Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'ÉCHO DE LA VÉRITÉ

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LE TEMPS DE LA DÉLIVRANCE


À LONDRES

«CETTE RACINE LA POSSÉDEZ-VOUS?»


Le dimanche (15 mai), j’assistais au service du matin, dans le Tabernacle de Spurgeon; c’était ma troisième visite à cette vaste chapelle, mais jusqu’ici j’avais été désappointé dans mon désir d’entendre prêcher Spurgeon lui-même.

Cette fois, enfin, j’ai eu ce privilège. La vaste nef, avec ses trois étages de tribunes, était, comme à l’ordinaire, remplie; c’est-à-dire qu’il y avait là six mille personnes appartenant pour la plupart à la petite bourgeoisie ou à la classe ouvrière supérieure.

À onze heures sonnantes, M. Spurgeon s’avança lentement, s’appuyant sur une canne, du fond d’une vaste estrade au bout de laquelle se trouve un pupitre qui porte la Bible, une petite table, une chaise, enfin, une balustrade devant laquelle il se tenait d’ordinaire en parlant.

Je l’avais déjà vu, il y a quelques années, et j’ai été péniblement surpris de le trouver, bien que dans la force de l’âge, si affaibli par la maladie. Il était manifeste qu’il ne prêchait qu’au prix d’une souffrance incessamment surmontée.

L’action oratoire avait les ailes coupées, mais il n’en était pas de même de la netteté des pensées, de l'abondance et du bonheur des images, de la chaleur de cœur, de l’énergie de foi. Sa voix même, moelleuse et sonore, se faisait entendre sans peine, aidée par une articulation parfaitement distincte.


Il lut deux passages de la Bible, l’un dans l’Ancien, l’autre dans le Nouveau-Testament, interrompant sa lecture par de brèves remarques explicatives ou pratiques. Son texte était pris dans Job, XIX, 28, qui, dans la traduction anglaise est rendu comme suit: «Vous devriez plutôt dire: Pourquoi le persécutons-nous! Puisque la chose essentielle (littéralement: la racine de l’affaire) se trouve en moi». (Vous direz alors: Pourquoi le poursuivions-nous? Car la justice de ma cause sera reconnue. V. Segond)

C’est cette image de la racine qui fut l’idée directrice de tout le discours. Il y a, dit-il, dans la vie de l’âme, des branches, des fleurs, des fruits agréables et utiles; mais il y a, avant tout, une racine cachée, indispensable, essentielle, sans laquelle la piété est morte. Cette racine, c’est une foi vivante et un Sauveur vivant.

De là, trois conséquences:

1° Un encouragement pour ceux qui possèdent cette racine, alors même qu’ils n’y auraient encore ajouté que peu de chose;

2° Un avertissement pour ceux qui, malgré leurs opinions correctes et leur conduite irréprochable, ne possèdent pas cette racine;

3° Une leçon de charité dans les rapports des chrétiens les uns avec les autres:

«Il ne pense pas comme moi,» dites-vous; «il appartient à une autre Église; c’est un sincère croyant, je n’en disconviens pas, mais il m’est impossible de travailler avec lui — En vérité! Eh bien! s’il est disposé, lui, à travailler avec vous à l’œuvre du Seigneur, il se montre meilleur chrétien que vous; car vous n’avez que la racine, tandis qu’il a, lui, quelque chose du fruit, qui est la charité».

Quant à moi, s’est écrié l’orateur, je déteste le catholicisme romain et je ferai tout pour le combattre; mais si je rencontre un catholique romain qui aime le Sauveur, je me réjouis de penser que la racine est en lui».

Une dernière application du texte, pleine d’esprit, de cœur, de douceur et de force, fut adressée aux chrétiens de vieille date dans leurs rapports avec les nouveaux convertis.

«Il y a des chrétiens qui sont devenus très-mûrs, et peut-être en même temps un peu sûr, si bien qu’ils témoignent peu de sympathie à des âmes moins avancées. Ils les traitent avec froideur, avec suspicion, presque avec dédain. Ce ne sont, disent-ils, que des enfants.

Et quand cela serait? Comment donc se comporte-t-on avec les enfants dans les familles? Chez moi, on sait bien que les enfants sont ignorants, bruyants, parfois fort gênants, mais on sait que ces enfants deviendront des hommes, et l’on s’applique avec amour à leur éducation. — Usez-en de même avec ces jeunes âmes».


Le prédicateur, en terminant, nous exhorta au moment où nous sortirions du service, à demander à tel inconnu qui se trouverait â nos côtés: — «Cette racine la possédez-vous?»

En somme...,  prédication populaire, puissante, originale sans excentricité, foncièrement évangélique et pratique, qui fait comprendre l’action qu’exerce bien au-delà des limites de son Église, cet homme plus remarquable encore par la fermeté de sa foi que par les dons éminents qu’il a reçus de Dieu. Son accueil après la prédication, fut plein de simplicité, de cordialité et d’enjouement.


J’allais oublier un trait caractéristique du culte du tabernacle. La dernière phrase du sermon est suivie de la bénédiction (fort brève) et de la dispersion de l’assemblée.

Ni longue prière, ni cantique, ni annonces. Tout cela a trouvé place avant le sermon.

Cette brusque terminaison ne fit que me surprendre, mais je sentis que l’on emportait de la prédication une impression nette et puissante.

Cela me semble bien préférable à notre longue liturgie finale dans l’Église réformée; mais je crois que j’aimerais mieux encore, avant la bénédiction, une courte prière se rapportant au sermon.

(Extrait du Libérateur).

T. Monod.

L'écho de la Vérité - Janvier 1881


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