Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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L’HÔTELLERIE POPULAIRE

du 1er septembre 1898 au 1er septembre 1899


Notre Hôtellerie populaire est entrée le premier de ce mois dans sa deuxième année.

Cette œuvre éminemment sociale comprenait 225 lits à l’origine. Pendant le mois de janvier il fallut augmenter ce chiffre et le porter à 240.

Ce développement imposé par les circonstances attribue à l’Hôtellerie populaire le second rang parmi les asiles de nuit parisiens; le plus important, l’asile de Lamaze, comptant 264 lits.

Nos hôtes se présentèrent d’abord en petit nombre. Le 1er septembre, douze locataires seulement se firent inscrire; le lendemain, ce chiffre avait triplé; le quinzième, jour, 96 locataires étaient présents; et le trente septembre, 186 personnes dormaient sous notre toit.

Le nombre des inscriptions de ce premier mois s’éleva à 662 et celui des présences 2,776.

Au commencement du mois d’octobre, le nombre des hôtes grandit: nos habitués firent d’eux-mêmes une excellente réclame pour la maison, et leurs camarades vinrent en grand nombre pour être hébergés.

Le nombre des inscriptions s’éleva à 878, et le nombre des présences à 6,213.


En novembre, le froid advenant, la foule se pressait à l’Hôtellerie. À plusieurs reprises, tous les lits furent retenus avant 7 h. 1/2 du soir; le 13 de ce même mois, nous éprouvâmes le regret de refuser 39 personnes, la place nous faisant défaut.

Le chiffre des présences s’éleva à 6.732 pour le troisième mois.


En décembre, le chiffre de la population atteignit un maximum plus élevé; 1.142 inscriptions et 6.937 présences. Quoique l’Hôtellerie ne s’ouvrit qu’à 6 heures, le couloir qui y donne accès était généralement envahi dès 5 heures par ceux qui désiraient un gîte; souvent même un encombrement se produisit dans la rue.

Quelquefois, pendant les jours de neige, pluie ou gelée, des habitués attendaient, dès deux heures, dans le couloir l’ouverture de la maison. Un soir, à huit heures, un fiacre s’arrêta à la porte de l’Hôtellerie, et un de nos locataires, le sieur César M. en sortit. Craignant de trouver la porte fermée, il avait dépensé 1fr. 50 de voiture (en 1899) pour arriver à temps.

Beaucoup d’autres locataires se trouvant dans des quartiers éloignés de la rue de Chabrol prirent souvent l’omnibus pour venir en temps utile prendre leur lit.

Nous pourrions encore évoquer ce fait que des locataires congédiés pour faits blâmables ont tenté, à l’aide de divers subterfuges, de redevenir nos hôtes.


Au mois de janvier, les inscriptions augmentent et les présences nous donnent un chiffre de 6965. Étant donné le nombre relativement important de gens auxquels nous ne pouvions parfois accorder l’hospitalité, nous résolûmes d’augmenter le nombre des lits dans les conditions hygiéniques déterminées par les règlements de police.


Le 1er février, nous pûmes donc mettre 240 lits à la disposition du public. Toutefois, les beaux jours s’annonçaient déjà: un certain nombre de clients rêvaient de lilas et autres fleurs printanières; les rues de Paris leur devenaient monotones et ils s’éloignèrent les uns après les autres. Le nombre des inscriptions s’abaissa à 1140 et celui des présences à 6326. Les frimas du mois de mars ramenèrent un certain nombre de fugitifs: le chiffre des présences remonta à 7258.

Le mois d’avril tout ensoleillé fit disparaître des habitués qui regagnèrent leur pays d’origine: le chiffre des présences fut réduit à 6063.

Le mois de mai présenta peu de différence: 1.026 inscriptions et 6.507 présences.

Pendant les mois de juin, juillet et août, la baisse se produisit graduellement.

Au mois de juin, 1.038 inscriptions et 5.394 présences; au mois de juillet, 932 inscriptions et 4.578 présences. Au mois d’août, nous descendons à un minimum de 727 inscriptions et 3.730 présences.

En résumé, pour l’année écoulée, le nombre des inscriptions a été de 12.178 et celui des présences de 69.029, soit une moyenne quotidienne de 33 inscriptions et de 189 présences.

C’est-à-dire que si l’on tient compte de ce fait que souvent dans l’été les hôtels populaires et les asiles de nuit gratuits n’ont pas le tiers de leur personnel habituel, l’Hôtellerie populaire, n’étant jamais descendue à un minimum de 100 présences, tient donc la tête des établissements similaires.

Cette assiduité de nos hôtes tient à trois causes principales:

1° l’absence complète d’aptères (insectes sans aile comme les cafards...);

2° la facilité avec laquelle chacun peut se faire réveiller et partir à l’heure qui lui convient le mieux;

3° l’aération de l’établissement.


Nos hôtes sont représentés par trois éléments:

les parisiens, les provinciaux et les étrangers.

Nous avons hébergé: 3276 parisiens; 7853 provinciaux; 401 alsaciens-lorrains; 645 étrangers.

Ces étrangers se répartissent ainsi: 89 allemands; 31 américains du nord; 10 américains du sud; 27 anglais; 25 autrichiens; 151 belges; 4 danois; 9 espagnols; 3 grecs; 11 hollandais; 88 italiens, 23 russes; 159 suisses; 15 turcs.


Nous pouvons classer nos hôtes en cinq grandes catégories:

1° Les parisiens ou provinciaux exerçant ordinairement un métier ou une profession ou qui attendent un emploi promis; ils forment une fraction relativement importante;

2° Les provinciaux qui, leurrés par les annonces-réclames des journaux, ont abandonné un métier ou une situation pour venir à Paris réaliser une fortune. Au lieu de l’Eldorado rêvé, ces immigrants n’ont rencontré que déception et misère. Ils ont refusé de retourner dans leur pays d’origine où, certes, ils pourraient obtenir, en échange d’un labeur quelconque, le pain quotidien; car l’homme courageux, quelque soit son passé, ne meurt pas de faim en province, nous l’affirmons

Quelques-uns gagnent leur vie à Paris, au jour le jour, exerçant les métiers les plus variés: la pièce de vingt francs représente pour eux une fortune idéale; mais ils ne la possèdent jamais à cause de leur amour des liqueurs fortes, du tabac. Et les pauvres expliquent cet amour du vice par leur isolement dans la grande ville, etc.

3° Les parisiens ou provinciaux ayant perdu une situation quelconque par des circonstances dépendantes ou indépendantes de leur volonté; les jeunes gens sans profession ni métier en province venus à Paris avec la certitude qu’il leur suffirait de se présenter dans un bureau ou dans un atelier pour être immédiatement acceptés.

Déçus dans leurs espérances, ils se réfugient dans des emplois infimes; victimes de manœuvres le plus souvent malhonnêtes, ces naufragés de l’existence passent quatorze à seize heures par jour attachés à un labeur qui annihile l’homme et le transforme en machine rudimentaire. Et le résultat de ces labeurs, qui procurent à leurs adjudicataires un bénéfice considérable, est d’attribuer aux exploités un misérable salaire de 1 fr. 25 à 1 fr. 50 par jour, et même de 95 centimes (en 1899), c’est-à-dire une rémunération très inférieure aux exigences de la vie de province.

Ces malheureux, dont le nombre est légion, toujours menacés d’expulsion s’ils formulent une réclamation même juste et fondée, perdent vite toute énergie dans cet épouvantable milieu, et, dans leur ignorance d’un Dieu sauveur, ils arrivent rapidement à la lassitude de la vie.

Trop heureux encore s’estiment-ils si les portes d’un asile de vieillards ou de l’asile de Nanterre s’ouvrent devant eux en temps utile!

4° Les déclassés non préparés pour les batailles de la vie, aussi est-elle perdue pour eux et pour la société. Ces gens arrivent à faire quotidiennement quelques corvées, juste ce qu’il faut pour dîner et dormir à couvert. Le reste du jour, s’il fait beau, on les trouve faisant la sieste sur les bancs des grands boulevards et des squares. Quand il fait froid ou qu’il pleut, ils se réfugient dans les salles d’attente des gares de chemins de fer, dans les salles d’audience, dans les salles de lecture des bibliothèques, les musées, les églises, etc. Ils bénéficient, les jours de fête, de ces mille et une industries si connues de la population parisienne.

Le soir, ils vendent quelques douzaines de journaux; la nuit, ils dorment souvent à la belle étoile, le long des talus des fortifications, sous les arches des ponts, sur un banc des boulevards, et lorsque la température est froide, ils viennent à l'hôtellerie populaire ou vont dans un autre asile de nuit.

5° Les parasites jeunes ou vieux qui prétendent exercer un métier ou une profession, mais qui, en réalité, vivent du produit de la mendicité. Cette classe nous a donné quelques piètres spécimens. Après avoir essayé de faire de nous leurs dupes, ces gens sont allés ailleurs exercer leur déplorable industrie.

(À suivre).

En avant 1899 09 16



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