Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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SUR LE VIF!


4 heures du matin! La grande salle des pas perdus de la gare Saint-Lazare est quasi déserte, cela fait contraste avec la foule des voyageurs qui la traversent sans cesse toute la journée.

À cette heure matinale, toute animation a disparu, les quelques êtres que j’y aperçois appartiennent à peu près tous au monde de la misère et peut-être du vice; sur les banquettes sont couchés des individus à mine suspecte, gens sans logis, lesquels, harassés par la fatigue et peut-être n'ayant pas réussi dans la petite excursion ou expédition projetée (avec quelques comparses du même acabit) pendant les veilles de la nuit, viennent sous le grand hall de la Compagnie de l’Ouest prendre un peu de repos.


Pour ce peuple-là, les nuits claires ne sont pas propices:

pour bien réussir, il faut les ténèbres, le sombre.


Comme le fauve quand il guette une proie, c’est la nuit qu'il réussit le mieux. Près de la porte d’entrée, une fille de joie, figure pâle, usée, vieillie, cherche et attend l’occasion; pauvre jeune fille! Mon Dieu, quelle dégradation!

Puis, non loin, voici deux ou trois individus: ce sont des jeunes gens; ils furètent, regardent à droite et à gauche. Toujours disposés pour faire le coup, peu leur importe le bagne qui les atteindra. S’ils sont arrêtés, ils se retrouveront à Cayenne ou aux Centrales, en pays de connaissance. Ils vous jettent des regards comme pour se dire: Cela vaut-il la peine?

Mais je ne suis pas assez gibier de choix, je me rassure, heureusement, mes chaussures sont usées et trouées en maints endroits, c’est un titre, parmi ces amis-là, à sécurité. Le coup ne vaut pas la peine pour eux. Ils s'éloignent à la quête d’autres choses.

Non loin de moi, sur un banc, une femme est assise, elle a l’air lassé, son buste se penche en avant comme une personne fatiguée; à ses côtés, un enfant de quatre ou cinq ans est allongé sur la banquette et dort comme un bienheureux sur la planche dure.

Tout un monde de pensées de tristesse et de joies s’ouvre à mon esprit: Pendant que les tiens dorment heureux dans un lit bien préparé et qu’un joyeux réveil va les rencontrer, et pendant que tant d'êtres ont tout le confort de la vie, voici un pauvre enfant qui n’a pas de gîte — sans compter plusieurs autres jeunes femmes assises sur d’autres banquettes, masquées un peu par les kiosques à journaux.


Enfant de fille tombée ou trompée, tu ne connaîtras jamais le mot, pour le faire tien, le mot que l’enfance redit si souvent avec une si joyeuse confiance: PAPA.

Ce mot, dans ton langage d’enfant, ne doit pas exister, n’existera jamais. PAUVRE ENFANT, c’était touchant; la femme n’était qu’assise pour laisser à l'enfant le plus de place possible et avait l'air de veiller avec soin sur lui.

Chez cette créature isolée, sans gîte j’ai admiré ce renoncement: elle veillait sur son seul bien et peut-être son seul espoir pour lui assurer un abri.

Le verset de l’écriture me revint: Que sera cet enfant?

Enfant innocent encore, qui dors si heureux sur la planche dure, si un miracle ne se fait pas, tu apprendras bientôt à tendre la main au passant pour avoir une obole, et nous entrevoyons la fin qu'amène cette vie de bohème, dont des milliers de déclassés vivent dans la grande cité, une vie perdue, inutile, mauvaise peut être.


Vous qui lisez ces lignes, n’avez-vous rien à vous reprocher?

Avez-vous fait tout votre devoir?

Pourquoi tant de haines s'accumulent-elles, dans ce qu'on appelle les bas-fonds de la Société?

Pourquoi le nom merveilleux de Jésus n’est-ii pas plus efficace?

Pourquoi?

Vous me direz: il faut changer les lois, établir une meilleure éducation pour l'enfant. Ah! certes, il y a peut-être là une partie du remède, ou plutôt une conséquence du remède?


Mais vous, disciples du Christ, vous qui vous réclamez de ce nom mille fois béni, qui nous rappelle le type de l’homme le plus humain que la terre ait jamais vu, chrétiens, vous, C’EST VOUS QUI ÊTES LES PLUS GRANDS COUPABLES.

Dans le fond de votre existence, si vous n’avez pas pour vous-même failli à la vertu et à l’honneur dans votre vie, n’y aurait-il pas de l'égoïsme?

Vous connaissez les belles doctrines de la sainteté, possédez plusieurs Bibles en différentes versions, mais vous êtes égoïstes! Tout cela pour vous et les vôtres.

Arrêtons-nous! pendant qu’il en est temps encore, mettons-nous tous ensemble à l’œuvre, DANS UN RÉEL ESPRIT DE SACRIFICE, pour chercher à atténuer et arrêter ce hideux chancre de paupérisme et de vice qui se développe et envahit tout le corps social par manque d’amour pratique.

À l’œuvre pour le salut de ces enfants délaissés; de ces 300.000 filles perdues que Paris possède (en 1899); de ces 10.000 qui n’ont pas de gîte pendant le froid de la nuit.

À l’œuvre avec des cœurs brûlants d’amour pour transformer ces vies de misérables et de malfaiteurs et en faire des hommes.

À l’œuvre avec et par la puissance de Jésus Christ.


Ô mon Dieu, aide-nous, viens à notre secours

pour sauver ce monde qui périt.


Major Jeanmonod.

En avant 1899 07 29


 

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