Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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UNE CURIEUSE HISTOIRE


Un soldat d’Afrique, du dernier convoi rapatrié à l’issue de la néfaste campagne des Italiens en Abyssinie, fut trouvé porteur, à son arrivée à Naples, de vingt billets de mille livres tout maculés de sang. On crut, d’abord, qu’il les avait volés sur le champ de bataille et on le mit en prison; mais le soldat en expliqua ainsi la provenance:

Après le combat d’Adoua, les ennemis s’emparèrent d’une caisse trouvée sur le champ de bataille, et abandonnée dans la déroute; ils se partagèrent entre eux les pièces d’or et d’argent et commencèrent à brûler les billets de banque qu’ils prirent pour des papiers de commerce sans aucune valeur.

Le prisonnier italien étendu à terre près de là, blessé, se traîna vers le groupe des Abyssins et leur assura, avec force gestes et en montrant le ciel, que ces papiers étaient des images miraculeuses, qui, appliquées sur les blessures, les guérissaient. Et pour démontrer la vertu de ces papiers coloriés, il s’en appliqua promptement une vingtaine sur ses blessures. Les Abyssins l’imitèrent. C'est ainsi que le soldat italien resta possesseur des vingt billets de mille francs.

Non seulement l’aventure est plausible, mais elle est authentique et, en la lisant, je me demandais ce qu’il fallait faire le plus: admirer la présence d’esprit — non le mensonge — du soldat italien, ou plaindre la superstition des Abyssins ainsi habilement exploitée?


Beaucoup de gens riront des Abyssins, qui ne font cependant pas autre chose durant toute leur vie. Je ne veux pas seulement parler de la superstition religieuse, de cette croyance déplorable qu’il peut y avoir une vertu quelconque dans quelque amulette ou quelque relique — il faudrait entamer ici une controverse qui ne cadrerait pas avec le but que poursuit ce journal —, mais je veux parler de cette autre superstition de la plupart des hommes qui donnent à l’argent la renommée de guérir tous les maux, de panser toutes les douleurs, d’être l’unique source du bonheur, enfin. Ils sont légion ceux qui disent, par exemple: «MOI, MON DIEU, C'EST QUAND J’AI DE L'ARGENT DANS MA POCHE», ou encore: «L’ARGENT C'EST LE BONHEUR!»

Et non seulement ils le disent, mais ils le croient fermement, et nous les voyons, quand ils tombent sur quelque billet de banque, le brandir d'un air victorieux et, comme l’autre, l’appliquer sur leur cœur. Mais, pas plus du reste que notre soldat, ils ne se trouvent guéris.


Les souffrances de la vie, les deuils, les déceptions, les brisements de cœur, cela ne se guérit pas avec de l’argent. Vingt, cinquante, mille billets de mille livres ne feront pas sourire cette mère, à genoux devant le cadavre glacé de son unique enfant.

Il est des douleurs, et combien, hélas! que toutes les fortunes du monde ne calmeront jamais; il est des vides dans la vie que tous les trésors ne combleront point; vous, qui avez un cœur, et qui avez souffert, vous me comprenez, n’est-ce pas?

Je ne veux pas dire que l'argent ne contribue pas, j’ajoute même, dans une grande mesure, au bonheur. Pour ma part, je n’ai jamais tant désiré être riche que depuis que je suis dans l’Armée du Salut — je n'en prends pas le chemin, entre nous soit dit — parce que je n’avais jamais tant compris combien l’on pourrait soulager de misères, sécher de larmes, avec quelque argent.


Mais, à part les vraiment malheureux, à part ceux, beaucoup trop nombreux, je le dis à la honte de notre fin de siècle, pour lesquels le pain quotidien est un angoissant problème, à part pour ceux-là, dis-je, l’argent, au lieu d'être une bénédiction, est souvent une malédiction et, en tous cas, jamais il n’apporte de vrai bonheur.


J’ai vu que les gens dits aisés se contentent beaucoup moins facilement que les pauvres:

À ces derniers, un peu est beaucoup;

Aux autres, beaucoup est toujours trop peu


SI LE BONHEUR ÉTAIT RENFERMÉ DANS L’ARGENT, DIEU SERAIT SOUVERAINEMENT INJUSTE.

Or, nous voyons qu’il n’en est pas ainsi.

Avec des fronts soucieux et des visages sombres, que de millionnaires promènent leurs richesses, avec leur ennui, leur dégoût, leur mortel désespoir; et lorsqu’ils côtoient, au hasard du chemin, quelque artisan pauvre, mais heureux de vivre, content de travailler, ayant Dieu pour son lendemain, ne se demande-t-on pas; «Qui est le riche? qui est le pauvre?»

Ami, de même que LE VRAI BONHEUR N’EST QU'EN DIEU, LA VÉRITABLE RICHESSE, C’EST AUSSI DIEU.

Que votre cœur se tourne vers Lui, recevez-Le et, en Le possédant, vous posséderez Tout.

A. Antomarchi.

En avant 1899 06 03


 

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