Choisissez qui vous voulez servir. Pour moi et ma maison, nous servirons l'Eternel. Le Peuple répondit : A Dieu ne plaise que nous abandonnions l'Éternel pour servir d'autres Dieux ! ... Nous servirons l'Éternel, car il est notre Dieu... Josué dit donc au Peuple : Vous êtes témoins contre vous-mêmes que vous avez choisi l'Éternel pour le servir. Et ils répondirent : Nous en sommes témoins. Jos., XXIV, 15 et suivans.
En écoulant ces
paroles, mes chers Frères, votre coeur ne
s'est-il pas ému du rapport qu'elles offrent
avec ce qui s'est passé au milieu de nous,
avec les sentimens que nous avons fait
paraître, les
résolutions que nous avons prises, les
engagemens par lesquels nous nous sommes
liés?
A la vue du relâchement qui gagnait dans nos
campagnes, et du jour du Seigneur qui tombait dans
le mépris, les Chefs de notre petite
société, les Principaux du pays, les
Anciens de l'Eglise ont partagé l'effroi de
leur Pasteur. Persuadés que la Religion tout
entière tient à l'observation du
Sabbat, comme la Morale à la Religion, et le
bonheur des Peuples à la Morale, ils se sont
hâtés de fermer l'abîme sous nos
pas, de faire une sainte ligue des amis de la
piété, des disciples de Jésus
; d'élever un tribunal de l'opinion devant
lequel eussent à rougir les profanateurs.
Ils ont rassemblé les enfans de
l'Église, tous les membres de la
Communauté ; et, mettant sous leurs yeux le
mal et le remède, montrant avec
énergie les sentimens dont ils
étaient pénétrés, ils
les ont pressés de s'unir à eux en se
liant des mêmes promesses; ou
plutôt, se fiant à
la justice de leur cause, au pouvoir de l'exemple,
au coeur de leurs frères, ils se sont
écriés : Pour
moi et ma maison, nous servirons
l'Eternel.
Alors,
animé du même esprit, tout le peuple a
répondu, (o mon Dieu ! sois à jamais
béni de cette résolution
fortunée ! ) tout le Peuple a répondu
: C'est
l'Eternel que
nous voulons servir, car il est notre
Dieu.
Avant de me livrer aux douces et profondes
émotions qu'élève ce souvenir
dans mon âme, je dois rappeler deux grandes
idées qui naissent de mon sujet.
1.° L'influence de la piété chez les Principaux.
2.° La Sagesse d'un Peuple qui suit l'exemple salutaire qu'il en reçoit.
Dieu veuille bénir
cette méditation, et fortifier par sa
grâce les sentimens qu'il a mis
lui-même dans nos coeurs ! Ainsi soit-il.
I. De tous
les moyens de
porter les âmes à
la vertu, la voix, l'exemple du Juste est le plus
efficace comme le plus doux.
L'autorité sans doute est un moyen puissant
de contenir les hommes. Que de maux elle peut
prévenir ! Que de biens elle peut
opérer! Avouons-le cependant, elle se borne
à régler les dehors ; elle n'agit
point sur l'âme, ne l'échauffe point,
n'en fit jamais sortir une résolution
généreuse.
De sages conseils peuvent rappeler celui qui
s'égare, encourager le jeune homme à
marcher dans les sentiers de la justice ; mais ils
n'ont pas le même effet dans toutes les
occasions, chez tous les caractères ; ils ne
peuvent se passer de l'exemple: démentis par
la conduite de celui qui les donne, ils excitent
l'indignation ou le sourire du mépris.
L'exemple est d'un effet plus
général, d'un effet presque
irrésistible. Il fait rougir le
pécheur sans
révolter ses passions,
sans offenser son amour- propre; il persuade
l'esprit, touche le coeur, frappe l'imagination, se
grave dans la mémoire, présente sous
des traits sensibles ces vertus qui, pour
être adorées, n'ont qu'à se
montrer à nos yeux. Il agit par une
influence constante, tantôt douce et
secrète, tantôt forte et
pénétrante. II entraîne les
hommes à la fois par cet instinct
d'imitation auquel ils cèdent malgré
eux, sans le savoir, sans pouvoir s'en
défendre, et par cet invincible ascendant
que les âmes nobles, ardentes, exercent sur
les autres âmes.
Combien l'exemple a plus de pouvoir encore,
d'éclat, d'attrait, d'autorité, quand
il est donné par ceux qui ont quelque
supériorité sur leurs semblables,
ceux qu'on regarde, qu'on écoute, qu'on
admire, à qui l'on s'honore de ressembler,
les Pères, les Maîtres, les
Magistrats, les Principaux ! C'est alors
qu'où peut tout en attendre. Un
saint Roi détruit les
idoles, Israël est
régénéré. Sur un grand
théâtre, sans doute, les effets de
l'exemple sont plus étendus, plus frappans;
mais ils ne sont pas moins réels, pas moins
précieux dans une petite
société dont tous les membres sont
placés les uns auprès des autres.
Heureux ceux qui font servir au bien des
hommes, à l'avancement du règne
du Seigneur, les dons qu'ils tiennent de sa
bonté, la situation où les a mis sa
Providence ! Ce
sont
des flambeaux,
dit
l'Écriture, ce
sont des flambeaux placés sur un lieu
élevé, pour éclairer ceux qui
les entourent
(Matth.
V,
15). C'est à
eux que s'adressent,
dans un sens plus particulier, plus pressant, ces
belles paroles du Sauveur : Que votre
lumière luise devant les hommes, afin que
voyant vos bonnes oeuvres, ils glorifient votre
Père qui est au Ciel (Matth.
V,
16)
Qu'ils seraient coupables s'ils faisaient tourner
au malheur de la société, à la
perte de leurs frères, ces moyens puissans
d'influence qui sont entre leurs mains ; s'ils
méconnaissaient, s'ils trahissaient la noble
et touchante vocation qu'ils ont reçue du
Ciel ! Mais qu'il est beau de les voir la remplir
avec fidélité !
Que j'aime à voir un homme distingué
par son rang, sa fortune, ses lumières,
donner un nouveau lustre aux vertus
chrétiennes, employer au maintien du bon
ordre son crédit, son autorité ;
faire respecter en sa présence et autour de
lui la pudeur, l'équité, la foi !
Que j'aime à voir un chef de famille, un
maître, chéri de ses enfans,
révéré de ses serviteurs,
changer sa demeure en un sanctuaire où
l'oeil ne peut rien voir et l'oreille rien entendre
qui ne soit propre à rendre meilleur;
faire observer dans sa maison,
dans ses domaines, la loi de l'Éternel, le
repos du Sabbat, et soumettre au joug du Seigneur
tous ceux qui lui sont soumis à
lui-même !
Que j'aime à voir un Ancien du troupeau,
considéré par sa sagesse, son
intégrité, son expérience,
réprimer le scandale, arrêter le
profanateur, intimider le vice, non-seulement par
la chaleur de son zèle et les droits de sa
place, mais par sa constante
fidélité, par l'autorité de sa
vie, par sa seule présence !
Que j'aime à voir une Épouse, une
Mère, objet d'amour et de respect dans sa
maison, bénie de ses voisins qu'elle oblige
et du pauvre qu'elle soulage, joindre la
piété à la bonté,
élever au Seigneur, par son aimable exemple,
les coeurs qui se portent vers elle, qui s'ouvrent
à sa voix et s'émeuvent à son
aspect !
Qu'il est beau de voir toutes ces
personnes distinguées par
les dons de la nature ou de la fortune, les
relations qu'elles soutiennent, la place qu'elles
occupent, se rendre dans les parvis sacrés
avec ceux qui sont sous leur garde, et mettre leur
gloire à s'humilier devant le
Très-Haut! Qu'il est beau de les voir
défendre avec force, avec chaleur les droits
de la piété, et se montrer les appuis
de la Religion, de la Morale, qui sont
elles-mêmes les grands appuis de la
Société !
Tel était Josué, ce digne successeur
de Moïse, cet illustre chef des
Hébreux. Pressé du désir de
les attacher à Dieu pour jamais, il les
rassemble; il leur retrace avec force les bienfaits
et les droits du Souverain; il déploie en
leur présence la douleur d'une âme
religieuse qu'afflige profondément
l'infidélité du grand nombre, mais
qui n'eu chérit que davantage le culte
abandonné de son Dieu, et fût-elle
seule à lui rendre hommage, n'en serait
que plus ardente à
l'adorer. Pour
moi et
et ma maison,
leur
dit-il, nous
servirons
l'Eternel. Que
cette
voix d'un Chef respecté était propre
à remuer Israël, à ranimer en
lui la fidélité, l'amour qu'il
devait au Dieu de ses pères! Heureux les
enfans de Jacob, de posséder un
Josué; plus heureux de ne point
résister au noble mouvement qu'ils
reçoivent de lui! Ils s'écrient d'une
voix unanime ! A
Dieu
ne plaise que nous abandonnions l'Eternel...! Nous
servirons l'Eternel, car il est notre
Dieu.
II. Et Vous
aussi M. C. F., en
voyant vos Chefs et les principaux d'entre vous se
déclarer pour Dieu comme Josué, vous
avez tenu le même langage qu'Israël;
vous n'avez point fermé votre coeur à
l'heureuse impression d'un exemple
généreux; vous avez promis de servir
l'Éternel, d'obéir à
l'Éternel; vous avez senti que rien n'est
plus juste, plus sage, plus
avantageux que cette obéissance.
Eh! ne faut-il pas le servir, ce Dieu qui nous a
formés, dont la présence remplit
l'Univers? L'homme qui trouve partout autour de lui
et en lui-même l'image du grand Être,
résisterait-il à cette impulsion
délicieuse et puissante qui le porte
à tomber à ses pieds.
Servir Dieu, c'est servir le Maître auquel
nous appartenons, de qui nous dépendons, qui
peut nous conserver ou nous réduire en
poudre, nous
sauver ou
nous perdre
(Jaq.,
IV,
12), qui a
sur nous tous les droits que
donnent le suprême pouvoir et la
suprême bonté, auquel nous tenons par
les liens les plus forts, les plus pressans, par
tout ce qui remue le coeur et l'imagination, les
bienfaits passés, présens, à
venir, la crainte et l'espérance.
Servir Dieu, c'est prendre pour guide cet
Évangile, le plus beau présent
que le Ciel ait fait à la
terre; cet Évangile, qui nous
présente un système de morale et de
doctrine achevé, parfait, dont toutes les
méditations des Savans, les codes des
Législateurs, les préceptes des
philosophes n'ont jamais approché.
C'est dans le coeur de l'homme qu'il met le
principe de ses devoirs, et le mobile de ses
vertus; il retrace en lui deux sentimens
gravés par son Auteur, mais effacés
par les passions; deux sentimens applicables
à tous les cas, et suffisant pour
régler la vie : amour de Dieu, amour des
hommes, voilà l'Evangile.
Zèle pour le Très-Haut,
dévouement pour ses frères,
indulgence pour autrui,
sévérité pour soi-même,
désintéressement,
élévation d'âme,
humilité, résignation,
espérance, voilà la vertu du
Chrétien. - Servir Dieu c'est pratiquer
cette vertu, c'est suivre des lois dictées
par la Sagesse éternelle, des lois qui ont
pour but de nous rendre heureux. - Je vous le
demande, M. F., entre les
commandemens du Seigneur, quel est celui que vous
pourriez retrancher sans faire une plaie à
la Société?
Je n'entrerai point dans un champ si vaste, mais
j'en prends un qui semble particulièrement
relatif à Dieu lui-même et à sa
gloire; Souviens-toi
du jour du repos pour le sanctifier.
C'est pour nous, c'est pour
l'intérêt de notre bonheur
qu'il ut dicté. Est il un devoir, plus
noble et plus doux que ce culte, - ces hommages qui
nous unissant à notre Dieu, nous unissent
les uns aux autres?
Est-il un devoir plus noble et plus doux que
d'adorer ensemble notre Père céleste,
de venir, confondus dans cette enceinte,
mêler ensemble nos émotions, nos
sentimens, nos voeux, nos accens, nos
prières? Et quel bienfait, Chrétiens,
quel bienfait que cette instruction publique,
distribuée dans nos temples par les
Ministres de Jésus, tantôt comme un
lait pur, tantôt comme une viande solide!
Qui peut dire l'influence de cette Institution
unique en son genre, qui met à la
portée des hommes les plus simples toutes
les vérités de la morale, jadis
imparfaitement connues des Sages eux-mêmes,
et les rend aussi communes que l'air qu'on
respire!
Qui peut dire l'influence de cette institution qui,
nous arrachant aux soucis, aux passions de la
terre, nous force d'entendre la voix solennelle de
notre conscience, de notre Dieu, place devant nous
les grands objets de la foi, le jugement,
l'éternité!
Tu ne feras
aucune
oeuvre ce jour là.
Mais ce repos, ordonné par le
Souverain, c'est encore pour notre avantage, pour
l'avantage de notre âme et de notre corps
qu'il nous est imposé. La nature le
réclame ; ceux qui refuseraient de le
goûter au septième jour
épuiseraient leurs forces, avanceraient pour
eux les infirmités et la mort, ou
plutôt (car cet excès meurtrier ne
sera jamais celui du grand nombre) pressés
par le besoin de repos, ils s'y
livreraient dans un autre temps. Et qu'en
arriverait-il? Ce ne serait plus un loisir heureux,
bienfaisant, sanctifié par la Religion,
limité par elle, donné aux
pensées du salut, et aux soins du Ciel, mais
un intervalle dangereux, funeste, abandonné
tout entier au plaisir, réglé par la
passion toute seule, qui ne dit jamais c'est assez,
qui épuise la coupe jusqu'à la
lie.
Ainsi, par une suite naturelle, naîtraient
d'un travail défendu, le libertinage, la
débauche, le dégoût, l'abandon
du travail lui-même. Ce n'est point là
une vaine conjecture: j'en appelle à
l'expérience. De tout temps les hommes de
moeurs irrégulières firent peu de cas
du Sabbat, tandis que les plus laborieux, les plus
sages en furent les religieux observateurs. - II y
a plus : la cessation du travail est absolument
liée au devoir du culte. Si nous
étions jamais assez infortunés pour
que le jour du Seigneur fût confondu avec les
autres jours, ces temples
seraient déserts.
Et que deviendraient des hommes absorbés par
les soins de la vie, des hommes qui ont peu de
temps à donner à la réflexion,
au développement des facultés de
l'esprit? que deviendraient-ils, quand ils
n'entendraient plus la voix touchante, les
leçons simples et sublimes de la Religion?
Nous ne saurions nous le figurer, nous qu'elle a
formés dès nos premières
années: le souvenir de ses instructions
répandrait long-temps des clartés
dans notre âme, comme le crépuscule
éclaire nos pas après le coucher du
soleil. Mais quel avenir, quelle nuit profonde,
effrayante, le mépris du jour du Seigneur
amènerait pour nos malheureux enfans! Quelle
société où régneraient
les passions farouches, grossières, la
barbarie des nations sauvages, jointes à la
corruption des peuples civilisés ! Ah! sans
doute, ils sont bien insensés ou bien
coupables, ceux qui ne craignent pas d'affaiblir le
respect des jours sacrés,
ceux qui ne voient pas les conséquences
désastreuses des profanations, ou qui osent
les braver!
Que n'aurais-je pas à dire encore? Je n'ai
parlé jusqu'ici que des conséquences
premières et directes; je ne vous ai pas
montré le Tout-Puissant vengeur de son culte
et de sa loi ; je ne vous ai pas fait voir son bras
redoutable étendu sur les nations
criminelles, et ses fléaux volant pour les
punir. Toute l'histoire d'Israël n'est qu'une
alternative d'infidélités et de
châtimens. Aussi l'image douloureuse, des
maux qu'ils ont soufferts ajoute une force
puissante à la voix de Josué, et les
presse de revenir à leur Dieu. Ils savent combien
c'est
une
chose amère, d'abandonner
l'Eternel
(Jérémie
II,
19).
Et nous, M. F., ne l'avons-nous pas
éprouvé ? Hélas !
qu'avons-nous gagné à offenser le
Seigneur, à provoquer son courroux? Combien
de fois le souvenir des jours de
nos pères, la comparaison de leur sort au
nôtre n'est-elle pas venue attrister notre
imagination, Verser l'amertume dans notre
âme! Combien de fois n'avons-nous pas
pensé, n'avons-nous pas dit qu'ils
étaient plus heureux, comme ils
étaient plus fidèles!
Oui, Seigneur, il n'est pour nous de repos, de
félicité que sous ton empire, sous
ton joug heureux.
Oui, Seigneur, c'est avec un sentiment profond de
tes droits, de tes bienfaits, de notre ingratitude,
c'est avec un sentiment profond de nos malheurs
passés, du besoin de réparer nos
pertes ; c'est avec émotion, avec
espérance, avec transport, que nous revenons
à Toi, que nous jurons encore d'observer ta
loi sainte.
Qu'il est intéressant, M. C. F., ce jour
où, pour la première fois depuis que
vous avez fait cette heureuse promesse, je viens
dans ce temple vous adresser la parole! -
Dès long-temps, je
l'avouerai, je travaillais en
gémissant
(Hébr.,
XIII,
17).
Peut-être l'inquiétude,
inséparable d'une vive affection,
m'exagérait les progrès du mal. Oui,
j'aime à me pénétrer de cette
idée: il restait parmi nous plus de foi,
plus d'amour pour la Religion, que je n'osais
le penser. Mais quel n'est point l'état d'un
pasteur qui croit voir l'esprit de la
piété s'affaiblir chez un troupeau
auquel son âme est liée? L'angoisse
d'un père qui craint pour ses enfans, en est
peut-être une faible image. Dans son
anxiété, il s'accuse lui-même
de leurs fautes; il pense avec trouble, avec
mélancolie qu'un autre à sa place
opposerait plus de zèle au désordre,
mettrait en oeuvre, pour faire le bien, des moyens
plus efficaces. Une responsabilité terrible
pèse sur sa tête; il entend le Juge
Souverain lui demander compte des âmes qui
lui furent confiées .... Et quand il
pourrait s'absoudre et se rassurer sur
son propre sort, un
intérêt pressant, invincible l'attache
à ces âmes en péril.
Plus de paix, plus de joie, tant que durent ses
inquiétudes : des nuits sans sommeil, des
jours sans douceur, un avenir sans
espérance, voilà son partage.
L'impuissance de ses voeux, de ses efforts, ajoute
à son supplice; cette tendresse active qu'il
ne peut rendre utile à ceux qu'il aime, se
tourne contre lui pour le. consumer: il ne peut les
voir courir à leur perte, et il ne sait
comment les en empêcher: il ne saurait ni les
quitter, ni demeurer avec eux. Mille sentiments
contraires partagent et déchirent son
Telle étoit trop souvent ma situation,
Chrétiens, je montais dans cette chaire pour
adresser des remontrances qui peut-être (car
le reproche aigrit quand il ne corrige pas),
peut-être auroient fini par séparer
les brebis de leur pasteur, les enfans de leur
père. Et que ne ressentis- je point,
lorsque parcourant nos
campagnes, faible encore et languissant, au lieu du
silence qui, le jour du Sabbat, doit régner
dans les champs, ou n'être interrompu que par
l'hymne de la reconnaissance, au lieu du calme
religieux qui doit mettre la nature en accord avec
les adorations de l'homme, je vis de tous
côtes.....
Mais ne retraçons point ce douloureux
tableau. Percé d'un trait que je ne pouvais
arracher, je m'agitais, je me roulais dans mes
pensées. « Après 26 ans
passés auprès d'eux,
(répétais-je avec amertume)
après 26 ans passés auprès
d'eux, verrai-je donc périr entre mes mains
ce troupeau que j'ai tant aimé ?»... Au
milieu de mon trouble, je conçus pourtant un
espoir: j'espérai dans les amis du bien :
cet espoir ne m'a ps trompé. J'allai, vous
le savez, j'allai confier ma détresse
à nos dignes Magistrats, aux Principaux du
pays; j'allai leur demander du secours : le reste
est leur ouvrage (1)
.
L'heureux
changement qui s'est opéré est le
fruit de leur zèle, le fruit des
dispositions favorables qu'ils ont trouvées
dans vos coeurs. Ah! si la preuve de sa
réalité n'était pas en mes
mains, je croirais qu'un songe fortuné
m'abuse. Oh, quel rayon d'une joie pure et
céleste, quel rayon d'une joie plus douce
que toutes celles que peuvent donner les objets du
monde, a pénétré mon
âme, quand j'ai vu, signé de votre
main, l'engagement d'être fidèles au
Seigneur! Jamais, non jamais je n'ai mieux senti la
force des liens qui m'unissent à vous, et de
quel prix est pour moi l'espoir de faire quelque
bien dans cette petite portion du champ de
l'Eglise. Vous ne le savez pas, M. F.; non, vous ne
pouvez le savoir, ce qu'est pour votre pasteur une
joie qui lui vientde vous, et
comment elle touche la partie la plus sensible de
son coeur!......
Béni soit ce Dieu qui tire le bien du mal,
ce Dieu qui a fait sortir pour moi
l'espérance de l'abattement le plus profond! Béni
soit
le
Père des miséricordes, qui nous a
consolés dans nos afflictions, afin que nous
puissions consoler nos
frères
(2
Cor. I, 3, 4)!
Béni soit Dieu, l'auteur des
bonnes pensées, des saintes
résolutions, des mouvemens vertueux ! C'est
à lui que doivent s'adresser nos
premières bénédictions.
Nous vous bénissons ensuite, vous, dont la
noble chaleur a réveillé les
âmes, a mis en mouvement tous ces
élémens du bien, ces sentimens de la
piété cachés au fond des
coeurs ; vous qui les premiers avez dit: Pour
moi et
ma maison,
nous servirons l'Eternel!
Nous vous bénissons aussi, vous tous, M. C.
F., qui avez suivi ce
touchant exemple, qui avez voulu répandre la
joie dans l'âme de votre pasteur, qui avez
voulu surtout revenir au Dieu de vos pères;
car, je dois le penser, c'est le désir qui
vous anime, Oui, quelque ému que je sois des
sentimens que vous m'avez témoignés,
c'est à Dieu qu'il faut les reporter; c'est
lui seul qu'il faut voir, c'est pour lui qu'il faut
agir.
L'Église de Genève vous bénit
par ma voix. Le consistoire a entendu avec
intérêt, avec attendrissement, le
récit que j'ai dû lui faire: il
m'autorise à vous dire qu'il
rend à Dieu des actions de
grâce pour la joie que vous lui faites
éprouver, et qu'il le prit d'ajouter
à votre foi ce qui peut manquer à sa
perfection
(1
Thes; III, 9,
).Il m'a été doux
d'avoir à lui rendre un tel compte de mes
enfans, de pouvoir m'honorer de leurs sentimens et
de leur conduite. Il m'est doux de penser
que leur exemple édifiera
les gens de bien, sera proposé pour
modèle à d'autres Églises, en
sera peut-être imité. Eh! pourquoi ne
s'y trouverait-il pas des âmes
généreuses animées du beau feu
de la piété ? Pourquoi n'aurions-nous
pas la douceur de voir se propager le bien qui a
pris naissance au milieu de nous?
Songez seulement, M. C. F., à tout ce
qu'emporte la déclaration que vous avez
faite : songez à remplir religieusement les
devoirs qu'elle vous impose. Je puis vous dire
comme Josué : Vous
êtes témoins contre
vous-mêmes que vous avez choisi l'Eternel,
pour le servir.
Vous
avez promis, non-seulement devant les Anges, mais
devant les hommes : vous avez non-seulement promis,
mais signé vos promesses : vous, êtes
liés non-seulement par la religion, mais par
l'honneur, par un engagement d'honneur, dont
l'infraction, moins criminelle sans doute, est
plus déshonorante aux
yeux du monde. Plus vous avez mérité
d'éloges par votre conduite en cette
occasion, plus vous seriez couverts d'opprobre si
l'on vous voyait la démentir ; mais, je ne
dois pas le craindre ; je vous dirai comme St. Paul
à ses chers Philippiens : Je
suis persuadé que celui qui
a commencé en vous cette bonne oeuvre la
perfectionnera de plus en plus (Philipp.,
I,
6).
Nos Magistrats, qui ont montre tant de zèle
pour rétablir l'ordre et le respect du
Sabbat, comprendront sans doute qu'ils doivent user
avec une extrême réserve du droit de
permettre des travaux d'urgence en ce jour
sacré. Ils sentiront qu'il est en leur
pouvoir d'établir une règle dans
cette Paroisse ; qu'elle est disposée
à s'y soumettre, et leur en saura
gré. Ils sentiront qu'il dépend
d'eux, et d'eux seuls, de consolider le bien dont
ils sont les premiers
auteurs.
Les Principaux d'entre nous, accoutumés
à nous donner l'exemple de la
piété, et toujours plus
attachés au bien par celui qu'ils nous ont
déjà fait, redoubleront de
zèle et de scrupule : à l'exemple de
St. Paul, ils ne se permettront pas même tout
ce qui leur serait permis, de peur (car l'homme
exagère toujours ce qu'il imite, quand il
s'agit des passions et de l'intérêt),
de peur qu'en prétendant suivre leurs
traces, on n'en vienne à faire ce qui est
défendu. Ils veilleront sur ceux qui les
servent, qui les approchent, qui travaillent pour
eux. Ils seront eux-mêmes des Pasteurs dans
leur demeures et leurs domaines. Ils daigneront
s'unir à nous pour maintenir la
règle, encourager au bien, prévenir
ou réprimer le désordre.
Tous les membres du troupeau sentiront que
l'engagement de ne point profaner le Dimanche
comprend celui de le sanctifier. Ils ne se
permettront rien dans le
jour du Seigneur qui ne soit en harmonie avec sa
destination, rien qui puisse offenser le
Tout-Puissant. Et que gagneraient-ils à
suspendre les travaux du corps et de la vie
présente s'ils n'employaient pas ce jour aux
soins du salut, aux travaux de
l'éternité ?
Mais ils l'ont promis, et ils tiendront leur
promesse; ils viendront dans le sanctuaire rendre
hommage tous ensemble à leur Père,
à leur Créateur,
Ah ! si vous en prenez l'heureuse habitude, M. C.
F., que ce devoir bientôt vous semblera doux
! Croyez en ceux qui viennent assidûment dans
ces parvis. Ils vous diront quel charme ils
trouvent dans la parole sainte, dans les
prières de l'Eglise et les
méditations religieuses; quel malaise ils
éprouvent, quand retenus loin de ce temple,
ils sont forcés de se priver de l'aliment
céleste qui nourrit l'âme et la
console.
Enfin, M. F., vous inspirerez à vos enfans
l'heureux sentiment de la
piété dans les
saintes
lettres (2
Tim, III, 15).
Vous les préparerez à
nos instructions, par ces leçons, ces
impressions premières que rien ne remplace,
et qu'ils ne peuvent recevoir que de vous. C'est
encore une de vos promesses. Et que cette
tâche est douce et facile pour le cultivateur
! Qu'il lui est aisé d'élever
à Dieu des âmes tendres et
naïves, au milieu des merveilles de la
création, du grand spectacle de la nature, a
la vue des cieux
qui
racontent la gloire de leur Auteur (Ps.,
XIX,
2)!
Combien dans les soirées d'hiver, il est
heureux auprès de ses foyers, entouré
de sa jeune famille, qui s'exerce à lire
dans nos Écritures, encouragée par
son sourire, animée par son approbation !
Combien ses plaisirs sont plus vrais que ceux qu'il
goûterait dans ces lieux funestes, où
retentit la joie brutale de
l'intempérance et de la
débauche!
En formant vos enfans pour Dieu, M. F., vous les
formerez pour vous-mêmes : ils seront un jour
le soutien, la consolation, la gloire de votre
vieillesse ; ils rappelleront parmi nous les moeurs
des anciens jours.
Ainsi, Seigneur, en reverdissant dans nos
campagnes, l'arbre, auguste de la foi, verra
fleurir autour de lui les antiques vertus de nos
pères, la charité, la
simplicité des moeurs, la divine
espérance, cette
espérance qui ne confond
point (Rom.
V,
5),qui fait
supporter, oublier tous les
maux de la vie! - Et quel spectacle
intéressant pour le Ciel et la terre, qu'une
petite société
régénérée par la
piété, pratiquant les vertus qu'elle
inspire, et goûtant la paix, le bonheur
qu'elle seule peut donner ! Telle on vit
l'Église primitive se conserver pure dans un
âge corrompu, et convertir
les nations par l'irrésistible attrait de
son exemple, - Ah ! s'il nous est donné de
réaliser au moins quelques traits de ce
touchant tableau, M. F., qu'il sera
délicieux pour votre Pasteur d'être,
auprès du Seigneur, l'organe de vos
voeux, et auprès de vous, celui de ses
miséricordes!
Quoi donc, après tant d'alarmes et de
perplexités, je pourrais tenir ce langage
ravissant! Pour
mol et
mon troupeau nous servirons
l'Eternel!
O mon Dieu ! quelques années, quelques mois
d'une telle félicité.....
Que je voie la piété renaître
et s'affermir dans ces campagnes. Alors j'aurai
assez vécu; alors je t'adresserai cette
prière : Laisse maintenant
aller en paix
ton serviteur.
Et
dans ce grand jour des rétributions, dans ce
jour formidable pour le méchant, mais
consolant pour les disciples de Jésus, je me
placerai à leur tête, je m'avancerai
avec eux vers le trône des
miséricordes, et je dirai au
Rédempteur des hommes : Me
voici, Seigneur, avec ceux que tu
m'as donnés.
Amen. Amen.
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