Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

QUE FAUT-IL FAIRE POUR ÊTRE SAUVÉ ?


II.


Le lendemain M. Huber retourna chez le pharmacien.

Vingt-quatre heures, au lieu de ralentir son animation, n'avaient fait que l'accroître. Il arrivait donc avec l'esprit de controverse le plus prononcé, nous dirons même qu'à son irritation se mêlait un peu de haine, non pas contre la personne de l'honnête praticien, mais contre son exclusivisme ; la vérité nous offre ce double phénomène d'exciter autant de haine que d'amour.

Elle faisait sentir à M. Huber ses aiguillons, mais il ne s'en doutait pas.

Le maître de pension ouvrit la conversation ex abrupto.

Je vous le dis et je vous le répète, M. Blichon, vous et les vôtres vous n'êtes que des intolérants qui damnez sans miséricorde tous ceux qui ne pensent pas exactement comme vous ; aussi par votre rigorisme vous faites cent fois plus de tort au Christianisme que d'autres pourraient lui en faire par leur indifférence ; soyez plus larges, plus tolérants, et quand nous ne vous condamnons pas, ne nous condamnez pas non plus.

Mon cher M. Huber, lui répondit M. Blichon, vous vous battez contre des moulins à vents, aussi avec vous les discussions deviennent je ne dirai pas difficiles mais impossibles, parce que vous êtes toujours en dehors de la question... les mots vous font oublier les choses et les personnes les principes. Je veux bien discuter avec vous, mais à une condition.

Laquelle?..

C'est que nous laisserons les opinions des hommes pour écouter DIEU NOUS PARLANT PAR SA PAROLE  ; croyez-vous à sa parole ?

Mais oui, puisque je suis chrétien, non pas cependant à votre manière.

Il ne s'agit pas de l'être à ma manière, mais à CELLE DE LA SAINTE-ÉCRITURE...

Croyez-vous qu'elle soit notre SEULE et UNIQUE autorité ?

Mais oui...

Croyez-vous que, quand elle ordonne, il faut faire, et que, quand elle défend, il faut s'abstenir ?

Mais oui... cependant il y a certaines choses qu'un homme de sens ne saurait croire sans décapiter un peu sa raison, qui, vous le savez, est une révélation primitive, parce qu'elle est un souffle de Dieu.

Voudriez-vous bien me dire ce qui est vrai et ce qui est faux dans ce livre ?

Et M. Blichon présenta sa Bible à son interlocuteur qui la prit, la tourna et la retourna dans ses mains et la lui rendit en disant :

vous me prenez au dépourvu, mais si je vous dis que je la crois en gros, cela vous suffira-t-il ?

Oui, pour me faire croire que vous n'y croyez pas du tout.

Comment pas du tout ! Ne crois-je pas à sa morale, à ses paraboles, à la résurrection, à l'ascension ? Que voulez-vous de plus ?

Je veux que vous croyez que si vous ne vous convertissez pas, vous serez perdu éternellement...

Ah ça ! M. Blichon, pensez-vous réellement que tous ceux qui mourront sans conversion seront perdus ?

Comme dans ce moment il ne s'agit pas des autres, mais de vous, je vous répète que vous ne serez pas sauvé si vous ne vous convertissez pas, CE N'EST PAS MOI QUI LE DIT, C'EST LA BIBLE... croyez-vous qu'elle se trompe ?

Je ne dis pas, Monsieur, qu'elle se trompe, mais je me demande quels grands péchés je peux avoir commis pour être jeté sans miséricorde dans l'étang ardent de feu et de soufre.

Le maître de pension appuya sur ces derniers mots avec un accent légèrement ironique, dont son interlocuteur fit semblant de ne pas s'apercevoir.

M. Huber, lui dit-il, je ne veux pas me constituer votre juge, mais permettez-moi de vous dire que si vous ne connaissiez pas mieux la pédagogie que votre propre cœur, votre pensionnat menacerait bientôt ruine. Vous ne vous connaissez pas.

Comment je ne me connais pas ! Reprit le maître de pension tout rouge de dépit, je ne me connais pas !! Je professe depuis vingt ans, je suis bachelier licencié...

Ajoutez, si vous voulez, que vous êtes docteur, je n'en dirai pas moins que vous ne vous connaissez pas, sans cela vous ne vous demanderiez pas quels grands péchés vous avez commis.

Je voudrais bien, M. Blichon, que vous me fassiez pénétrer dans mon coeur puisque je n'en ai pas la clé.

Vous ricanez, M. Huber, répondit gravement le praticien. Cependant nous sommes sur un terrain sérieux, et s'il y a des passages dans la Bible qui vous paraissent obscurs, certainement ce n'est pas celui-ci :


Que servirait-il à un homme d'avoir le monde entier, s'il perd son âme,

et s'il perd son âme, que donnera-t-il en échange de son âme ? (Matth. XVI, 26)


M. Huber vous avez une âme à sauver.

Eh bien ! QUE FAUT-IL QUE JE FASSE POUR LA SAUVER ?

Reconnaître d'abord, avec notre belle confession des péchés, que vous êtes un pauvre et misérable pécheur...

Je vous avoue, M. Blichon, que je ne comprends pas qu'avec moi vous insistiez tant sur le péché ; je le comprendrais si j'étais un de ces hommes tarés, vicieux, comme la société en compte malheureusement trop, mais quoique, sans doute, je ne prétende pas à la perfection, je peux être rangé dans la classe des honnêtes gens...

Voudriez-vous, M. Huber, mourir ce soir ; je me trompe, je veux vous dire si vous seriez prêt ce soir, si la mort venait frapper à votre porte.

Non certes, car ceux qui sont prêts sont bien rares, en connaissez-vous beaucoup ?

J'en connais quelques-uns, M. Huber, et si vous n'êtes pas du nombre c'est que votre âme n'est pas dans un bon état ; LE PÉCHÉ REND CRAINTIF, c'est lui qui vous a dicté la réponse que vous m'avez faite ; elle m'afflige sans m'étonner.

La conversation fut ici interrompue par la visite de deux médecins qui venaient commander un remède important à M. Blichon. M. Huber voyant que leur présence dans le magasin serait longue sortit, après avoir prié le pharmacien de venir passer la soirée chez lui, où ils pourraient continuer leur conversation tout à leur aise. Ce dernier le lui promit.


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