Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

----------

LES DÉSESPÉRÉS


Aujourd’hui, ils sont légion, ceux qui se tuent. Les faits-divers des journaux sont remplis de récits de suicides; cela devient une triste banalité.

Le flot des désespérés monte toujours; on le voit avec épouvante grossir d'année en année.

Pourquoi? Certes, LE SUICIDE EST UN CRIME.


Je n’ai pas plus le droit de me donner la mort que de la donner à mon semblable. 


La vie humaine est par elle-même sacrée! ceci reste un principe intangible. Le jour où on réussirait à l'ébranler dans la conscience universelle, nous retournerions à la barbarie.

On a dit aussi que le suicide est une lâcheté. Oui, car il y a plus de bravoure à rester pour affronter les atrocités de la vie qu’à s’enfouir dans la mort. Cela est vrai d’une vérité absolue; retenons encore ce principe.


Mais cela étant posé, ne nous est-il pas permis d'écouter notre cœur?

Après avoir bien établi toutes nos vérités intangibles, si nous avions un peu de pitié pour les pauvres désespérés!

Il y a des athées qui ont le triste courage de dire aux souffrants, aux vaincus de la vie:

«Il n’y a rien devant vous, aucun espoir; puisque l’existence vous est à charge, tuez-vous

Et il y a des gens à principes qui, par moralité, sont contre le suicide; ils trouvent que la génération d’aujourd'hui manque de caractère, qu'elle n’a plus de force de résistance contre l’adversité, etc.


D'un côté comme de l’autre, quelle terrible perspective pour la pauvre âme lassée!

Quels déchirements en elle, quand elle se trouve acculée au fond de la sombre impasse!

La voix de l’incrédulité lui crie:

«Il n'y a point de Père dans les cieux, point de justice souveraine, point d'au-delà rayonnant. Il n'y a que cette vie que tu as traînée jusqu’à présent; puisque tu ne peux plus la supporter, meurs librement.»

Peut-être alors la voix du Devoir se fait-elle entendre encore une fois au pauvre cœur brisé, mais elle doit être bien faible, bien peu écoutée, car elle n’apporte avec elle ni consolation ni espoir.

Continuer à vivre ainsi, se dit le malheureux. Non, c'est trop dur, trop atroce; lors même que je le voudrais, je ne le pourrais plus. Mieux vaut cent fois mourir, puisque la mort, c'est le néant.

Ceux qui me parent de vertu et de morale ne me donnent ni un morceau de pain, ni le pouvoir de pratiquer ce qu'ils disent. Je mourrai....


Oh! oui, un peu de pitié pour les pauvres désespérés!

Nous nous demandions pourquoi ils partent. C’est que les conditions de l'existence, morales et matérielles, deviennent trop dures, vraiment, et qu'on n'en peut plus. Le fardeau est trop lourd, on le rejette.

Elle vous aurait dit, cette malheureuse mère qui, il y a quelques jours, à Paris, n’avait pas de quoi payer son terme, et qui s’asphyxia avec ses deux petits. Si elle avait eu la possibilité de continuer à vivre, elle n’aurait pas commis cette monstruosité de tuer ses enfants avec elle. Elle ne pouvait plus porter le fardeau, voilà tout.

Et ce même jour où le loyer arrivait à échéance, il y en a dix-sept, dans la grande ville, qui firent la même chose. Dix-sept qui cherchèrent la mort, parce qu’il n'y avait plus sur la terre un toit pour les abriter.


Et maintenant, à vous, les riches! comme disait l’apôtre Jacques dans son épître. Vos entrailles ne sont-elles pas remuées quand vous lisez ces choses, quand vous voyez ces drames se dérouler autour de vous?

Comment pouvez-vous dormir, quand vous êtes gorgés de biens et que vos frères meurent, faute de pain?

Oui, vos frères! Ne dites pas: CHACUN POUR SOI; c’est horrible. «Caïn, où est ton frère?» dit la voix de Dieu. «Je ne sais pas, répond le meurtrier, suis-je le gardien de mon frère?» ET CAÏN EST MAUDIT.

Depuis, des millions de Caïn sont apparus dans le monde et l’ont déshonoré par leur égoïsme impitoyable. Ils ont foulé aux pieds le principe divin de la fraternité universelle; loin de s’aimer les uns les autres, ils se sont haïs, combattus, déchirés; selon la parole d'un vieux philosophe, l'homme est devenu un loup pour l'homme. Voilà pourquoi la vie est devenue insupportable à tant de déshérités.


MAIS NOUS NE VIVONS PAS SEULEMENT DE PAIN.


Nous avons une âme qui réclame sa nourriture aussi impérieusement que le corps. Elles meurent, aujourd’hui, les âmes parce qu’elles n’ont plus rien, qu’une vaine pâture.

POUR TROMPER LEUR FAIM, on leur donne la frénésie des plaisirs, l’enivrement des sens, la folie de l’étourdissement quand il leur faudrait Dieu.

Non pas une religion, non pas une morale, mais DIEU.

Celui qui ne nous a pas laissés orphelins, et qui s’est donné pour nous, en son Fils, sur la croix.

VOILÀ LE PAIN DE VIE DONT TOUS LES HOMMES ONT BESOIN, les riches, les pauvres, vous qui lisez ces lignes, nous tous qui avons été créés pour l’immortalité.

C’est ce Sauveur d’amour qu'il faut donner à ceux qui désespèrent.

Et qui le leur donnera, sinon ceux qui le possèdent déjà dans leur cœur, ceux qui ont goûté combien il est bon?

Mais que c’est froid un sermon, une exposition de doctrine, une exhortation morale! Il faut plus que cela à l'âme qui a soif de sympathie chaude et vivante, il faut un cœur pour compatir à ses souffrances, pour pleurer avec elle pour l'aimer.

C'est ainsi qu'on apporte Dieu aux pauvres désespérés. Alors ils croient, ils se donnent et ils sont sauvés.

Ch. Fleury.

En avant 1899 04 22

 

Table des matières