Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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RAVACHOL


Nous avons le triste honneur, mon frère et moi, de connaître personnellement Ravachol.

Nos relations remontent à plus de quatre ans. Ce n’était pas alors cet anarchiste fougueux arrivé par degrés jusqu’aux attentats les plus abominables; c’était un garçon modeste, la figure presque féminine, l’air aimable, toujours le sourire aux lèvres.

Quand les journaux nous apprirent l’assassinat de l’ermite de Chambles et les explosions du boulevard St-Germain et de la rue de Clichy, nous ne pouvions nous persuader qu’il y fut seulement impliqué. Comment, c’était ce jeune homme que nous avions vu venir chez nous, si timide, si respectueux?


Son père, originaire du Luxembourg hollandais, avait abandonné sa famille dans la Loire et était allé mourir à Aix-la-Chapelle, il y avait de cela dix ans, laissant un petit héritage près de Maastricht; il ne savait quelles démarches faire pour le toucher, et il venait humblement prier mon frère de s’intéresser à la chose.

Sa mère fréquentait assidûment nos réunions de Valbenoite, à St-Étienne: une brave femme que cette mère, et qui aimait l’Évangile, et qui a fréquenté notre chapelle jusqu’au jour où son malheureux Francis commit son premier crime.

Depuis, elle cache sa honte à tous les yeux et pleure. Mon frère lui rendit bien volontiers de petits services et fut assez heureux pour réussir. Ravachol nous en avait gardé quelque reconnaissance et nous espérions presque que sa mère finirait par l'attirer au culte et qu’il se convertirait. Il était si doux!

Hélas!


Comment il se perdit, je l’ignore, ou plutôt, j’attribue sa ruine morale à la détestable influence d’une femme qui n’a rien fait de l’évangile, elle non plus, je veux parler de madame Rullière. Je puis bien citer un nom qui a rempli les journaux pendant six mois. La malheureuse expie maintenant ses fautes dans une cellule de la maison centrale de Clermont: elle a été condamnée à 7 ans de réclusion pour complicité dans l'affaire de Chambles.

Et pourtant j’ai vu cette femme venir aux conférences avec plaisir: je lui ai rendu des visites à elle et à son mari (mon frère lui a sauvé la vie en lui envoyant à temps ou en payant de ses deniers un médecin qui l'a opérée d'un anthrax charbonneux).

Je la vois encore pleurant à chaudes larmes dans une de nos réunions et m’attendant à l’issue du service pour me demander avec angoisse ce qu’il fallait faire pour être sauvée. Puis, tout d’un coup, elle disparut; les bonnes impressions n’avaient été que passagères; elle avait déjà fait la connaissance de Ravachol! sans doute et de chute en chute, elle l’entraîna à tous les crimes.


AH! QU’ELLE EST GLISSANTE LA PENTE DU PÉCHÉ et comme l’Évangile a raison de dire que la dernière condition de ces gens-là est pire que la première.


Il arrive un moment où, à force de s’éloigner de Dieu,

le sens moral s’atrophie et on perd jusqu'au sentiment de sa honte.


Oseriez-vous croire que la malheureuse, au moment de comparaître en cour d’assises, m’écrivit une lettre désespérée où elle me suppliait d’attester son innocence et de venir déclarer qu’elle était incapable d’un pareil forfait?

Entre-temps ne m’appelait-elle pas son cher pasteur! me priant de saluer les frères et les sœurs de St-Étienne, qu’aussitôt libérée par mon moyen, elle se joindrait à l’Église! Jamais je n’ai vu tant d’effronterie unie à tant de perversité.

Mais je ne m’en étonne pas. La Bible nous a prévenus.

Ah! vous méprisez les appels du Seigneur!

vous vous jouez des solennels avertissements de l’Évangile!

vous résistez à la grâce céleste;

vous faites taire la voix de votre conscience!

Soit! vous êtes libre; mais sachez une chose, c’est que:

Pour n’avoir pas voulu faire le bien, vous ferez le mal;

Pour n’avoir pas voulu gravir avec le Christ la cime ardue de la justice, vous descendrez tous les degrés du crime.

Vous ne voulez pas être des créatures saintes, vous connaîtrez les hontes suprêmes et les derniers avilissements;

Vous ne voulez pas servir Dieu, vous serez les esclaves du diable.

«Que celui qui est juste se sanctifie encore et que celui qui est souillé se souille encore...» telle est la loi fatale qui pèse sur toutes les âmes rebelles.


COMMENCER PAR L’ÉVANGILE ET FINIR PAR LE BAGNE,

QUELLE HORREUR... ET QUELLE LEÇON!


Samuel Vincent.

La pioche et la truelle N° 1 (1890)


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