Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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LA PIEUVRE

(DE LA DÉBAUCHE, DU VICE)


Vous avez sans doute entendu parler d’un animal étrange, le poulpe ou la pieuvre? Il habite la mer, et quand il appartient aux grandes espèces il a une force prodigieuse; les proies qu’il saisit sont si vigoureusement étreintes qu’elles ne peuvent leur échapper.

Le nageur qui seul va au loin dans la mer, comptant sur sa force et sur son habileté, doit regarder autour de lui avec attention pour éviter une fâcheuse rencontre, et dès qu’il croit voir s’agiter les membres gluants et souples d’une pieuvre, vite il doit rebrousser chemin, changer sa direction, mettre en un mot un large espace entre son ennemi et lui. S’il est sage, il gagnera la terre. Là les huit tentacules de la pieuvre ne le menaceront pas.

S’il ne le fait pas, il est perdu.

La pieuvre lui jettera autour d’un membre un de ses bras, ce qui lui ôtera déjà la liberté de ses mouvements; s’il ne peut se débarrasser immédiatement de cette corde visqueuse et tenace, qui entre de plus en plus dans ses chairs, une seconde tentacule viendra à côté de la première et l’homme commencera à se sentir paralysé; encore il pourra se débattre, il pourra crier, et si, au loin, un pêcheur dans sa nacelle entend ses accents désespérés, il accourra, et, libre de toute entrave, possédant son sang froid, aura rapidement vaincu l’horrible bête...

Mais si personne ne l’entend... une troisième tentacule suivra la seconde – puis une quatrième: enfin l’animal entier s’attachera au malheureux, il l’enveloppera, son corps s’appliquera, dans toute l’étendue, sur le corps de sa victime, et tout deux ne formant qu’une seule masse rouleront dans les gouffres obscurs de la mer.


Puis, quand la mort aura fait son œuvre, la pieuvre se détachera; elle n’aime que les proies qui se débattent et qui palpitent, et le cadavre sera rejeté sur le sable, vidé, déchiré, méconnaissable, il sera devenu, selon la forte expression de Bossuet: «Une chose qui n’a aucun nom dans aucune langue

Et la mer sera toujours belle et unie, frémira en grondant sur les rochers du rivage, et ses vagues irisées refléteront les milles nuances de l’arc-en-ciel.

Il n’a pas su résister à son charme, le jeune nageur inexpérimenté et sa dépouille est là, épave sinistre qui nous fait horreur.



* * *


Dans le monde moral, des faits semblables se passent!

Ils sont plus affligeants encore; car ce n’est pas le corps qui est attaqué, paralysé, anéanti; c’est l’âme, qui fait notre grandeur parce qu’elle est l’image de Dieu en nous.

Un jeune homme sans expérience se sent de l’attrait pour le plaisir. C’est naturel et légitime: à la jeunesse il faut de joyeux délassements, c’est utile à sa santé et, dans une certaine mesure, les plaisirs peuvent servir aux progrès de son esprit et de son imagination.

Tout autour de lui l’invite, des appels par milliers lui sont adressés à chaque pas. Le plaisir... C’est tout un monde. C’est aussi un océan dont les séductions sont bien puissantes.

Pourquoi résisterait-il?

«Je suis capable de me gouverner,» dira-t-il.

«Je m’arrêterai à temps.»


S’IL N’A QUE SA SAGESSE À LUI, QUE SA FORCE À LUI, JE LE PLAINS!


Sous les fleurs des plaisirs permis et légitimes, la pieuvre du vice le guette avec ses innombrables tentacules. S’il perd de vue le paisible rivage d’où il est parti en souriant et en promettant de ne point dépasser certaines limites, les rencontres dangereuses vont l’arrêter à chaque pas.

D’abord de joyeux camarades, d’humeur facile, mais corrompus jusqu’aux moelles. Ceux-ci lui ont révélé une littérature qu’il ignorait et dont les honteuses aberrations ont fait rougir son front puis éveillé dans son cœur des curiosités malsaines.

Les actes coupables ont succédé aux rêveries impures. Oh! les tentacules du vice, combien elles sont nombreuses! Avec quelle fatale logique, elles viennent l’une après l’autre enserrer leur victime!

Que devient sa sagesse? Que devient sa force?

Dans l’océan du plaisir, de la sensualité, les forces et la raison humaine sont choses de néant.

Peut-être demandera-t-il du secours?

Peut-être sa famille pourra-t-elle l’aider à se réhabiliter?

Peut-être entendra-t-il parler de Celui qui délivre, qui pardonne et qui purifie, et dans sa détresse se cramponnera-t-il à la croix du Calvaire, d’où jaillissent depuis tant de siècles la miséricorde et la paix.

Si ces circonstances ne se réalisent pas, cet homme ne demeurera pas stationnaire.

S’il ne se relève pas il s’enfoncera plus encore dans la fange.

Le monstre l’aura vaincu.

C’est une épave maintenant, flétrie, dégradée. Le vice n’en veut même plus. Il n’a plus rien à prendre dans cet être vidé, fini...

La conversion serait un miracle, si elle avait lieu. DIEU PEUT FAIRE UN TEL MIRACLE. Il le fait pour quiconque le souhaite.

Mais ce qui arrive le plus ordinairement, c’est qu’on cherche la fin de tout dans le suicide ou dans le crime. Hélas...!

A. P.

La pioche et la truelle N° 40 (1891?)


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