Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

----------

UN RÊVE

PLUTÔT VIVRE DE PAIN ET D’EAU QUE.... !

La femme d'un aubergiste fit un rêve qu’elle s'empressa de raconter à son mari en s'éveillant le matin.

J'ai rêvé cette nuit, lui dit-elle, que je parcourais les rues de la ville vêtue de mes plus beaux habits. Je tenais à la main un porte-monnaie élégant rempli d'argent. Tout à coup, je me vois accosté par une femme couverte de haillons et n’ayant sur la tête qu’un mouchoir fané. Je m'attendais naturellement à ce qu’elle réclamerait quelque aumône, et me disposais à la renvoyer, quand, à ma grande surprise, l’inconnue se pencha vers moi, détacha mon chapeau et l'emporta avant que j’eusse pu faire un mouvement pour la retenir.

Altérée, je la suivais des yeux en me demandant ce qu'il y avait à faire. Pas de magasin à ma portée, personne à qui confier mon embarras, et un long trajet à parcourir avant de rentrer au logis. Je ramenais mon châle sur ma tête et voulus fuir, mais mes pieds étaient comme du plomb et je ne pouvais bouger.


Au milieu de mon angoisse, j'aperçus une autre femme qui se hâtait vers moi. «Que ne puis-je marcher comme elle, me disais-je, elle était maigre et à peine vêtue, malgré la rigueur de la saison. Une fois près de moi, elle s'arrêta, me considéra un instant, puis d’un ton sévère, me dit:

«Rendez-moi mon châle, madame,» et, sans attendre ma réponse, elle enleva celui qui couvrait ma tête et mes épaules, s’en enveloppa elle-même et partit.

J'étais à peine revenue de ma surprise, qu'une troisième femme à l'air misérable posait sa main sur moi.

«Que voulez-vous? J’ai été suffisamment pillée aujourd'hui; laissez-moi! m'écriai-je.

«Pillée! Qui a plus pillé que vous? Rendez-moi ce qui m'appartient, dit-elle.» Et, sans plus de cérémonie, elle me dépouilla de ma bonne robe de laine, dont elle se vêtit aussitôt.


Je restais là comme clouée sur le sol, lorsqu'apparut aussitôt une pauvre femme, accompagnée de trois enfants en guenilles. Elle s’élança vers moi, m'arracha des mains mon porte-monnaie et le tendit à ses enfants en disant:

«Tenez, mes chéris, prenez cela et achetez du pain.»

Je n'aurais pu prononcer un mot, ma langue était attachée à mon palais.

Mes épreuves n'étaient pas finies. Toute espèce de gens passaient devant moi; les uns m’accablant d’injures, d’autres me jetant des regards de mépris, chacun essayant de m’enlever quelque chose ma montre, mes boucles d’oreilles, ma broche, etc.

«Je ne t’en veux pas, me dit une femme en me regardant avec compassion, mais, vois-tu, cet anneau a été acheté avec le fruit du travail de mon mari, donc il m’appartient.» Et elle le tira hors de mon doigt.

Brisée, terrifiée, hors de moi, je m’affaissai sur le seuil d'une maison. J'aurais voulu disparaître dans les entrailles de la terre, lorsqu’une nouvelle apparition vint jeter l’effroi dans mon âme. Je tremblais comme un coupable sous son regard perçant.

Saisissant mon jupon de dessous, elle tâtait de ses doigts l’étoffe moelleuse et murmurait: «C’est bien beau, c’est bon, cela!» Puis, élevant la voix: J'en aurais «grand besoin pour envelopper le «corps de mon enfant mort de faim tandis que son père dépensait son argent chez toi. Mais, garde tes richesses et ce beau jupon blanc.

Mon petit agneau n’en reposera pas moins bien sous l’ombre des arbres du cimetière, car les anges le protégeront de leurs blanches ailes. Oui, garde tes vêtements somptueux! Ils ne pourront te garantir de la malédiction d’une mère privée de son enfant, ni de la malédiction de la femme d’un ivrogne...»

Alors je m'éveillai. Maintenant, tu vas me dire que les rêves sont des rêves; moi je te répondrai que celui-ci est une terrible vérité. J’en ai fini désormais avec le luxe et les superfluités.

Dussé-je rester la femme d'un cabaretier, je n'oserai plus regarder en face mon prochain et je préférerais grandement ne vivre que de pain et d’eau.

La pioche et la truelle N° 39 (1891?)


Table des matières