Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

QUE FAUT-IL FAIRE POUR ÊTRE SAUVÉ ?


III.


Le même jour, à neuf heures du soir, nos deux interlocuteurs étaient réunis dans le cabinet de travail de M. Huber ; après les salutations d'usage, le pharmacien prit la parole :

Quand vous m'avez quitté, j'allais vous faire quelques questions dont vous connaîtrez l'importance par les réponses que vous leur ferez ; me permettez-vous de vous les adresser ?

Vous le pouvez, M. Blichon, car, quoique je ne partage pas l'exagération de vos idées, vous y mettez cependant tant de conscience et de conviction qu'elles ont droit à tout mon respect, tant les convictions fortes sont rares dans le siècle ou nous vivons ; vous pouvez tout me dire...

J'userai donc, M Huber, de la liberté que vous m'accordez, mais je n'en userai que dans votre intérêt et non dans celui d'une vaine curiosité ; je commence : vous m'avez donné à entendre que sans être parfait vous n'êtes pas cependant assez pécheur pour être perdu ; mais si le péché est la violation de la loi, je crains bien que vous ne soyez pécheur et pécheur dans tout le sens que comporte ce mot.

Dites-moi, avez-vous toujours observé ce commandement du Seigneur : Tu travailleras six jours et tu te reposeras le septième  ? (Ex. XX, 9-10)

De temps en temps, mais pas toujours, parce que ce n'est pas toujours possible.

N'avez-vous jamais pris le nom de Dieu en vain ?

Quelquefois, mais vous l'avouerez, il est bien difficile qu'il en soit autrement.

Avez-vous toujours honoré votre père et votre mère ?

Je n'ai pas grand-chose à me reprocher à cet égard, cependant je ne peux pas dire que je sois irréprochable sur ce point.

N'avez-vous jamais désiré la mort de personne ?

Non que je sache... cependant j'avais un vieil oncle que j'ai peu regretté, mais il était si avare ! ! Sans fortune comme j'étais, il me semblait qu'il n'y avait pas de mal à désirer que la mort en débarrassât le monde, où il n'était utile à personne.

N'avez-vous jamais eu des désirs contraires à la pureté ? M. Hubert rougit. N'avez-vous jamais convoité la fortune de votre prochain ?

Plus d'une fois, il est vrai, mais que voulez-vous ? Quand on gagne sa vie à la sueur de son front, il serait bien difficile de ne pas envier ceux qui semblent n'être venus au monde que pour jouir, sans travail, de ce que les autres n'acquièrent pas toujours avec leurs sueurs.

N'avez-vous jamais eu de l'envie ou de la haine contre votre prochain ?

Je mentirai si je disais non.

Avez-vous aimé Dieu de tout votre cœur ?

Je l'ai aimé, je l'aime même, mais non pas comme cela.

Voulez-vous savoir où est votre trésor ?

Oui.

Eh bien ! M. Huber, dites-moi si c'est Dieu que vous aimez le plus au monde ?

Malheureusement, je suis obligé de dire qu'il y a des choses ici bas que j'aime plus que lui.

Donc vous ne l'aimez pas, parce que quand Dieu n'a pas la première place dans un cœur il n'en a aucune. Me permettez-vous de continuer mes interrogations ?

Oui, M. Blichon.

Voudriez-vous que tout ce que vous avez fait, pensé et désiré, fût écrit en gros caractères sur votre front ?

Non certes, répondit vivement le maître de pension, qui le voudrait Monsieur ? Pas même vous.

Non je ne le voudrais pas, mais, pour ne pas le vouloir, NOUS NE POUVONS EMPÊCHER DIEU DE LIRE CE QUE L'ŒIL LE PLUS PERÇANT DE NOS SEMBLABLES NE SAURAIT DÉCHIFFRER.

Je me résume et je dis que vous êtes un violateur de la loi et que comme tel vous devez être puni.

M.Huber garda le silence pendant quelques instants.

C'est vrai, répondit-il, c'est vrai... mais pourquoi Dieu nous a-t-il jetés dans le monde en nous plaçant en face d'une loi que tout, en notre cœur, nous invite à violer, quand il aurait dû y mettre des dispositions pour l'accomplir ?

Si nous entrons, M. Huber, répondit le pharmacien, dans les pourquoi et les comment, nous n'en finirions jamais ; il nous faut accepter notre position non telle qu'elle devrait être selon nous, mais telle qu'elle est en réalité.

Dieu d'ailleurs ne saurait être l'auteur du péché, puisque C'EST LUI QUI A MIS DANS LE CŒUR CETTE CONSCIENCE QUI APPROUVE ET DÉSAPPROUVE , qui nous dit que la loi divine est juste, sainte et bonne, et que nous péchons quand nous la violons.

Il a donc mis le remède à côté du mal qui vient de nos premiers parents.

Mais ne pouvait-il pas, répondit le maître de pension, créer Adam et Ève avec des dispositions qui, en les empêchant de pécher, auraient évité à leur race de terribles malheurs ?

Je n'aime pas, M. Huber, croire que Dieu aurait pu faire autrement qu'il a fait. Car tout ce qu'il fait est marqué du sceau de la perfection ; et cette chute qui scandalise tant d'esprits forts, n'est, après tout, que la preuve que Dieu a voulu créer l'homme grand quand il l'a créé libre, car, SANS LIBERTÉ, IL N'Y A PAS DE VÉRITABLE GRANDEUR.

Voyez ces astres qui nous étonnent par leur masse et leur vitesse dans l'espace : ils sont moins grands que ce composé d'os et de chair qui s'appelle l'homme, parce que ces corps n'ont pas de volonté, et que l'homme en a une. Ils obéissent mathématiquement aux lois que leur créateur leur a données, tandis que L'HOMME A LA PUISSANCE DE RÉSISTER À QUI RIEN NE RÉSISTE.

Nous ne pouvons, ici, raconter en détail la conversation grave et sérieuse qui eut lieu entre nos deux interlocuteurs. Nous dirons seulement que M. Huber parlait moins et écoutait mieux.

Onze heures sonnaient à la pendule qui était posée sur la cheminée et sur le cadran de laquelle étaient écrits ces deux mots : ultiman time (Craignez la dernière heure), le pharmacien serra la main du maître de pension, en lui montrant les deux mots latins.

Si cette heure solennelle sonnait pour vous cette nuit, seriez-vous prêt ?

Non, répondit M. Huber.


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