Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

QUE FAUT-IL FAIRE POUR ÊTRE SAUVÉ ?


I


Vous croyez donc, M. Blichon, qu'à part vous et les vôtres, tous les hommes sont perdus !

Qui vous a dit cela ? M. Huber.

L'homme auquel répondait M. Blichon, que nos lecteurs connaissent déjà, était un maître de pension, qui, par sa position sociale, avait tout ce qu'il faut de religion pour ne pas passer pour incrédule  ; il croyait même aux grands traits du Christianisme tout en professant au reste que toutes les croyances sont bonnes...

IL N'ADMETTAIT NI LA DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST, NI L'EXPIATION, NI L'ÉTERNITÉ DES PEINES :

À part cela, c'était un parfait honnête homme selon le monde, et si ce n'eût été la vie chrétienne de M. Blichon qui l'importunait, parce qu'elle était pour lui une prédication vivante... il ne se serait jamais dit : Que faut-il faire pour être sauvé ?

En effet, l'honnête pharmacien était une lumière dans son quartier. Aussi exact à remplir les devoirs de sa charge que ses devoirs envers Dieu, nul ne pouvait le surprendre en faute : ses mains étaient loyales, parce que son cœur était droit.

Pendant longtemps quelques confrères le firent passer pour fou ou pour hypocrite, mais le temps fit justice de leurs calomnies, et il acquit une confiance telle que lors qu'il s'agissait de la préparation de quelque remède rare et exempt de toute falsification on allait droit à sa pharmacie ; M. Blichon, en un mot, était la probité incarnée.

Je reprends mon récit :

Mais vous, répondit M. Huber, mais vous, car si pour être sauvé il faut croire ce que vous croyez, pensez-vous que vous serez bien nombreux dans le ciel ?

Moi, je ne pense rien, M. Huber, seulement je dis avec la parole de Dieu  :

Celui qui ne naîtra pas de nouveau ne sera pas sauvé. (Jean, chap. III, v. 4-5 — Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître ? Jésus répondit : En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît d’eau et d’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu.)

Eh bien ! soit. Mais alors, dites-moi ce que deviendront les païens, les mahométans, les turcs ; ces sept à huit cents millions de créatures (à l'époque de la rédaction de ce traité) qui ne connaissent pas l'Évangile iront-elles en enfer ?

Pouvez-vous croire, M. Blichon, que Dieu, que nous ne pouvons nous représenter que sous l'image d'un bon et tendre père, ait créé ces infortunés qui n'ont pas demandé à venir au monde pour les plonger dans l'abîme éternel ?

Tenez, si je le croyais, je deviendrais matérialiste, athée... je croirais que le Jéhovah de la Bible est un Jaggernaut, un Teutatès, un... vous ne répondez pas, M. Blichon ;.

J'écoute, M. Huber, quand vous aurez fini je répondrai ; ce n'est pas mon habitude d'interrompre.

Eh bien ! j'ai fini, ajouta le maître de pension, et je vous demande si vous croyez que les païens, les turcs et les juifs sont perdus?..

M. Blichon garda pendant quelque temps le silence en baissant la tête.


Je le tiens, se disait M. Huber, je le tiens. Il ne sait que répondre, car il n'ose dire oui.

Suis-je leur juge ? répondit le pharmacien, en levant la tête.

Mais non, mais sans être leur juge ne croyez-vous pas qu'ils sont tous damnés ?

Qui vous a dit que je croyais cela ?

Mais quand vous soutenez que ceux qui ne se convertiront pas ne seront pas sauvés, je peux en conclure que les païens, les juifs et les mahométans sont perdus, puisque sans la foi au Christ, comme vous le dites, nul ne peut-être sauvé.

Vous tirez, Monsieur, des conclusions que je ne tire pas moi-même ; m'avez-vous jamais entendu déduire leur perdition éternelle de leur ignorance ?

Mais non ; cependant il me semble que cela revient au même.

Savez-vous ce que je crois, M. Huber ?

Quoi  ?

Que Dieu est plus juste et meilleur que vous et moi, et que nous pouvons sans crainte lui laisser le soin de juger païens, mahométans et juifs, sans nous mêler d'intervenir dans ce grand acte où nous n'avons que faire ; cependant je crois une chose... Laquelle?..

QUE VOUS, M. Huber, VOUS SEREZ PERDU ET PERDU ÉTERNELLEMENT, SI VOUS NE VOUS CONVERTISSEZ PAS.

Ces mots, prononcés gravement et avec une conviction profonde, tombèrent comme un lourd pavé sur la tête du maître de pension.

Vous me jugez ! Monsieur, vous me jugez!... vous oubliez à mon égard ce beau précepte de l'Écriture : Ne jugez pas afin que vous ne soyez pas jugés. (Matt. VII, 1)

Je ne vous juge pas le moins du monde, M. Huber... Vous m'avez dit vingt fois que vous n'étiez pas converti, et quand je vous dis que si vous ne vous convertissez pas vous périrez, je ne fais que vous répéter ce que dit la Sainte-Écriture, VOTRE JUGE ET LE MIEN.

  • Quand elle parle, JE CROIS,

  • Quand elle ordonne, JE M'EFFORCE D'OBÉIR.

Je le vois maintenant mieux que jamais, vous appartenez à la classe des ces exclusifs qui damnent, sans miséricorde, tous ceux qui ne pensent pas comme eux.

Vous ai-je jamais damné ?

Non, pas positivement dans les termes, mais je le répète, quand vous ne voyez le salut que dans votre foi, vous condamnez naturellement ceux qui en ont une contraire.

Vous ai-je jamais dit, M. Huber, que j'avais une foi particulière, une foi à moi.

Non, sans doute, mais quand vous soutenez que ceux qui ne comprennent pas l'Évangile, comme vous le comprenez, sont perdus, vous dites la même chose ou à peu près ; d'où je conclus que pour être sauvé il faut comprendre l'Évangile comme vous le comprenez... penser comme vous pensez, croire comme vous croyez ; à ce compte, je crois que le nombre des sauvés sera aussi petit que celui des perdus sera grand.

Le maître de pension avait prononcé ces paroles avec une grande animation ; le pharmacien l'avait écouté avec son calme habituel. Il allait répondre quand on entra. M. Huber regarda sa montre, elle marquait deux heures... Il prit son chapeau : à demain, M. Blichon, mes élèves m'appellent, et il sortit précipitamment.


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