EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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L’ÉVANGILE SELON LE MONDE

(Édition revue et corrigée éditée par le Diable, publiée en Enfer)

Commentaires du Commissaire BOOTH-TUCKER

Nul ne peut douter que le diable n’étudie la Bible. Il en avait un exemplaire dans sa poche quand il rencontra Jésus-Christ dans le désert et la facilité avec laquelle il en cita des fragments prouvait la profonde connaissance qu’il en avait.

Ce n’est pas qu’il aimât ce livre; oh! nullement. Il eut bien préféré le jeter dans les flammes. Mais cela n’était pas possible, aussi conclut-il que le meilleur parti à prendre serait de publier une édition à lui du Grand Livre où il contreferait tous les commandements, ferait un tel galimatias de son contenu que personne ne pourrait rien y comprendre.

Quand le Nouveau Testament fut ajouté à l’Ancien, il résolut de suivre la même ligne de conduite. Immédiatement il en fit paraître une nouvelle édition, en remit un exemplaire à chacun des démons employés dans la guerre aux âmes, leur recommandant de citer les Écritures à l’appui de toutes leurs doctrines et de ne s’épargner aucune peine pour faire connaître «l’Évangile selon le Monde» à toutes les Nations où le Christianisme aurait pris racine.

L’idée principale à inculquer à chacun, était que cette nouvelle édition était bien l’Évangile original seulement un peu popularisé et simplifié....

Je ne puis prétendre citer tout le livre; il faudra nous contenter de quelques passages.

Prenons par exemple:

SON ENSEIGNEMENT SUR LA CHARITÉ.

La première maxime la voici: «Charité bien ordonnée commence par soi-même, par sa famille.»

Certainement si quelqu’un néglige ce devoir il est pire qu’un infidèle. Et même chez la plupart leur charité ne commencera pas seulement, mais elle finira aussi par eux-mêmes. Permis à un petit nombre, aux prêtres, aux pasteurs d’étendre leur charité au-delà de leur famille, mais ceux-là même devraient veiller grandement à ne pas laisser leur zèle dégénérer en fanatisme. Il faut bien se garder de cette piété exagérée qui touche au pharisaïsme.

La charité pour le péché. — La charité couvre une multitude de péchés, c’est-à-dire étend son manteau! sur le péché; elle ignore les vices des riches, des respectables et réserve ses anathèmes et ses punitions pour les méfaits des autres.

Blâmer le péché, lui donner un nom brutal, n’est-ce pas là l’essence de la malhonnêteté et de la vulgarité.

LA MALHONNÊTETÉ ET LA VULGARITÉ

Voilà des offenses impardonnables contre le «comme il faut» et la bonne société. C’est un manque de bon goût que de dire à un homme qu’il est sur le chemin de l’enfer.

La politesse est l’essence du Christianisme, ou, en tout cas, une partie importante de la charité. Voici encore une règle d’or pour tous de cet évangile selon le monde: Il ne faut, sous aucun prétexte, contredire personne.

Ce serait montrer qu’on ignore les bonnes manières. — Si vous savez que telle personne a tort, vous devriez prétendre qu’elle a raison, surtout si elle est votre égale ou votre supérieure dans l’échelle sociale.

Ayez soin de ne jamais laisser voir ce que vous pensez, à moins que vous ne puissiez le faire en toute sécurité, en cachette de ceux dont vous parlez.

N’obligez personne, sous aucun prétexte, à subir votre religion.

L’EMPLOI DE L’ARGENT

Toujours selon l'évangile du monde: Amassez-vous sur la terre tous les trésors que vous pourrez pour vous, vos enfants et vos petits-enfants.

Ne soyez pas trop généreux de votre argent pendant votre vie, car vous pourriez plus tard désirer avoir pour quelque autre but l’argent que vous avez donné à la légère. Du reste, quel que soit votre âge, vous pouvez vivre encore longtemps, en cas d’accidents vous pouvez faire autant de legs que vous voudrez dans votre testament.

Si vos héritiers ne s’en tiennent pas à vos désirs, mais profitent de quelque inexactitude dans la forme pour faire annuler vos dernières volontés, ce n’est pas votre faute. Vous avez fait tout votre possible, vous avez voulu donner votre argent (quand il ne pouvait plus vous être d’aucune utilité), et les journaux ne manquent pas de parler de votre générosité.

Encore selon l'évangile du monde: Le grand Commandement Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de la moitié de ton coeur et le monde de l’autre moitié, faisant toutes choses avec modération.

Dieu n’est pas un Maître dur comme quelques personnes se l’imaginent, mais il est raisonnable dans Ses exigences.

Quant à votre prochain, personne ne songerait à vous demander de l’aimer comme vous-même, mais il vous faut respecter ses sentiments et ses droits afin qu’il en fasse de même pour vous.

Les 9 autres Commandements (selon l'évangile du monde)

1- Tu n’adoreras que deux dieux: l’un au ciel, l’autre sur la terre, l’un sera Jéhovah et l’autre toi-même.

2 - Si tu as faim, tu ne déroberas pas, pas même le mouchoir de poche d’un riche, car la police serait bientôt à tes trousses et tu serais mis en prison.

3 - Si tu peux t’enrichir par les souffrances des pauvres, par les sueurs des orphelins et des veuves, si tu peux rabattre quelques sous sur leurs salaires, ce sera là un commerce honorable et tu béniras le Pays!

4 - Si tu tues un homme... c’est la mort.

5 - Mais si tu en tues des milliers, tu recevras une riche récompense.

6 - Tu ne pousseras pas un homme à en tuer un autre.

7 - Mais si tu pousses une nation à se lever contre une autre nation pour la massacrer et la piller, ton nom passera à la postérité comme celui d’un patriote et d’un bienfaiteur de l’humanité.

8 - Tu ne convoiteras pas le pain des riches.

9 - Mais tu pourras rogner le pain du pauvre et convoiter sa brebis......

LE PÉCHÉ ET LE REPENTIR

Toujours selon l'évangile du monde: Tous les jours de votre vie, vous continuerez à pécher et à vous repentir.

«Que celui qui est debout prenne garde qu’il ne tombe.»

Si un homme dit qu’il sait être sauvé du péché, il ment et la vérité n’est pas en lui; mais si un homme continue à pécher et à se repentir chaque jour, le sang de J.-C. le purifie chaque jour et lui ouvrira le ciel à sa mort.

L’oraison dominicale «Notre Père qui es aux cieux.» Notez bien que c’est «aux cieux» et non sur la terre. Il faut toujours prier comme si Dieu était à une grande distance.

«Que Ton règne vienne», mais pas tout à fait encore, car il est peu probable que les brasseries, les cafés, théâtres, débits de tabac auraient la patente royale.

«Que ma volonté soit faite sur la terre et la tienne dans les cieux».

«Donne-moi aujourd’hui comme pain quotidien assez pour subvenir aux besoins de dix ou douze mille affamés.»

Il va sans dire que le pain comprend le vin, le cognac, la bière, le tabac, les cigares, les bijoux, les vêtements élégants qu’exige ma position sociale.

«Pardonne-nous nos offenses quand bien même nous ne pouvons pardonner complètement à ceux qui nous ont offensés et, si nous allons volontairement à la rencontre des tentations, délivre-nous des tristes conséquences qui pourraient suivre, car c’est à Toi qu’appartiennent ou plutôt qu’appartiendront après la mort: le règne, la puissance et la gloire aux siècles des siècles. Amen.»

* * *

Voilà bien l’Évangile «selon le monde».

Qui peut nier que ce n’est qu’une parodie ou une caricature du véritable Évangile du Christ?

Des promesses? Il en contient bon nombre, mais elles sont toutes pour l’avenir.

Est-ce qu’il promet l’affranchissement du péché, la pureté du cœur, la sainteté de la vie? S’il ne peut annuler ces faits glorieux, il les renverra au moins jusqu’après la mort.

Des saints? Il les admirera de loin, il les canonisera dans leurs tombeaux, mais s’il en rencontre de vivants, il les clouera à la croix ou les brûlera sur le bûcher.

Le Ciel? Oh! oui, cet évangile y croit et même en ouvre les portes assez grandes pour admettre tôt ou tard même les malfaiteurs les plus vils. Pareil à un mirage trompeur, il entraînera le voyageur insouciant loin du sentier sûr de la vertu, il le trompera, l’éblouira et enfin il enfoncera son âme dans la fondrière du péché, employant ses attraits et son espoir trompeur à damner les âmes qu’il prétendait guider!

L'Enfer? Le Jugement? La Condamnation? La Mort éternelle? Ces mots ont perdu tous leur sens dans ce nouvel Évangile.

L’Évangile du monde laissera l’âme aller à la dérive sur l’Océan du temps, en fera le jouet des vents et finalement la proie des flots qui, pour le moment, la bercent traîtreusement dans leur sein, mais qui bientôt l’ébranleront dans leur furie et l’engloutiront à jamais avec toutes ses espérances.

MAIS L'ÉVANGILE DU CHRIST! QUEL CONTRASTE!

Le salut maintenant, la sainteté ici-bas, une croix à porter, des âmes à sauver, un combat à soutenir, l’opprobre à supporter, le monde à surmonter, une couronne à obtenir, le ciel ici-bas et le ciel pour toujours.

FAITES VOTRE CHOIX ENTRE CES DEUX ÉVANGILES,

méfiez-vous de la contrefaçon et, quoi qu’il en coûte:

Soyez vrais.

En avant 1899 12 09