Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

----------

UNE SCÈNE DE LA RÉVOCATION

DE L'ÉDIT DE NANTES


Jacques Ormond était pasteur d’un village situé au confluent du Rhône et de l’Ardèche. Dans son dévouement chrétien, il avait sauvé la vie à un de ses voisins catholiques, victime d’un accident de chasse. Au moment de la révocation ce voisin se souvint du service rendu, et vint avertir en grand secret le pasteur que s’il ne s'enfuyait pas la nuit même avec ses paroissiens, tous seraient, le lendemain matin, arrêtés et emprisonnés par l’intendant Bâville et l’abbé du Chayla. En même temps, il plaça un rouleau d’argent dans la main du vieillard et s’éloigna.

Sans perdre une minute, tous les protestants furent avertis et se réunirent dans la maison de l'ancien Brunet, d'où, après une fervente prière, ils se mirent en marche le long de l’impétueuse Ardèche. Lorsqu’ils eurent fait environ trois lieues, ils prirent à gauche pour entrer dans les montagnes, et ils continuèrent à avancer, jusqu’à ce que le soleil fut bien haut sur l’horizon, et que la fatigue les contraignit à s’arrêter.


Ormond les dirigea alors vers un ravin profond, où s’ouvrait, cachée par les broussailles, une grotte spacieuse qui servit d'asile aux infortunés. «Il faut que nous restions ici, dit-il, jusqu’à ce que les premières poursuites aient cessé; mais, de crainte d’attirer l’attention, nous ne pourrons ni parler ni allumer du feu.»

Ils obéirent tous volontiers au vieillard, et bientôt la petite bande, après s’être préservée, autant que possible, de la fraîcheur humide du lieu, fut plongée dans un profond sommeil, bien indispensable après les fatigues de la marche.

Après avoir passé quatre jours dans la grotte, ils arrivèrent dans le voisinage d’une ferme dont le propriétaire, protestant comme eux, se décida à les accompagner et s’engagea à les transporter au-delà du Rhône à l’aide de son bateau et d’un radeau grossier, qu’il trouva le moyen de fabriquer en quelques heures.


Le voyage put se continuer dès lors sans accidents fâcheux. Les fugitifs ne marchaient que la nuit et se cachaient dans les forêts pendant le jour. L’étendue et la fréquence des terrains boisés les favorisaient beaucoup; mais ce qui rendit leur fuite pénible, ce fut la privation du feu dans une saison qui en faisait une chose de première nécessité. Leurs provisions de bouche diminuaient aussi rapidement, malgré l’économie recommandée par Ormond, et dont chacun d'ailleurs sentait la nécessité. Les plus malheureux étaient les vieillards et les enfants. Tous cependant supportaient courageusement les privations, et se contentaient souvent des racines qu’on recueillait en chemin pour apaiser la faim.

De temps en temps un des fugitifs se hasardait dans les villages pour y acheter quelques provisions, mais n’en prenait que fort peu à la fois pour ne pas donner l’éveil, et on les distribuait aux plus épuisés. Les autres se soumettaient sans murmure à la faim, qu’ils ne pouvaient calmer qu’imparfaitement.

La protection divine se manifestait à eux d’une manière vraiment miraculeuse. Personne n’était tombé malade pendant ce long trajet, personne non plus n’avait été incapable de marcher et n’avait soupiré après les oignons d’Égypte. Tous louaient Dieu, qui les avait protégés jusqu’à cette heure.


Quatre semaines s’étaient déjà écoulées, et la persécution ne les avait pas encore atteints. Le peuple les prenait pour des bohémiens, qui parcouraient, à cette époque-là, la France par grandes hordes, et qu’on considérait avec une terreur superstitieuse. Lorsqu’ils eurent remarqué cela, ils virent tout de suite le parti qu’ils pouvaient tirer de cette erreur, car on leur permit d’allumer du feu dans les forêts où ils établissaient leur campement. Ils purent aussi acheter librement des aliments, et cela apporta un grand soulagement à leur position.

Ils célébraient régulièrement leur culte du dimanche, et leurs journées commençaient et s'achevaient par la prière en commun. Plus ils s’éloignaient du centre de la France, plus leurs espérances s’accroissaient, et ils commençaient à entrevoir, dans un avenir peu éloigné, la réalisation de leurs vœux de délivrance. Rompus aux fatigues, devenus insensibles aux variations de température, ils supportaient mieux de jour en jour leur vie nomade et les difficultés qu’elle amenait.

Ils atteignirent enfin l’Alsace, puis le Rhin et la rive opposée. Pour la première fois, ils respiraient librement.....

La pioche et la truelle N° 8 (1891?)


Table des matières