Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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LE CRI DE GUERRE!


Samedi 14 Février 1903

Un journal du matin publie, sous la signature de Mme Séverine, l'avocat courageux et bien connu de tous les opprimés, de tous ceux contre qui l’on s’acharne, un éloquent plaidoyer au sujet de l’affaire Hinstin, le malheureux polytechnicien accusé faussement d’un vol.

Rappelant le noble rôle assigné à la presse, qui ne doit frapper ni un faible, ni un désarmé, ni un captif, montrant comment les «malveillances s’abattent sur quiconque trébuche» et dépeignant les angoisses du «malheureux impuissant» et les «blessures saignantes de sa famille», elle convie à plus de justice ses confrères de la presse qui «consacrent trois colonnes à diffamer, vingt lignes à réparer», et termine par ces mots: «N’est-il pas naturel que, par les mains d’une femme, soit versé le contrepoison?»

Loin de moi la pensée de rappeler les lecteurs de ce journal aux devoirs de la stricte justice. J’AIME À CROIRE QU’AUCUN D’EUX N’A JAMAIS EU LE TRISTE COURAGE DE S’ACHARNER APRÈS UN INNOCENT.

Je voudrais faire un pas de plus et vous convier à exercer LE MINISTÈRE DE L’AMOUR ENVERS CEUX QUI «TRÉBUCHENT».

Il y a quelques années, la gravure d’un calendrier de l’Armée du Salut représentait la scène du bon Samaritain. Un garçon épicier, qui apportait de la marchandise dans une maison où ce calendrier était affiché, s’arrêta pour le regarder. Tout à coup, la lumière sembla se faire dans son esprit: «Ah! je comprends, dit-il, ce que c’est que l’Armée du Salut; vous êtes une société de «secours aux blessés.»

La réflexion était extrêmement juste, et j’ajouterai qu’elle fit du bien à mon cœur. «SOCIÉTÉ DE SECOURS AUX BLESSÉS!»

Quel joli nom il nous avait donné, ce brave garçon! et quelle noble mission à accomplir!

Qu’ils sont nombreux les blessés de la vie! ceux dont l’âme est meurtrie, dont les blessures saignantes attendent, pour se fermer et guérir, le baume cicatrisant de l’amour versé par une main compatissante.

Nous les coudoyons tous les jours, sur les boulevards et dans nos maisons, ces blessés de la vie. Le cri de la souffrance humaine monte comme une marée ascendante. Je ne parle pas seulement de ces souffrances physiques, mais de celles de l’âme, autrement douloureuses, de ces situations qu’on ne peut toucher que d’une main délicate et légère, de ces cœurs meurtris et aigris, s’enveloppant fièrement dans leur douleur, mais qui s’ouvrent au contact de l’amour comme une fleur au matin sous l’influence bienfaisante des chauds rayons du soleil.


* * *


Mais parmi tous ces blessés de la vie, ma sympathie va plus encore vers ceux qui sont tombés, qui ont «trébuché», comme disait si joliment le journal que je citais plus haut, me rappelant à moi-même qu’il est très facile de glisser.

N’oublions jamais que ces malheureux n’ont pas pour calmer leurs angoisses le sentiment d’une bonne conscience devant Dieu.

S’il est possible au chrétien de garder une paix sereine lorsqu’il est assailli par la plus infâme calomnie, quel ne doit pas être le désespoir de ceux qui, se sentant coupables, sont entourés du mépris et du dédain des soi-disant honnêtes gens, et sont précipités au fond de l’abîme, sur la pente duquel ils avaient commencé à glisser, parce qu’une main amie ne s’est pas tendue vers eux pour les retenir.

N’est-il pas naturel que par les mains du chrétien, du salutiste, soit versé le contrepoison de l’amour, de l’indulgence, non celle qui pactise avec le mal, mais celle qui relève le coupable.


* * *


«Je tâche de comprendre, afin de pardonner», disait un poète, ne pouvons-nous pas dire: «Je tâche de comprendre, afin de mieux aimer

Les exemples abondent tous les jours de cas tristes et bien mauvais; mais, lorsque nous entrons dans les détails, nos cœurs s’emplissent d’une immense pitié et une ardente sympathie s’élèvent dans nos âmes pour ces pauvres victimes des circonstances.

«J’ai été abandonnée par mes parents à dix ans», dit l’une... «les miens sont morts quand j’en avais douze», dit une seconde... et ainsi de suite... la série continue lamentable, le reste se devine...

Oh! mon Dieu! Élargis nos cœurs!

Donne nous de comprendre et de sympathiser, de pleurer avec ces pauvres victimes et de savoir aussi les aider et les relever!

Suivons-les jusqu’à ce qu’elles soient debout. Lorsqu’on porte secours à un noyé on ne lui sort pas seulement la tête de l’eau, mais le corps tout entier; mieux que cela, au lieu de l’abandonner sur la berge, on le soigne jusqu’à ce qu’il puisse marcher.

Faisons de même: soustrayons les âmes au courant qui les entraîne et soignons-les jusqu’à ce qu’elles recouvrent la vie.

Gardons-nous surtout de tuer une âme par notre manque de foi. Quand Jésus relevait la femme adultère, il lui disait; «Va en paix, ta foi t’a sauvée!» et non: «Je verrais dans deux mois, si tu as persévéré dans tes résolutions».

Je sais bien qu’il était Fils de Dieu et par suite lisait dans le secret des cœurs; mais, puisque nous pouvons nous tromper, laissons toujours à une âme le bénéfice de la sincérité.


* * *


Pourquoi donc la puissante main de Dieu abaisse-t-elle tant d’hommes?

Parce qu’elle en rencontre un si grand nombre debout et SI PEU À GENOUX.


Goethe.

En avant 1903 02 14



 

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