AUX MÈRES
(Mais je n’ai plus d’enfant!)
Quand l’enfant tendrement vers vous se précipite,
Vous embrasse trop fort, interrompt vos travaux.
Et voudrait, avec vous, jouer à «la visite»
Ou vous faire goûter ses «excellents gâteaux»,
Lors même que ces jeux n’ont pour vous point d’appâts
Oh! ne refusez pas!
Lorsque les petits doigts, saisissant votre ouvrage,
Font tomber une maille ou froissent vos rubans;
Et quand les petits pieds laissent, de leur passage,
Un souvenir «boueux» sur vos planchers si blancs,
Lors même qu’il vous faut réparer ces dégâts,
Oh! ne refusez pas!
Lorsque vous sommeillez, si la petite voix
À la pointe du jour chante, jase ou babille,
Et puis, en soupirant, vous répète dix fois:
«Moi ne veux plus dormir, moi voudrais qu’on m’habille»
Quand même votre corps de ces travaux est las,
Oh! ne vous plaignez pas!
Autrefois j’ai grondé, j’ai perdu patience,
J’ai refusé les jeux, gémi sous mon fardeau,
Et je ne savais pas, douloureuse ignorance,
Que le sort de la mère est de tous le plus beau.
Oubliant mon bonheur, je pensais aux tracas,
Non, je ne savais pas!
Mais je sais aujourd’hui quelle grâce suprême
Est échue à la mère à qui l'enfant sourit,
Que l’enfant veut avoir tout entière à lui-même,
Qui chérit son enfant et que l’enfant chérit...
Ce bonheur méconnu, je ne peux plus, hélas!
Le goûter ici-bas.
Oh! combien je voudrais sentir encore l’étreinte
Rude et tendre à la fois d’un petit bras d’enfant!
Combien je voudrais voir des petits pieds l’empreinte
Sur mes tapis trop neufs, sur mon plancher trop blanc!
Oh! combien je voudrais encor, dans la pénombre,
Entendre retentir l’irrésistible appel!
Oh! combien je voudrais!... Je sanglote dans l’ombre
Et je garde en mon cœur un regret éternel,
Je n’ai plus de fatigue et n’ai plus de tourment...
Mais je n’ai plus d’enfant!
Mme Emile Challand.
En avant 1903 11 28
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