Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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COURAGE & DÉVOUEMENT


Le 11 novembre, à 8 heures du matin, fosse Renard, à Hennin, les mineurs sont à leur poste. Tout à coup, dans une veine presque droite, un craquement se fait entendre. C'est un éboulement.

On entend des plaintes: un homme est pris. On crie; au secours! Les Lernould de la taille voisine sont informés. Ils accourent. Les cent mètres de distance sont franchis en un instant. Par le haut, on ne voit que l’éboulement; par le bas, on est séparé par un planchage destiné à arrêter les charbons. Vingt ouvriers sont déjà là. Mais la place est étroite. La veine n’a que soixante-dix centimètres d’épaisseur.

L’un d’eux est parvenu à passer par le petit endroit laissé libre entre le planchage et les tailles remplies, mais il ne peut voir que les décombres. On n’entend plus rien.

Élie Lemould, dit le Sergent, passe à son tour, examine, écoute, gratte la terre et découvre enfin la tête du malheureux. «Le voilà ici», crie-t-il.

Il le tire de toutes ses forces, mais rien ne bouge. Il y a un bois en travers qui le tient. Il n’est pas mort. «Émile! crie-t-il à son frère, va me chercher une scie! Va vite, sais-tu!»

Celui-ci ne fait qu’un bond: «La voilà!» Et le Sergent se met en mesure de scier. En ce moment, son camarade, qui était passé par le haut et qui entend sa voix, lui crie: «Est-ce toi, Élie? — Oui, répondit-il», mais presque aussitôt un nouveau craquement se fait entendre, et ce camarade lui crie: «Sauve-toi Élie, sauve-toi.» Ce dernier repasse par le trou, descend quatre ou cinq mètres et vient se ranger tout près de la taille.


Deux minutes après, il remonte. La poussière est tellement épaisse que, malgré la lampe, on n’y voit goutte. Le nouvel éboulement s’est encore produit sur le malheureux Bouteillier, qui est, de nouveau, recouvert. Le Sergent qui connaît seul l’endroit, gratte bien vite, le retrouve et lui dégage la tête. Il veut encore le tirer. Efforts inutiles. Alors, il pense au danger. «Donnez-moi une queue de deux mètres», dit-il. On la lui donne. «Quarante centimètres de trop. — En voici une autre.» — Il la place.

Pendant ce temps, on a élargi l’endroit. Avec lui ont maintenant trois hommes qui tiennent les lampes, qui tirent des terres, creusant on dessous pour dégager le malheureux qui ne donne plus signe de vie. Mais la tâche est difficile. Pas de place pour mettre les terres et les pierres qui retombent dans le trou. Tout à coup, sans prévenir, une large pierre se détache encore, tombe sur le dos du Sergent, et l’aplatit sur la tête du malheureux, qui se trouve préservé par le corps d’Élie; celui-ci sert de tampon.

On relève ce dernier. Sa figure ruisselle de sang. On l’entraîne sur la voie, et on le met dans une berline pour l’accrochage. À son frère qui sanglote à son côté, il dit: «Ne pleure pas comme cela.» Puis il perd connaissance. Mais à la cage, il reprend ses sens. On le remonte.

Au jour, on le lave, on lui bande sa tête déchirée et on le conduit chez sa sœur, car il est veuf depuis quatre mois. Deux docteurs et un aide sont là, épinglant et faisant les ligatures. La face est couverte d'ecchymoses; les yeux fermés et noirs de sang sont horriblement tuméfiés; la tête est énorme; la figure, le cou, la poitrine et le dos sont gonflés, autant que la peau peut se distendre: c'est affreux à voir. L’épaule gauche et les côtes d’en face sont sans doute brisées, le poumon perforé, mais le gonflement empêche d’en rendre un compte bien exact. Le malade ne peut se coucher. Il est assis dans un fauteuil. Sa respiration est très courte et laisse entendre un petit cri. D'un instant à l’autre, on s’attend à une hémorragie qui mettra fin à ses douleurs.


Les docteurs sont à peine sortis quand j’arrive. Ses deux frères, deux sœurs, deux beaux-frères, qui ne le quitteront pas de quatre jours, et plusieurs autres personnes sont là. On ne parle pas. On marche sur la pointe du pied. Silence solennel.

Vous êtes beaucoup blessé, mon ami? lui dis-je.

Oui, articule-t-il doucement, mais je n'ai aucune crainte, JE SUIS PRÊT, LE SEIGNEUR PEUT ME PRENDRE.»

Tous sont émus et les larmes coulent. J’adresse quelques paroles d’encouragement. Nous prions Dieu et je me retire.

Le lendemain, même situation.

Un ami lui dit:

«Et c'est en voulant en sauver un autre que vous avez été arrangé comme cela?

Oui, dit-il, et je n’ai aucun regret; si c’était à refaire, je recommencerais.»

Le troisième jour, il y a détente. Le quatrième, l'imminence du danger tend à disparaître. Aujourd’hui, l’épaule et les côtes se raccommodent. Il en a pour trois mois.

Les docteurs lui ont prodigué assidûment les soins les plus empressés. Ses chefs sont venus le voir, l’encourager et lui donner des secours. Le directeur général, M. François, est venu d'Anzin lui apporter les félicitations du Conseil de régie, avec la nouvelle qu’il serait payé comme s’il travaillait. Il recevra une médaille de la Compagnie, et, avec quelques autres, il sera médaillé de l’État. Honneur aux braves!


Faire son devoir au péril de sa vie: c’est noble!

Mais être prêt, c’est-à-dire pardonné, sauvé, assuré de son salut, quelle fortune!!!

GLOIRE AU SAUVEUR


N.-B. — Environ une heure et demie après, l’autre était ramené au jour. Il était contusionné sur tout le corps, mais il n’avait rien de cassé. Satisfaisante d’abord, sa situation s’est ensuite aggravée; puis, enfin, améliorée. Aujourd’hui, il est aussi hors de danger.

Vincent père.

La pioche et la truelle N° 42 (1891?)


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