Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'ÉCHO DE LA VÉRITÉ

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UNE RÉUNION DE «L’ARMÉE DU SALUT»


La plupart des journaux religieux ont annoncé l’arrivée à Paris d’un détachement de l’Armée du Salut, conduit par Miss Booth; mais peu encore ont parlé des actes, ou, pour employer le langage du «Var Cry», des combats livrés par ce détachement dans la «SODOME FRANÇAISE».

Désirant voir de nos propres yeux ce qui se passe dans la salle de la rue d’Angoulême, nous avons, ces jours derniers, assisté à l’une des réunions de l’Armée.

C’était un lundi soir. Arrivé au n° 66 de la rue, nous cherchons des yeux une salle de réunions, et nous apercevons à l’extrémité d’une petite impasse cette inscription: «Conférences de l’Armée du Salut».

À l’extrémité de cette impasse, nous traversons une cour et nous voyons sur la droite une porte ouverte donnant accès à une salle bien éclairée. Nous entrons.


Le local, qui est propre, peut contenir environ 100 personnes. Les murs sont dépourvus de tout ornement et de toute inscription. Au fond est une estrade d’environ 80 centimètres d’élévation sur laquelle sont placées quelques chaises. Une quarantaine d’enfants ont déjà pris place dans la salle. De grandes personnes entrent et les chaises se garnissent graduellement jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’une cinquantaine non occupées.

L’auditoire, fort bruyant, est composé en majorité de jeunes filles et de jeunes hommes. Une personne reçoit les arrivants et leur distribue une feuille où sont imprimés sept ou huit cantiques.

Au bout d’un instant une porte du fond s’ouvre, et cinq dames vêtues de noir entrent et montent sur l’estrade. Un monsieur, qui a tout l’air d’un militaire anglais, les accompagne. En arrivant sur l’estrade, tous se mettent à genoux en s’appuyant sur leurs chaises. Lorsque les dames se relèvent, nous constatons qu’elles sont toutes relativement jeunes, leurs âges pouvant varier entre 17 et 30 ans.


La présidente, qui n’est pas la plus âgée, indique et lit un cantique avec un fort accent étranger. C’est une personne qui, sans être jolie, a quelque chose d’attrayant. À la douceur et au calme frappants de son visage se joint cet air particulier qui semble révéler une piété profonde et un esprit déterminé.

Le chant commence, et comme l’assemblée à peine à suivre en mesure, deux ou trois des dames qui se tiennent debout sur l’estrade, lèvent et baissent la main pour indiquer le passage d'une note à une autre. Les règles de la poésie ont été entièrement négligées dans ces chants et les airs ne sont nullement adaptés aux paroles, ce qui blesse l’oreille française la moins difficile et la moins exercée. Les cantiques ont des chœurs que l’un des chanteurs de l’estrade fait répéter jusqu’à quatre et même cinq fois de suite en y mettant un entrain extraordinaire. L’auditoire se laisse entraîner et chante, un grand nombre crient. Presque tous rient et se moquent.


Après ce premier chant, un homme prie. Ses gestes et ses coups de pied sur l’estrade provoquent de nouveau les rires. Un second chant suit cette prière, puis une jeune tille lit une portion du chapitre 33 d’Ésaïe, et ajoute quelques mots.

La plus âgée des dames prend alors la parole qu’elle garde environ cinq minutes. À son air, à son accent, sinon à son sérieux, on reconnaît une française. Ses réflexions peuvent se résumer ainsi:

«Vous êtes des pécheurs perdus; vous n’êtes pas prêts à mourir; que feriez-vous si vous mouriez maintenant? Moi je suis sauvée. C’est le Seigneur qui nous envoie vers vous; c’est dans une salle comme celle-ci que je me suis donnée à Lui. Si vous ne voulez pas périr dans vos fautes, venez à Jésus; venez ce soir et vous serez heureux comme je le suis moi-même.»


Un autre orateur prend la parole pour répéter les mêmes choses avec des gestes et des éclats de voix qui excitent le rire et les quolibets, puis il ajoute:

«Nous ne venons pas vous annoncer des chimères; vous aurez à rendre compte de cette soirée. Voulez-vous abandonner vos péchés ce soir? Je suis sauvé, pouvez-vous en dire autant?»

Viennent ensuite d’autres chants et d’autres courts speeches pareils aux précédents.

Malgré le calme impertubable des jeunes dames qui prennent la parole, l’auditoire reste agité et garde son attitude railleuse, surtout lorsqu’une d’elles, parlant le français difficilement, emploie inconsciemment une expression déplacée. Mais ni le bruit, ni les moqueries, ni les interruptions plaisantes n’intimident ces hardis «soldats»; la seule chose qui paraît les affliger, c’est de voir qu’aucune bonne impression ne se produit.


Vers la fin, la présidente chante d’une voix douce et harmonieuse: «Viens à Jésus». Un instant, son attitude digne et sa voix captivent l’assistance; mais quand elle se met à parler, son accent étranger, la difficulté qu’elle éprouve à se servir de notre langue, ramènent le sourire et les conversations.

Enfin elle s’avance dans la salle, monte sur une chaise et s’écrie: «Nous allons prier; fermez vos yeux», recommandation qui n’était guère dénaturé à ramener le sérieux. Un homme s’élance dans l’allée en criant: «Seigneur, bénis cette assemblée! Nous ne pouvons pas la bénir; bénis là ce soir!» Ses gestes et ses coups de pied sur le plancher sont tels que personne n’écoute. Après l'Amen, la présidente prie à son tour, mais avec un calme, une douceur qui fait du bien. Cependant le silence ne se rétablit pas et la réunion est finie.

On demande à ceux qui désirent qu’on prie avec eux de rester un instant, mais la plupart sortent. Nous tendons la main et nous adressons une parole de sympathie à l’un des messieurs qui étaient au bout de l’estrade et qui nous dit: «Priez pour nous», et nous sortons aussi.


Qu’ont reçu ces 350 auditeurs?

Combien de cœurs ulcérés ont-ils entrevu l’espérance?

Beaucoup ne sont-ils pas partis plus que jamais disposés à rire de Dieu et de la Bible? Nous ne savons!

Mais deux choses nous ont frappés.

La première, c’est le calme, la douceur, la patience, le sérieux et l’air résolu de ces dames, de ces jeunes filles. Nul doute, elles travaillent pour Dieu. Elles se trompent, dira-t-on? Peut-être, mais quiconque les a vues ne peut que reconnaître qu’elles sont animées d’un profond amour pour les âmes.

La seconde chose qui nous a frappé et qui nous émeut encore, c’est L’ESPRIT DE RENONCEMENT QUI ANIME CES CHRÉTIENNES et que nous n’avons pas pu ne pas comparer avec notre paresse, disons plus, avec notre lâcheté.

Où sont nos jeunes chrétiennes, où sont nos chrétiens français qui, renonçant à leurs familles, à leurs amis, à leurs intérêts, à leurs aises, s’en vont rassembler des auditoires de trois et quatre cents personnes pour leur parler du jugement à venir, du Sauveur, et cela avec assurance, avec patience, et sans craindre les rires et les quolibets?

Comptez-les, la liste en sera dérisoire.

Nous nous plaignons et nous déclarons que ces chrétiens étrangers se trompent, qu’ils méconnaissent le caractère de notre peuple, qu’ils ne tiennent pas assez compte de nos antécédents religieux; mais à qui la faute?

Si nous, chrétiens français, qui parlons notre langue de façon à nous faire comprendre, qui connaissons notre peuple, son caractère et ses besoins, restons les bras croisés en face des multitudes qui gisent dans l’indifférence ou dans l’incrédulité, préférant nos petits avantages et nous gardant bien de nous exposer au ridicule, pourquoi nous plaindre lorsque des étrangers qu’anime l’amour des âmes viennent essayer de suppléer à notre oisiveté?

Il nous sied mal de nous plaindre. Humilions-nous, au contraire, et profitons de l’exemple de ceux qui semblent aimer nos concitoyens plus que nous ne les aimons nous-mêmes.

H. Andru.

L'écho de la Vérité - Avril 1881


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