Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'ÉCHO DE LA VÉRITÉ

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LE CAPORAL TAQUET


Dans son numéro d'Avril 1879, L'Écho de la Vérité en consacrant quelques lignes à la mémoire de notre cher frère Déchy racontait comment ce fidèle chrétien appelé comme gendarme à une messe officielle, dont il avait sans succès prié un chef malveillant de l’exempter, avait rendu témoignage de sa foi en refusant de se prosterner devant l’hostie, ce qui lui avait attiré 30 jours de prison.

Se souvenant que c’est par la résistance a des lois qui tyrannisent la conscience que les apôtres et les martyrs ont fait triompher l’Évangile de justice et de liberté, l'Écho demandait des imitateurs du gendarme Déchy. Il vient d’en avoir un dans un autre membre de l'Église baptiste de La Fère. Voici ce qu’en a dit le Courrier de l'Aisne, journal politique et libre-penseur.


Un incident très sérieux s’est produit dimanche dans notre ville de Laon. Le 45e régiment d’infanterie compte dans ses rangs un caporal nommé Taquet, qui appartient au culte protestant, et qui s’acquitte très scrupuleusement de ses devoirs religieux.

C’est un croyant dans toute l’acception au terme. Il porte constamment avec lui sa Bible, qu’il consulte dès qu'il a un instant de loisir. Lorsque des propos irréligieux sont tenus en sa présence, il laisse voir sa réprobation sans aucun respect humain, et avec autant de douceur que de fermeté.


Taquet pratique. Très souvent, le dimanche, il demande des permissions dans le seul but d’aller à La Fère pour assister aux offices du temple protestant.

Un jour il a dit à l’un de ses camarades qui l'entretenait de son profond attachement à sa religion: «J’aimerais mieux mourir que de perdre le ciel.» Le caporal Taquet est donc un de ces hommes profondément convaincus, dont la foi est digne de tous les égards et de tous les respects.

Par suite de l'ordre prescrivant l'envoi d'un piquet à la procession, les sergents de semaine eurent à commander chacun quinze hommes et deux caporaux; les autres gradés furent commandés par la voie habituelle.

Dans sa compagnie, le caporal Taquet fut donc commandé par les soins de son sergent. Il fit respectueusement observer à son supérieur immédiat qu’étant protestant, il serait désireux de ne pas participer au service de la Fête-Dieu. Selon son habitude, il fit cette remarque avec la douceur d’un homme qui sait de quel respect la discipline doit être entourée.... Le sergent ne tint pas compte de l’observation du caporal Taquet.

Celui-ci n’osa donc plus réclamer et prit part docilement aux exercices qui eurent lieu dans la cour du quartier, pour faire répéter aux hommes le mouvement du «genou terre».

Il se joignit avec la même docilité au piquet lorsque la troupe se rendit à la cathédrale pour y prendre la procession. Mais lorsqu’à la première bénédiction, le chef de l’escorte commanda aux soldats de s’agenouiller, le caporal Taquet sentit sa conscience de protestant se révolter et il demeura debout.


Une première observation lui fut faite: il répondit poliment:

«Je suis protestant, je ne me mets pas à genoux, ma religion me le défend expressément.»

La même scène s’étant reproduite on avertit le capitaine qui commandait l'escorte. Celui-ci se vit dans la nécessité d'infliger une punition au caporal Taquet, punition qui est ainsi désignée au rapport:

«Taquet, caporal, quatre jours de prison, ordre du capitaine X..., commandant l’escorte du Saint Sacrement à la Fête-Dieu: a refusé d’obéir au commandement de se mettre à genoux sous prétexte que c’était contre sa conscience.»

Il est incontestable que le caporal Taquet en refusant d’obéir dans le rang, à un ordre de son chef, a violé la discipline; il n’est pas moins certain que le capitaine commandant l’escorte, ayant été averti de l’acte d’insubordination de son inférieur, il ne pouvait se dispenser de le punir; mais ne tombe-t-il pas sous le sens qu’en obligeant Taquet à violer les prescriptions de la religion qu’il pratique avec une ferveur et une sincérité indiscutables, une atteinte grave a été portée à la conscience de cet honnête garçon? Que diraient les catholiques si l’on contraignait nos soldats, non seulement à assister à une cérémonie protestante ou Israélite, mais encore à donner des témoignages extérieurs de vénération à des symboles qu’ils considèrent comme indignes de leur respect et dont la vue seule est un outrage pour leur croyance?


Voilà donc un soldat, doux, honorable, bon sujet, sincèrement religieux, qui va peut-être passer en conseil de guerre, parce que sans utilité pour le pays, sans aucun intérêt pour l’ordre public, on lui impose un acte contraire aux prescriptions de son culte...

Et notez bien qu’il ne s’agit pas ici d’un de ces libres-penseurs contre lesquels s’exerce la verve des feuilles cléricales, et dont la conscience, pour être équitable, mérite aussi d'être respectée; il s’agit d’un croyant, d’un homme profondément religieux, d’un homme pratiquant avec zèle toutes les prescriptions du culte.... auquel il appartient.»


Le Courrier de l’Aisne conclut en disant qu’il faut abroger les décrets qui attribuent aux prêtres catholiques le privilège excessif de se faire accompagner par les troupes et de leur imposer des actes extérieurs d’adoration. — Ce sera l’avis de tout le monde.

C’est pourquoi nous ne doutons pas du succès de la proposition qu'a faite à ce sujet M. de Saint-Martin, député du Vaucluse.

Avec le frère Déchy, dont nous avons rappelé la punition au Ministre de la guerre, Taquet y aura peut-être contribué, ne fut-ce que comme la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

Que les jeunes gens de nos Églises et des Unions chétiennes, sous l’habit militaire ou civil se rendent dignes du témoignage rendu ci-dessus au caporal du 45e et leur piété, leur foi, leur douceur, leur courage serviront au succès de l’Évangile.

A. C.


Nous venons d’apprendre par une lettre de notre député M. Fouquet, à qui nous adressons nos remerciements, que le Ministre de la guerre vient de donner des ordres pour arrêter complètement l’affaire Taquet. On nous avait dit que celui-ci allait être ou était condamné à un mois.

L'écho de la Vérité - Juillet 1881


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