Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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DANS LA «LIBRE HELVÉTIE»


C’est dans une ville de la Suisse du Nord. «Oui» dit une officière «nous allons chaque semaine visiter la prison.»

«Visiter la prison!»

Combien de fois l’officière à qui viennent de s’adresser ces paroles, passant sous les hautes murailles des prisons de son mari, a désiré que permission lui fût donnée de porter un mot d’espoir aux misérables qui expient leurs péchés dans ces sombres demeures.

Mais elle a dû se borner à ce désir, et ici, elle entend parler de cette visite dans une prison comme d’une chose toute naturelle, obtenue sans nulle peine, par LA SEULE RAISON, QU’ON A CONFIANCE EN L’ARMÉE DU SALUT.

Son cœur battit plus vite, et se tournant vers sa camarade:

«Capitaine», dit-elle, «permettez-moi de vous accompagnez à votre prochaine visite.»

«D’autant plus volontiers» est la réponse «que nous allons toujours à deux; il y aurait danger de s’introduire seul dans certaines cellules


Au jour convenu l’officière française est là et toutes deux partent pour cette visite si nouvelle et si souvent désirée, au moins pour l’une d’entre elles. En marchant elles causent:

«Croyez-vous qu’on ne fera aucune difficulté pour nous laisser entrer, je ne suis pas connue du geôlier?»

«Non» répond l’officière du pays, «grâce à votre uniforme, vous passerez facilement ou avec des vêtements ordinaires vous ne l’eussiez pu qu’après de longues et difficiles démarches.»

On ne peut se figurer, ajoute-t-elle, la confiance que les autorités et la police de cette ville ont en l’Armée du Salut.


Et elle raconte à l’appui comment quelques jours auparavant le chef de la police lui a remis une pauvre jeune fille arrêtée pour la quinzième fois. Cédant aux instances de l’officière, il l'a lui remit en disant: C’est parce que vous êtes l’Armée du Salut que j’y consens!»

Tout en bénissant Dieu pour les facilités de travail dont l’œuvre de Dieu jouit dans ce pays, les deux officières cheminent le long des rues de la vieille cité. Voici le Rhin aux eaux d’un vert profond. L’officière française le regarde longuement, comme pour en évoquer certains douloureux souvenirs en contemplant le fleuve grandiose... son cœur se serre un peu, mais elle ne dit rien et elle songe au jour où il n’y aura plus de guerre et où aucune déchirure ne sera faite aux flancs des nations.

Le vieux pont dont une partie date du quinzième siècle est traversé, elles entrent dans une rue qui conduit sur une place qui vous reporte par son aspect à plusieurs siècles en arrière, les maisons avec leurs toits très inclinés, leurs superbes grilles, vraies merveilles de serrurerie ouvragée, font cercle autour d’une antique cathédrale, de style gothique, bâtie en pierres rouges, et dont les tours élancées et les délicats clochetons sont comme autant de poèmes d’une époque qui ne reviendra plus.

Un cloître profond, aux arcades mystérieuses, s’étend à côté de la vieille église. Sous ses dalles, admirablement conservées, reposent plusieurs générations d’hommes et de femmes qui ont un jour vécu et souffert, et qui maintenant sont entrées dans la vie éternelle pour rencontrer Dieu face à face.

Longtemps l’on resterait sous ces voûtes sombres, saisi par le sentiment de la fragilité de la vie et plongé dans la prière pour soi et pour les vivants, écoutant la grande leçon qui nous vient de ces grands endormis, mais comment oublier le but de leur course?


Les deux officières se hâtent et, traversant des rues dont l’aspect extérieur évoque le moyen-âge, mais où les universités, les écoles, les hôpitaux et autres institutions rappellent au contraire que nous sommes dans une ville où les plus grands progrès modernes ont été accomplis quant à la vie de l’âme et de l’esprit, elles arrivent à la prison qu’elles désiraient tant voir.

Cela, une prison! cet antique et pittoresque monument entouré d’ormes séculaires! Cela, l'entrée d’une prison! cette porte ogivale qui semble plutôt conduire à un vieux château soigneusement conservé! Mais une fois dans la cour intérieure, il n’est plus possible d’en douter.

Les hautes murailles sont percées de ces tristes et étroites lucarnes dont la vue seule rappelle l’infamie et le crime et, c’est en frissonnant un peu, que l’officière française gravit le large escalier.

En entrant, un paquet d’énormes clefs a été remis à sa compagne et, seules, elles circulent avec la plus grande liberté à travers les étroits couloirs, faisant grincer les clefs dans les serrures, et tirant les énormes verrous. Tandis qu’elles montent l'escalier, leur attention est attirée par un soupirail qui s’ouvre à leurs pieds; elles se penchent et aperçoivent dans la demi-obscurité un jeune homme.

Ses mains et ses pieds sont liés de chaînes; de lourds anneaux les enserrent. Qu’a-t-il donc fait pour être ainsi attaché? Nous lui parlons, il nous raconte sa triste histoire et ajoute: «Si vous saviez quelles pensées montent au cerveau quand on est ainsi seul pendant des mois». Son cœur est plein de fiel et de haine. L’officière française est saisie d’émotion;elle vient de reconnaître en ce repris de justice un de ses compatriotes, le seul (elle a hâte de l’ajouter), qu’elle ait rencontré dans la prison de cette ville, qui compte dix mille colons de langue française. Elle lui parle longtemps, longtemps de son péché, du châtiment mérité qu’il subit.

Puis elle lui ouvre les horizons magnifiques d’une vie vécue avec Dieu avec le sentiment de ses fautes effacées par le sang de Jésus.

La personne écoute, il pleure, il promet de se donner à Dieu, de renoncer au mal. Les officières prient, puis doivent s’éloigner.


Puis, c’est la section des femmes qu’elles parcourent. Cellule après cellule est ouverte. C’est propre, bien tenu, suffisamment éclairé; et pourtant quelle atmosphère on respire dans ces repaires d’infamie.

Les malheureuses sont là, quelquefois deux, trois, quatre même, le plus souvent seules. Sur leur visage, se lit l’abjection et cette sorte d’avilissement, caractère principal de la physionomie de celles qui font du péché leur vie habituelle.

Pourtant elles sont heureuses de ce que l’on pense à elles; elles écoutent avec plaisir la lecture de la parole de Dieu, la plupart pleurent sur leur misère et leur dégradation. L’une d’elles doit sortir le mardi suivant et demande à entrer dans un des refuges de l’Armée.

Tous les arrangements sont pris et elle ira grossir le nombre de celles déjà nombreuses qui comme résultat de ces visites, ont été recueillies dans nos maisons de relèvement et rendues à une vie honnête et pure.

(À suivre).

Lucy Armand.

En avant 1899 08 12



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