Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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UN BON VIVANT


Il pouvait avoir soixante à soixante-cinq ans. Sa figure, d’un rouge inquiétant qui contrastait singulièrement avec la barbe presque blanche, était honteuse à voir.

Petit pensionné de l’État dans un de nos ports de guerre, il venait de toucher son trimestre et rentrait chez lui à demi ivre. Il avait pris place dans notre compartiment, où nous nous trouvions ainsi au complet, et devait descendre trois stations plus loin.

Le train parti, le malheureux se mit à parler à tort et à travers, et de jeunes hommes, ses vis-à-vis, profitèrent de la bonne aubaine pour rire. Ils exploitèrent son inconscience et, sans vergogne, lui firent dire des choses honteuses.

Nous restions navrés de cette scène, contre laquelle nous ne pouvions protester que par notre attitude indignée et un silence réprobateur — toute intervention, nous le sentions, n'eût fait qu’empirer les choses.

En parlant, le vieillard s'animait, ne voulant pas rester en arrière des jeunes. Sa casquette neuve, achetée du matin, était tombée plusieurs fois dans les crachats et il s’obstinait à ne pas s'en couvrir. Enfin, arrivé à sa station, le vieillard descendit; les jeunes hommes aussi s'arrêtaient là. Quand la portière fut refermée, un homme d’air respectable qui, pendant toute la scène, avait lu distraitement son journal, écoutant plutôt les orduriers propos, dit en manière de conclusion: «VOILÀ UN BON VIVANT!»


... Tel était le verdict du monde: un vieillard qui se dégrade, oubliant tout respect et de lui-même et de ceux qui l’entourent, c'est un bon vivant!

Un vieillard qui, au lieu d’inspirer ceux qui l’approchent, leur est plutôt repoussant; qui, au lieu d’être un modèle de tempérance et de vertu, offre l’aspect le plus abject, on le qualifie de bon vivant!

Je regrette fort de ne pas avoir demandé à ce monsieur ce qu’il entendait par un mauvais vivant pour que telle fût sa conception du bon. Je ne l’ai pas fait, mais j'y suis encore à temps, peut-être lira-t-il ces ligues...


Supposez, aurai-je pu lui demander, que ce vieillard ait été votre parent, votre père, auriez-vous ainsi qualifié sa conduite?

Non, vous auriez rougi, vous auriez été honteux que l'on vous trouvât en sa compagnie, que l’on sût que c’était votre parent, votre père!

Ainsi est fait le cœur humain, que tout ce qui ne le touche pas de près semble appartenir à une autre race, à un autre monde.

De même, on peut se demander pourquoi le monde est tellement indulgent pour les fautes de ce genre.


Que signifie cette indulgence vis-à-vis de l’ivrognerie, de l’impureté, du sensualisme le plus éhonté?


Signifie-t-elle une grandeur d’âme, compatissante et miséricordieuse, presque irréprochable?

Est-ce ce besoin de pardonner, dont le cœur de Jésus était rempli lorsqu’il acquitta la femme adultère que lui avaient amenée les pharisiens?

Non, le monde n'est ainsi indulgent qu’à cause de la secrète voix intérieure qui lui dit: «Médecin, guéris-toi toi-même


Le monde ne condamne que ce qu’il est obligé de condamner de par la loi,

ou seulement lorsque ses intérêts égoïstes sont en jeu.


On ne qualifie les lourdes fautes du fils prodigue de «péchés de jeunesse» que parce que, fils prodigue soi-même, on ne s’en est jamais repenti.

On n’appelle bon vivant un homme débauché que parce que l’on prévoit qu’à l’occasion ou se débauchera de la sorte soi-même.

Les expressions peccadilles, péchés mignons, péchés véniels, sont d'hypocrites absolutions données ainsi tacitement à ceux que l'on n'ose condamner PARCE QUE L’ON FAIT SOI-MÊME LES MÊMES CHOSES.

Ainsi vont les jugements humains.


L’homme, dont le cœur est naturellement injuste,

ne peut juger qu'avec une balance injuste.


Obligé souvent de condamner son prochain pour des fautes qu’il a commises et qu’il est en train de commettre lui-même, son jugement se ressent forcément de ses propres actes. Alors, comment pourrait-il être impartial?

Mais Dieu, Lui, jugera le monde avec la sainteté la plus absolue!

Son verdict ne sera entaché d’aucune coupable complaisance, parce qu’un Dieu, trois fois saint, n’a pas besoin d’excuser pour qu’on L'excuse, de pardonner pour qu'on Lui pardonne, d’être indulgent pour qu'on Lui soit indulgent.

Ami, êtes-vous prêt à comparaître devant ce juge qui sait TOUT, qui connaît TOUT, pour qui les pensées les plus secrètes de votre cœur ne sont pas plus cachées que ne l’est pour vous le soleil en plein jour.

Ami, convertissez-vous, cessez de faire le mal, car ce sera terrible pour vous de tomber entre les mains du Dieu vivant!

A. Antomarchi.

En avant 1899 03 11


 

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