Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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AU PAYS DE JÉSUS


Mme Mathilde Serao, le grand écrivain italien, vient de faire paraître, sous le titre «Au Pays de Jésus», ses souvenirs de voyage en Palestine. Nous empruntons à cette oeuvre de premier ordre les extraits suivants:


Le Mont des Oliviers


«À l’Est de Jérusalem, à trois pas de la porte San-Stefano, se dresse le mont des Oliviers, séparé de Sion par la sombre vallée de Josaphat, et ce nom suffit pour faire jaillir de toutes les âmes qui ont compris la poésie de la Passion, le flot amer et profond des souvenirs.

Ce mont n’est pas très haut, mais on le découvre de n’importe quelle terrasse de Jérusalem, car il domine tout; il n’est pas très haut, mais la grande lumière qui l’enveloppe dès l’aube, la grande clarté cristalline et blonde qui entoure sa cime, semblent l’élever dans l’air.

Même aux heures nocturnes, quand la terrestre Sion aux maisonnettes blanches s’endort à l’ombre de ses monastères chrétiens, de sa mosquée triomphante et de son mur sacré; même aux heures tardives, quand le silence règne dans les ruelles de Soliman, dans ses impasses désertes, dans ses bazars muets, le pèlerin pensif peut contempler la montagne sacré où Jésus pria, souffrit et, durant la terrible nuit, s’en alla vers la mort; n’est-ce pas là-haut qu’il fut baisé par Judas de Kéroth, pris par les soldats et qu’il dit à ses disciples, après avoir cherché en vain à les tirer de leur sommeil: «Qu’importe que vous vous éveilliez maintenant, tout est fini!»

N’est-ce pas au mont des Oliviers que commença la véritable Voie Douloureuse, et non pas au prétoire de Ponce-Pilate?...

Ah! dans les ténèbres argentées, avec quelle avidité les yeux de ceux qui pensent, de ceux qui croient, de ceux qui rêvent, se fixent ils sur ce mont sacré, comme s’ils voulaient revoir le triste cortège éclairé par les torches, avec les épées dégainées, descendant vers le Cédron et traînant, lié comme un malfaiteur, le Fils de Marie!

Le chemin pour arriver au mont des Oliviers est très escarpé: ce sont deux petits sentiers, pierreux et rudes. Les voyageurs qui aiment leurs aises, y montent à cheval ou à âne, — surtout à âne, car ces tranquilles montures ont le pied sûr et tranquille, dans ces routes de Palestine, que les pierres, les rocs, la terre friable rendent si dangereuses. Mais ceux qui veulent visiter sérieusement la montagne divine vont à pied, lentement, sans la hâte du touriste pressé, avec le calme silencieux de gens qui désirent penser et réfléchir, après avoir vu; alors, il faut prendre le sentier abrupt que, dans la dernière période de sa vie, Jésus parcourait chaque jour, où le sol semble avoir gardé l’empreinte de ses pas.

D’ailleurs, partout il y a un souvenir, une réminiscence, une image de ce passé si lointain et si proche...


Voici le jardin de Gethsémani, avec ses huit oliviers sacrés, les oliviers d’alors, car l’olivier repousse sur ses anciennes racines, et toutes les traditions, l’hébraïque, la musulmane, la chrétienne, confirment rigoureusement qu’ici, près de ces troncs noueux, il venait chaque jour prier son Père, qui était sa force et son courage.

Le jardin de Gethsémani à lui seul mérite plusieurs visites, plusieurs haltes sous les arbres saints, dont la verdure pâlissante a vu si souvent les grands yeux azurés du blond Nazaréen se lever au Ciel, dans le dégoût des hommes et des choses. Mais le mont des Oliviers n’a pas seulement Gethsémani, le théâtre de la plus grande tragédie morale qui ait jamais troublé et désolé une âme divine, il a aussi pour lui une partie du drame sacré.

Ici, à mi-côte, quelques pierres indiquent la place d’une ancienne chapelle, appelée Dominus flevit: le Seigneur a pleuré. C’est là que Jésus, regardant Jérusalem noyée dans une lumineuse journée de printemps, dans toute sa splendeur et sa puissance, dans tout son orgueil et son impénitence, c’est là que Jésus pleura sur la ville et sur sa ruine; c’est là que, quarante ans après la mort du Juste, l’empereur Titus, avec sa neuvième légion, lança contre Jérusalem l’onde violente et dévastatrice des soldats romains, et Sion tomba, et son peuple fut massacré, et ses temples s’effondrèrent, et des milliers de Juifs commencèrent à gémir sous la malédiction terrible.

Une pierre blanche, sur le flanc de la montagne, fixe la place du sommeil des Apôtres et, au bout d’un sentier, une colonne s’élève là, où Jésus fut trahi par Judas.

Ah! oui, il faut le visiter pas à pas le mont des Oliviers, et plusieurs fois, car les impressions sont trop violentes.


* * *


Enfin, c’est du mont des Oliviers que Jésus s’éleva au Ciel, accomplissant les prédictions de l’Écriture, accomplissant son destin divin. Il faut grimper en haut, pour trouver la place sacrée d’où le mont d’Orient vit la gloire de son Seigneur, comme il en avait vu la honte et le désespoir.

Hélas! cette place est occupée par une mosquée! Cependant, avec cette tolérance religieuse dont les musulmans donnent continuellement l’exemple, le derviche qui garde le temple turc ouvre volontiers la porte aux chrétiens.

Le mont des Oliviers, qui vit à ses pieds tant de pleurs, de tristesses et d’agonies, a son faîte rayonnant de splendeurs glorieuses, et la terre, tout autour de lui, paraît réfléchir ces clartés; le Ciel semble s’incliner doucement sur le mont de l'angoisse, et la mosquée disparaît, cachée par un nimbe de lumière. Sur le sol croissent d’humbles fleurs mauves.

(À suivre.)

En avant 1903 11 21


 

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