qu'il excita les murmures et le
blâme de quelques-uns de ceux qui en furent
les témoins, je n'en serais point surpris.
Nous pouvons en juger par la sensation qu'il
produirait de nos jours, par le langage que
tiendraient sans doute plusieurs personnes à
la vue d'une aumône qui leur paraîtrait
si déplacée; car tout ce qui sort de
la ligne vulgaire étonne les âmes
communes et leur paraît
exagéré.
Quoi, diraient-elles, vous avez peine à vous
procurer le nécessaire, et vous voulez
pourvoir aux besoins des autres! vous vous donnez
les airs d'être charitable! Pour être
bien entendue, votre charité ne devrait-elle
pas commencer par vous-même et se borner
à vous? Laissez, laissez aux riches le soin
des malheureux. Faire du bien, c'est le devoir et
l'avantage de leur condition; mais vous, n'ayez pas
la vanité de vouloir les imiter. Ce serait
vous mettre au niveau de vos
supérieurs, et devenir la risée de
vos égaux.
Vous le savez, mes Frères, un tel langage
n'est que trop commun, et cependant rien de plus
faux que de tels
principes.
Le devoir de la charité nous est
imposé à tous: aucun état n'a
obtenu le malheureux privilège de refuser
des secours à celui qui
souffre; ou plutôt, l'heureux
privilège de le soulager est celui de tous
les états. Tous ceux qui ont un coeur fait
pour aimer, tous ceux: qui vivent au milieu
d'hommes qui sont leurs frères doivent
s'intéresser à leur sort. Le champ
des misères humaines est si vaste que la
plus faible main peut y semer quelque
bienfait.
On le peut de mille manières, par des
consolations, des conseils, des services, par le
charme tout seul de la sympathie, en
pleurant avec celui qui
pleure (Rom.,
XII,
15.). Et
quant à l'aumône
proprement dite, si elle est un devoir plus
pressant pour celui qui est favorisé des
biens de la terre, il n'en est pas moins vrai
qu'à la réserve de l'homme qui la
reçoit, il n'est personne qui soit
entièrement dispensé de la faire,
personne qui puisse n'user de ses biens que pour
lui-même, soit qu'il les possède comme
un héritage de ses pères, soit qu'il
les aitacquis au prix de ses
sueurs. Travaillez,
dit Saint-Paul, afin d'avoir de quoi
donner (Ephés.,
IV,
28.): et ce
même Apôtre
rendait témoignage aux Macédoniens,
que dans leur extrême pauvreté ils
avaient paru riches par leur bienfaisance, en
donnant de bon coeur même au-delà de
leur pouvoir (2
Cor., VIII, 2, 3.
).
Le pauvre sans doute n'est pas obligé de
donner autant que celui qui est dans une situation
plus aisée; mais il doit donner encore d'une
manière assortie à ses
facultés. Il s'agit d'un voisin, d'un parent
dont les besoins sont plus pressans que les siens,
et qui implore son assistance. Il s'agit d'un objet
d'utilité publique, de quelque
établissement d'un intérêt
général, précieux à
l'Église et à la Patrie. Dans ces
occasions et d'autres semblables, la Religion
attend aussi son offrande; ne fut-ce que la pite de
la veuve, il ne peut la refuser sans
se montrer insensible à
la voix de son
Dieu.
Pénétrée de ce devoir
sacré, la sainte femme que nous vous
proposais pour modèle, n'écouta point
le langage d'une prudence toute mondaine. Je suis
pauvre, il est vrai, se dit-elle à
elle-même; mais je ne violerai point le
commandement du Seigneur; je mets en Dieu ma
confiance: Celui
qui
donne au cultivateur de quoi semer ne m'abandonnera
pas: il est puissant pour fournir à mes
besoins et pour me mettre en état de
multiplier mes bonnes oeuvres(2
Cor., IX, 10.).
Je suis pauvre, il est vrai; mais c'est
précisément ma pauvreté qui me
fait désirer de la soulager dans autrui. Les
malheurs m'ont rendue sensible. Qu'il me sera doux
de redoubler d'activité, de travail, pour
adoucir le sort de quelque infortuné, pour
contribuer à bannirdu
coeur d'un de mes frères la douleur qui se
renouvelle si souvent au fond du
mien.
Que dis-je? c'est parce que je suis pauvre, oui,
c'est parce que je suis pauvre que je trouve une
jouissance plus délicieuse, que je
goûte un plaisir plus doux à
présenter au Seigneur ce tribut. Il connait
mon indigence; il me tiendra compte d'un sacrifice
inspiré par son
amour.
On me parle de mes besoins. Ils sont
très-bornés. Accoutumée aux
privations, il m'en coûtera peu de faire
encore quelque sacrifice. Mes premiers besoins sont
de secourir l'infortuné, de goûter le
plaisir de faire du bien. Mes premiers besoins sont
de témoigner à l'Éternel ma
reconnaissance pour les grâces dont il m'a
comblée. Mes premiers besoins sont de
m'attirer la bénédiction de mon Dieu,
de m'amasser un trésor de bonnes oeuvres
pour l'éternité. Mes premiers
besoins, ma nourriture,
ma
vie,
c'est de faire la volonté
de mon père qui est au Ciel
(Jean,
IV,
34.).
Mais si l'exemple de cette veuve pieuse nous
présente la charité dans son
héroïsme, les éloges que lui
donna le Sauveur répandent un grand jour sur
cette vertu: ils sont propres à nous en
donner les idées les plus étendues et
les plus justes.
II. 1°
Quand je vois Jésus
regarder avec intérêt les dons offerts
dans le temple de Jérusalem, la
première idée dont je suis
frappé, c'est que l'aumône est une
partie essentielle du culte que nous rendons au
Seigneur, et que c'est là un devoir à
l'observation duquel il veille d'une façon
toute
particulière.
Déjà sous la Loi Dieu avait
donné ce précepte à son peuple
(Deutér...
XVI, 16,
17.): Nul
ne se présentera à
vide devant la face de l'Éternel; mais
chacun donnera à proportion de ce qu'il
aura, et selon
la bénédiction que
l'Éternel son Dieu aura répandue sur
ses affaires.
Les Apôtres inspires par le Saint-Esprit, en
réglant la forme du culte chrétien,
n'oublièrent pas d'y faire entrer
l'aumône. Chaque Dimanche l'assemblée
des fidèles se terminait par une collecte en
faveur des indigens. Voici ce qu'écrivait
Saint-Paul aux Corinthiens sur ce sujet: A
l'égard
des
aumônes qu'on recueille pour Les Saints, que
le premier jour de la semaine chacun mette à
part et apporte ce qu'il pourra, selon
l'état de ses affaires
(I
Cor., XVI, 1, 2.).
Il en devait être ainsi sous l'empire d'une
Religion qui fait de l'amour de Dieu et des hommes
l'essence de la morale, le sommaire de la Loi; sous
une Religion dont le Chef, Héros et Martyr
de la charité, nous déclare qu'il
regarde comme fait à lui même ce que
nous ferons pour les plus petits de ceux qu'il
daigne appeler ses frères, et
s'engage à nous le
rendre. Comment pourrions-nous espérer que
notre culte fût agréable au Seigneur,
que nos requêtes fussent exaucées, si
nous refusions d'avoir égard à celle
qu'il nous présente lui-même en faveur
du pauvre, si nous lui refusions ses offrandes
religieuses, dont il nous dit qu'elles sont la
Religion
pure, et
sans lâche, le sacrifice auquel il prend
plaisir?
(Jaq.,
I,
17; Hébr.,
XIII,
16.)
Ah! celui qui aime Jésus aime aussi les
pauvres. Ne pouvant faire monter son bien
jusqu'à son Sauveur, il en fait part
à ceux qui le représentent. C'est
à Jésus qu'il paie, comme un tribut
volontaire, comme l'hommage de son coeur, ce qu'il
peut consacrer au soulagement des
misérables: ses aumônes font partie de
sa dévotion; et c'est en les envisageant
sous ce point de vue qu'il y trouve le plus de
douceur.
2.° Disons
aussi et
c'est une vérité qu'on peut
déduire de mon texte,
disons que cette offrande de charité que
nous présentons à Dieu dans son
temple lui est particulièrement
agréable, qu'elle a pour l'ordinaire plus de
prix à ses yeux que les secours
accordés aux pauvres en d'autres
circonstances.
Ici, Chrétiens, je suis loin de vouloir
déprimer les aumônes
particulières. Ce sont elles, je le sais,
qui nourrissent et développent la
sensibilité: elles nous font connaître
les besoins de nos semblables; elles nous
accoutument à nous en occuper, à y
prendre intérêt; elles tirent de notre
âme des mouvemens, des témoignages de
bienveillance et de sympathie qui ajoutent à
nos dons un nouveau prix, une nouvelle consolation
pour ceux qui en sont l'objet; et, relativement
à nous-mêmes, elles dilatent, elles
attendrissent notre coeur qui s'émeut
délicieusement aux accens des
bénédictions qu'elles nous attirent:
elles forment entre les hommes un doux
échange de compassion et
de reconnaissance: elles
rapprochent par le plus aimable des liens, celui
des bienfaits, deux classes qui deviendraient sans
elles étrangères l'une à
l'autre et peut-être ennemies, la classe de
ceux qui ont du superflu et la classe de ceux qui
manquent du nécessaire.
Ainsi celui qui n'exercerait jamais la
charité par lui-même, qui ne serait
jamais entré dans la chaumière du
pauvre pour le soulager par ses propres mains,
serait étranger aux plaisirs les plus
touchans de la vie; il ne connaîtrait
qu'imparfaitement les mouvemens et les sollicitudes
de la charité, et n'en remplirait pas
entièrement les
devoirs.
Cependant, mes Frères, je ne crains pas de
le dire, l'offrande que nous déposons dans
le Sanctuaire a plus de prix encore aux yeux du
Seigneur, parce qu'elle remplit sa destination
d'une façon plus entière et plus
certaine, c'est-à-dire, qu'elle est plus
particulièrement consacrée à
Dieu, plus sûrement utile à
l'indigent.
J'ai dit plus particulièrement
consacrée à Dieu. Dans quelque
occasion que le fidèle exerce la
charité, sans doute son coeur et ses regards
s'élèvent avec émotion vers le
Seigneur pour lui en offrir le tribut; mais dans ce
temple il serait plus difficile, plus impassible de
séparer ces deux idées. L'image de
notre Créateur, l'image de notre divin Chef
nous est présenté ici plus qu'en
aucun autre lieu. Nous sommes sous ses regards; il
est ici au milieu de nous; la piété
préside à nos aumônes; elle-
même les sollicite: c'est sous la forme d'une
offrande que nous les présentons; nous les
remettons en quelque sorte au Seigneur, avant de
les offrir au pauvre: elles demeurent dans sa
maison avant de passer dans la cabane du
misérable.
Je dis encore qu'elles
remplissent en général plus
sûrement leur destination.
Un simple particulier ne peut
connaître ni les besoins de tous, ni la
proportion de ces besoins: quel
que soit son discernement, il
peut être souvent trompé; il peut
l'être plus aisément que ceux dont
l'état et le devoir exigent qu'ils
s'informent exactement, qu'ils connaissent dans
tous les détails la situation et le
caractère des malheureux. Les plus dignes
d'intéresser, ceux qui ne sont point
familiarisés avec la honte de recevoir, se
tiennent à l'écart; ils craindraient
de dévoiler leurs besoins, mais leur coeur
s'ouvre à la voix d'un Pasteur qui est leur
confident naturel et le dépositaire
accoutumé de leurs peines. C'est vers lui
qu'un mouvement de sympathie les conduit dans les
jours de leur
détresse.
Quelle différence encore entre ces
aumônes recueillies dans nos temples et
destinées à soulager les enfans de la
patrie, nos concitoyens, et celles que l'on
distribue à la porte de nos demeures,
à ces mendians de profession dont la
démarche seule et l'aspect annoncent trop
souvent que c'est un rôle
qu'ils jouent; qui, lors
même que leur extérieur est plus
simple et plus vrai, nous mettent toujours dans
cette cruelle alternative, ou de refuser
peut-être notre assistance à un
être souffrant, ou de nuire à la
société en encourageant la paresse et
l'artifice!
Ah! je ne veux point rétrécir vos
coeurs et resserrer vos entrailles; j'applaudis
à cette charité respectable dans sa
crédulité même, et qui dans le
doute aime mieux risquer d'être abusée
que de refuser à un seul misérable
des secours nécessaires; mais je dois
pourtant, puisque mon texte m'en fournit
l'occasion, vous faire sentir quelle distance il y
a entre ce genre d'aumônes dont des inconnus
sont l'objet, qu'on accorde souvent à
l'importunité, et celles que la
piété dépose ici pour le
soulagement de nos frères, de ceux qui ont
sur nous les droits les plus pressans et les plus
sacrés.
Ajoutons enfin a l'égard de ces
dernières, qu'elles acquièrent par
leur réunion bien plus de
consistance et une valeur plus grande. Cette
réflexion s'adresse surtout à ceux
qui ne peuvent offrir qu'un léger tribut. Ce
petit secours isolé produirait peu d'effet,
tout au plus le soulagement d'un instant ou d'un
jour: c'est une goutte d'eau qui se perd ou
s'évapore en tombant; mais cette
chétive offrande, réunie à
beaucoup d'autres, forme une masse
considérable. Elle contribue à
entretenir, à alimenter cette source
bienfaisante qui coule dans le champ de
l'Église pour désaltérer
l'affligé. Ainsi des filets d'eau qui se
perdaient dans les sables et n'étaient
d'aucun usage, dès qu'on les réunit
dans le même canal, forment un ruisseau qui
va porter au loin l'abondance et la vie. Il n'est
donc pas étonnant que le Sauveur du monde
ait paru distinguer les aumônes qui se
faisaient dans le temple. Mais quel jugement
porta-t-il sur celle de la veuve en
particulier?
3.° Je
vous dis
en
vérité que cette
veuve
toute pauvre qu'elle est, a plus
donné que tous ceux qui ont mis dans le
tronc. Car tous les autres ont donné de leur
superflu, mais celle ci a donné de son
indigence, même tout ce qu'elle avait, tout
ce gui lui restait pour sa
subsistance.
Ces paroles sont bien remarquables, mes chers
Frères; on ne peut les entendre sans faire
un retour sur soi-même pour se demander si
nos aumônes ont ce caractère de
privation, de sacrifice, qui rendit celle dont il
est question dans notre texte, si
intéressante aux yeux de Jésus. La
suite naturelle de cet examen doit être un
sentiment d'humilité chez ceux qui donnent,
non de leur nécessaire, mais de leur
superflu; et je comprends dans cette classe
non-seulement les personnes favorisées de la
fortune, mais toutes celles qui jouissent de
quelque aisance.
Sans doute, mes Frères, c'est un beau
spectacle pour le Ciel et pour la terre qu'un
riche, bienfaisant
et
craignant Dieu, humble au milieu de tout ce qui
nourri l'orgueil, détaché des sens au
milieu de tout ce qui les flatte, possédant,
sans y mettre son coeur, tout ce qui séduit
les faibles humains. Un tel homme est en quelque
sorte le héros et la merveille de la foi.
C'est un Abraham dont la
générosité se répand au
loin. C'est un Tobie que bénissent les
enfans de son peuple. Il est à la fois
l'ornement, l'exemple et le soutien de la
société dont il est membre. Ses
concitoyens le révèrent: le pauvre le
bénit; il salue de loin sa demeure avec
émotion, et les voeux que sa bouche
profère montent jusqu'au trône de
l'Éternel.
C'est encore un objet bien digne de nous
intéresser, qu'un chef de famille dont la
Providence bénit l'industrie et les travaux,
dont la maison, embellie par l'ordre et par une
aisance modeste, nous offre l'image des antiques
moeurs, des vertus patriarcales, l'union, la
piété, la
bienfaisance, l'hospitalité naïve; qui
fait part de son abondance à tout ce qui
l'approche; qui ne renvoie jamais à vide
celui qui l'implore; qui, aux douces époques
des récoltes, se fait un devoir sacré
de payer a l'Éternel, dans la personne du
pauvre, la dîme de ses moissons et de ses
fruits. En sortant de ses domaines, les indigens
tournent la tête pour le voir encore et le
bénir; ils s'éloignent joyeux et
reconnaissans, chargés de la javelle
dorée; ils font des voeux pour la
conservation de sa fortune; ils demandent au Ciel
pour lui des saisons fertiles; ils regardent sa
prospérité comme la leur
propre.
Ce sont là des citoyens précieux
à l'Église et à la Patrie, et
sur lesquels la pensée se repose avec
attendrissement. Avouons-le cependant, mes
Frères, quelque doux parfum qu'exhale leur
bienfaisance, quelque éclat qu'elle jette,
l'aumône du pauvre, cette aumône
obscure, inconnue des hommes qui
ne daigneraient pas même y
arrêter leurs regards doit avoir plus de
mérite aux yeux du Seigneur. Placée
dans la balance éternelle, elle pèse
plus qu'aucune autre; elle est inscrite avec plus
de distinction dans les registres
célestes.
N'en soyons pas surpris, mes Frères j elle
se présente sous les traits d'un sacrifice.
Le citoyen aisé, après avoir paye son
tribut, retrouve chez lui les mêmes
commodités, les mêmes douceurs, les
mêmes ressources: sa situation n'a point
changé; on peut dite qu'en donnant il n'a
rien perdu, et ne s'est privé de rien; mais
le pauvre retrouve dans sa demeure un
surcroît de travail et d'indigence, des
besoins plus pressons, des privations plus dures;
il a rendu plus pesant un fardeau
déjà difficile à porter; il a
rendu plus pénible une situation
déjà pénible; il a
donné de son
nécessaire.
L'effet de cette réflexion ne doit pas
être seulement de nous inspirer un sentiment
d'humilité en comparant
son sacrifice au nôtre;
elle doit encore animer la charité de ceux
d'entre nous qui sont au-dessus du besoin ou
favorisés des biens de la terre. Cet exemple
doit leur faire comprendre quelle proportion leurs
aumônes doivent avoir avec leur fortune,
jusqu'où elles doivent s'étendre,
quelle place elles doivent occuper dans leur vie,
pour acquérir aux yeux du Seigneur ce
caractère de dévouement et de
sacrifice qui leur donne un si grand
prix.
4.° Mais
si
les paroles
du Sauveur sont propres à donner aux riches
ces leçons salutaires, elles sont faites
pour exciter une vive émotion, pour allumer
une généreuse ardeur dans l'âme
de ceux qui ne peuvent remplir le devoir de
l'aumône, sans se condamner à quelque
privation.
Sans doute il leur en coûtera plus
qu'à d'autres de le remplir; mais aussi leur
gloire en sera plus grande et leur
récompense plus belle: ils pourront
s'appliquer cet éloge du Sauveur
du monde: En
vérité, je vous dis
que ceux-ci ont plus donné que tous les
autres. Il
semble que
ce trait de nos Saints Livres soit rapporté
exprès pour eux, pour les consoler de
n'avoir que peu à offrir, pour les
encourager à présenter ce peu, dont
l'offrande est si précieuse au
Seigneur.
Résisteront-ils à l'attrait d'un tel
exemple? Diront-ils en eux-mêmes? ce que je
possède m'est nécessaire; je ne peut
rien en détacher. Mais, mon cher
Frère, n'en employez-vous aucune partie pour
satisfaire vos passions, votre sensualité,
votre vanité? Et vous refuseriez au Seigneur
le même sacrifice! Vos besoins sont-ils aussi
pressans qu'étaient ceux de la veuve que
nous vous proposons pour modèle? Elle donna
de son indigence, dit le Sauveur. Feriez-vous de
vos biens un abandon aussi universel? Ah! prenez
garde que cette excuse n'ait son principe dans une
secrète sécheresse du
coeur, dans un attachement trop
grand aux biens du monde, dans un désir
criminel de vous conserver toute entière la
portion que vous en
avez.
La crainte de l'avenir vous retiendrait-elle? Nous
direz-vous que tout ce que vous pouvez
épargner sur vos besoins particuliers doit
être mis en réserve pour les accidens
imprévus, pour les temps fâcheux? Sans
doute, mes Frères, la prudence veut qu'on
s'en occupe, mais la meilleure précaution
que vous puissiez prendre pour cet avenir qui vous
inquiète, c'est de vous assurer un
protecteur puissant, capable de subvenir à
vos besoins.
Eh, quoi! vous défieriez-vous de la
Providence? Révoqueriez- vous en doute sa
sagesse et ses bontés, malgré
l'expérience que vous en avez faite tant de
fois? Voudriez-vous être le prudent du
siècle, vous faire votre sort à
vous-mêmes et ne compter que sur vous? Et ne
craignez-vous point que le Seigneur ne vous laisse
égarer dans vos propres
voies, qu'il ne vous abandonne
à vos propres efforts, qu'il ne les
bénisse pas?
Alors s'accompliraient en vous ces menaces de
l'Éternel: Vous
semez beaucoup, mais la moisson est chétive.
On regardait à beaucoup, et voilà
tout est revenu à peu, parce que j'ai
soufflé dessus
(Agg.,
1,
6, 9.), Mais
qu' est-il dit de l'homme
charitable? Celui
qui
donne au pauvre n'éprouvera point de
disette. Celui qui en a pitié prête
à l'Éternel qui lui rendra son
bienfait
(Prov.,XIX,
17; XXVIII,
27.). Ah! soyez
assidus au travail; ayez
de l'ordre dans vos affaires, de l'économie
dans votre maison, de l'éloignement pour les
débauches, et livrez-vous sans crainte aux
sentimens d'un coeur humain. Comptez alors sur la
bénédiction de Dieu; comptez que vos
aumônes se placent comme un
dépôt dans son sein paternel: comptez
sur l'accomplissement de cette
promesse qui est faite à vous et à
vos enfans (Hébr.,
XIII,
5.): Je ne
vous laisserai point; je ne
vous abandonnerai point. Donnez, et l'on, vous
donnera (Luc.,
VI,
38.).
C'est donc pour vous-mêmes, Chrétiens!
c'est pour vos vrais intérêts, vos
intérêts présens et
éternels, que je souhaite porter la
persuasion dans vos âmes, et vous trouver
dociles aux leçons du Sauveur. C'est pour
vous faire éprouver la vérité
de cette parole de l'Écriture: L'homme
bienfaisant se
fait du bien, à
lui-même
(Prov.,
XI,
17.). C'est
pour vous assurer toutes les
bénédictions de Dieu, toutes les
récompenses promises à la
charité.
Pour la plupart, vous ne pouvez donner que peu;
donnez-le avec plaisir, de bon coeur, à
propos, en suivant les règles que nous avons
tracées; et ce
Jésus qui prenait garde aux offrandes que
présentaient les Juifs, aura les yeux sur la
vôtre. Si vous avez à coeur de lui
montrer que vous êtes animés de son
esprit, que vous ressentez pour le pauvre quelque
chose de cette compassion qu'il a ressentie pour
nous, n'en doutez pas, il recevra avec bonté
cet hommage de votre reconnaissance, il remplira
vos coeurs de joie, et vous rendra au centuple
votre bienfait. Amen.
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