Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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AU PAYS DE JÉSUS

(Suite)

Une grande heure donc pour le voyageur chrétien et pour le curieux des choses mystiques; et, de plus, une lassitude aussi grande que si l’on avait marché longtemps dans les sentiers de campagne, où cependant le pied ne se heurte pas à des cailloux pointus, comme dans la Voie Douloureuse. Ce dut être bien plus long pour le Martyr! Alors la côte était plus rapide, et le sol en mauvais état, ainsi que tous les chemins de l’époque.

La Croix pesait sur les épaules. Il avait passé ses derniers jours en veilles et en prières; les deux dernières nuits avaient été terribles: on l’avait lié à une colonne, flagellé, hué: son âme était abreuvée d’amertume et ses forces le trahissaient. Quand il suivit, lentement, pas à pas la Voie Douloureuse, il devait être dans un tel état d’accablement physique que cette rue, que nous mettons une heure à parcourir, lui sembla sans doute éternelle.


* * *


Le Prétoire de Ponce-Pilate est, à présent, une caserne turque, et il s’y trouve des fantassins musulmans. Cependant, moyennant un pourboire, on peut entrer dans ce bâtiment. Vous montez dans cette caserne turque par une vingtaine de marches: on vous ouvre la porte, vous passez sous un grand drapeau rouge avec le croissant et l’étoile blanche, et vous pénétrez dans une vaste cour, où sont dressés les fusils en faisceaux, où les soldats nettoient leurs gamelles: c’est le Prétoire, c’est le lithostratos, c’est là que Jésus a été condamné à mort.

Vous souvenez-vous des paroles de Ponce-Pilate: Je me lave les mains du sang de ce Juste?... C’est là-haut, près de ce mur, qu’il les proférées; c’est en bas, dans cette cour, où les canons des fusils brillent au soleil, où les soldats frottent les boucles de leurs ceinturons pour les faire reluire, que le peuple hébreu a lancé la terrible imprécation: Que son sang retombe sur nos têtes et sur celles de nos fils...!


Ensuite, Jésus descend les degrés, et, dans la rue, on le charge de la Croix: la place est marquée par une pierre blanche, scellée dans le mur, car la Scala Santa a été transportée à Rome. La montée commence: les soldats entourent les deux larrons, et Celui que, par moquerie, ils appellent le roi des Juifs.

Pendant un certain temps, Jésus avance, courbé, pâle, livide, ruisselant de sueur, le sang coulant de son front meurtri par la couronne d’épines. Mais, au croisement de la rue du Prétoire et de la rue de Damas, il tombe à terre. À l’angle des deux rues s’élève une colonne brisée, qui marque la première chute du Martyr.

La voie, qui s’élargit à cet endroit, est parcourue par des piétons, des chameaux chargés de ballots, des ânes allant au bazar, des Arabes demi-nus.


Enfin, le Martyr se relève; mais, un peu plus loin, un groupe vient au-devant de lui, c’est Marie, c’est la Mère qui cherche son Fils. Il la voit, la regarde, la salue: Salve, Mater. Et elle? Elle ne dit rien, et défaille dans les bras des saintes femmes. La scène a eu lieu dans une ruelle peu fréquentée. Mais les forces de Jésus, après la rencontre de sa mère, s’affaiblissent de plus en plus: les soldats ont hâte d’en finir, car les fêtes de Pâques s'approchent, et ils veulent s’amuser librement: ils trouvent un paysan, un certain Simon, de Cyrène, et lui mettent la croix sur le dos. Mais Simon ne la porte que peu de temps. C’est devant une maison grise, à un angle de la Voie Douloureuse, que le Cyrénéen a soulagé les épaules meurtries du Christ.....

La tragique procession continue: à soixante mètres de là, Jésus tombe pour la seconde fois... Autour de lui s’alignent de petites maisons blanches, et sur une fenêtre fleurit un rosier, cultivé par quelque Hiérosolomytaine aux yeux lourds; sur les degrés de pierre, des gamins jouent et se disputent en arabe. À force de coups, le mourant se relève, et son état est si pitoyable que des femmes le regardent passer en pleurant. Et la grande prophétie sort des lèvres de celui qui se traîne au supplice:

Filles de Jérusalem ne pleurez pas sur moi, pleurez sur vous et sur vos enfants!

Puis il se remet en marche... Le trajet est long, l’accès est difficile; au loin apparaît le Golgotha, mais, pour l’atteindre, quel effort!... De nos jours, cette partie du chemin est fermée par des constructions postérieures, et le pèlerin qui veut suivre Jésus le long du chemin est obligé de faire deux ou trois détours avant de joindre la dernière station, celle où, en vue du Calvaire, Jésus tomba pour la troisième fois.

C’est une petite place située au coin du bazar, à un des endroits les plus sales et les plus fréquentés de la ville: le marché des Arabes, des musulmans, des Abyssins cophtes, des juifs... L’âme est déchirée, et le cœur se brise devant ce spectacle.


* * *


Maintenant, la fin du drame surhumain se passe dans l’église du Calvaire, tout là-haut, devant la roche qui a supporté le corps du Christ. Une grande dalle de pierre marque l’emplacement où il fut dépouillé de ses vêtements, que les soldats tirèrent au sort; non loin, dans cette même église, un tableau de mosaïque indique le lieu du crucifiement; quatre mètres au delà, vers l’Est, un trou cylindrique, revêtu d’argent, dit que la Croix y fut dressée. Elle regardait l’Occident, et les yeux du Christ expirant se fixèrent sur ce côté du monde, qui devait faire triompher sa foi.

Mais, désormais, la scène lugubre touche à sa fin: les sept paroles sont prononcées;

il a pardonné au bon larron;

il a parlé à sa mère et à Jean;

il a remis son âme dans les mains de son Père: la mort est venue.

Là, près de ce petit autel du Stabat Mater, élevé par les soins des fidèles, Jésus-Christ est descendu de la Croix, enveloppé dans le voile de Marie; ici, sur cette plaque de marbre — la pierre de l’Onction — son corps est lavé, parfumé de nard et de myrrhe. Et un peu plus loin, dans le petit jardin du bon Joseph d’Arimathie, dans le sépulcre encore neuf, la dépouille sacrée est déposée, pendant que la nuit tombe.

La Voie Douloureuse est finie.

Mathilde Serao.

En avant 1904 01 02

 

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