Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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UN RESSUSCITÉ MODERNE


Comment Charles S. devint membre du «Groupe des Exploités du 19e arrondissement», déménageur «à la cloche de bois», partisan de la «Ligue des pieds plats», et enfin sergent dans l'Armée du Salut.

Charles S., naquit à Paris. Fils de bijoutier, il fut élevé jusqu’à neuf ans dans une aisance relative; à cette époque son père mourut, et, la guerre de 1870 éclatant, sa mère ne put continuer son commerce.

Il quitte l'école pour aller travailler ici et là; finalement il apprend le métier de peintre en bâtiment. Au reste, c’est un garçon sage, rangé; bon ouvrier, il apportait régulièrement sa paie, chaque quinzaine, à sa mère. Mais sous ces apparences innocentes, un travail lent s'opérait dans l’âme du jeune Charles.

Il repassait sans cesse dans sa mémoire les circonstances qui avaient amené le malheur dans sa famille. Il commença par haïr les luttes fratricides entre les peuples; mais il ne s’arrêta pas là.

De réflexion en réflexion, il en vint à se demander quelle pouvait être la cause des inégalités criantes de la société moderne, et si les souffrances et les misères d’une classe n’étaient pas dues à l'opulence et aux jouissances de l’autre.

De là, à devenir anarchiste, il n’y avait qu’un pas; Charles le franchit de lui-même, sans être influencé du dehors. Il se procura des journaux de teinte socialiste qu’il échangea bientôt, ne les trouvant pas assez exaltés, pour les feuilles anarchistes les plus violentes. Puis il fit connaissance, dans des réunions socialistes, avec divers anarchistes qui achevèrent de lui inculquer leurs doctrines; et, à son tour, Charles devint un des apôtres de la propagande par le fait.


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Il commença par fonder un groupe, le «Groupe des exploités du XIXe arrondissement», relevant de la «Ligue des anti-propriétaires»; il en devint le président. Le but du groupe était le suivant: lorsqu’un pauvre ouvrier ne pouvait payer son loyer, on le déménageait «à la cloche de bois», ce qui avait un double résultat:

libérer l'ouvrier du paiement du tenue,

éviter la saisie du mobilier.

La façon de procéder était d’ailleurs d’une simplicité élémentaire. Quelqu’un mandait-il à «être déménagé», le groupe dépêchait un certain nombre de compagnons, un par meuble généralement. L’un d’eux se rendait d’abord chez le concierge et lui demandait, le plus honnêtement du monde, des informations sur le locataire à déménager, le brave cerbère fournissait les renseignements les plus complets sur l’insolvabilité de l'individu. Pendant le colloque les «compagnons» avaient eu le temps de grimper l’escalier et de redescendre, chacun chargé de son meuble.

Une fois le locataire déménagé, le compagnon le plus diplomate (c’était Charles qui remplissait ce rôle) prenait poliment congé du concierge et s’en allait. Quelques minutes plus tard l’infortuné découvrait le tour qu'on lui avait joué. Parfois aussi tout ne se passait pas si aisément. Un jour cinq compagnons furent arrêtés, et Charles, poursuivi pendant longtemps par un agent de la police de la sûreté, n’échappa que grâce à une issue secrète d'un café où il s'était réfugié.

Mais le «truc» des déménagements «à la cloche de bois» commençait à être éventé; Charles entra alors dans la Ligue des pieds plats. Le but de cette ligue au nom peu poétique consistait à se faite héberger à crédit chez un traiteur en se donnant pour un ouvrier payé à la quinzaine, puis à disparaître, avant l’apparition de la note. Charles ne se contenta bientôt plus de ces moyens de propagande. Il demanda à entrer dans un «groupe d’action» afin d’apprendre la fabrication et le maniement de ces engins explosibles qui ont fait si tristement parler d’eux ces dernières années.


Un soir qu’il descendait la rue de Belleville dans l’intention de faire les démarches nécessaires dans ce sens, il passa devant la salle que l’Armée venait justement d’ouvrir au n° 163.

Poussé par la curiosité, il entra. Il ne se souvient plus de ce qui fut dit, mais il se rappelle avoir été complètement bouleversé. Il n’avait jamais fréquenté les églises, et s’il avait fait autrefois sa première communion, c’était simplement pour être agréable à la sœur de la salle de l’hôpital où il se trouvait alors.

Mais les chants joyeux, ces visages rayonnants, cette conviction sincère, ces prières ardentes, tout l’émut.

Le même soir, un Officier vint lui parler; Charles déclina poliment ses avances, tout en lui promettant de revenir. Il revint trois jours après. À la fin de la soirée, un salutiste eut une longue conversation avec lui, et apprenant qu’il était anarchiste, il lui démontra l’inefficacité de ses théories.

Charles ne céda pas encore, mais il promit de revenir, sentant que les salutistes — en prêchant l’amour — étaient au fond plus dans la vérité que lui, l’apôtre de la haine. Il délaissa les assemblées anarchistes, et pendant un mois il suivit assidûment nos réunions; enfin, certain dimanche soir — la salle était bondée — il se leva courageusement au moment de l’appel et vint, le sixième, s’agenouiller au banc des pénitents.

Il n’y eut qu’un cri dans la salle: — Tiens! c’est S..., l’anarchiste! La rumeur se répandit dans tout le quartier, car S... était connu de tous, grands et petits, comme l’ennemi irréconciliable du bourgeois. Ce soir-là, au banc des pénitents, Charles demanda à Dieu de lui pardonner ses péchés et de transformer son cœur... Mais la puissance divine n’agit pas encore en lui.

Trois jours après, seul dans sa chambre, Charles cria à Dieu en ces termes:

«Ô Dieu, si tu existes, révèle-toi à mon âme; je veux en finir avec l'anarchie, sinon mon âme est perdue.»

Dieu se révéla à lui, et lorsque sa mère rentra, il put lui dire avec certitude que ses péchés étaient pardonnés et qu’il était devenu UNE «NOUVELLE CRÉATURE».


Il y a onze ans et demi de cela. Sauf une courte période de découragement, Charles est resté un fidèle soldat, en dépit des persécutions des premiers temps, voire même des coups. Car les compagnons anarchistes n’avaient pas laissé ce transfuge du salut passer tranquillement de leur camp dans celui de l’Armée. Mais l’ancien chef du groupe des «exploités» fit preuve du même courage, d’une persévérance égale à celle qu’il avait mise à propager une mauvaise cause.

Devant «faire la porte» le soir, aux réunions, il fut souvent battu cruellement par ses anciens camarades. Sa fermeté et sa persévérance furent le moyen de la conversion de sa mère, maintenant au ciel.

Aujourd’hui, il remplit les fonctions de courrier dans un de nos Quartiers Généraux. C’est une tâche parfois difficile et qui exige, sans qu’on s’en doute peut-être, beaucoup de bonne volonté. Charles s’en acquitte bien et vous le rencontrez toujours content, prêt au travail, aidant aux réunions quand ses occupations le lui permettent.

En avant 1903 04 11


 

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