Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

----------

LA MORT D’UN ÉGOÏSTE


Michel, arrête les chevaux, nous voulons courir pour nous réchauffer.

Non, cela nous retarderait, et la nuit s’approche.

Le bel avantage d’arriver de jour, si nous arrivons gelés comme des glaçons!


Prières et supplications furent inutiles: Michel fouetta ses deux chevaux qui déjà dévoraient l’espace; le traîneau glissait en sifflant sur la neige durcie par le terrible vent de la Russie du Nord; mais la plaine déployait toujours à perte de vue son immense manteau blanc.

L'engourdissement commençait à s’emparer des trois frères, malgré leurs épaisses fourrures; la blancheur éclatante de la neige leur fatiguait les yeux; mais ils savaient que pour eux le sommeil c’était la mort, et ils se tenaient éveillés.

Pierre et Nicolas auraient voulu descendre un moment du traîneau, agiter leurs membres, courir un peu, faire circuler leur sang, et se réchauffer.

Mais le terrible Michel qui, pour le moment, tenait les rênes, ne craignait que d’arriver en retard, et répondait aux plaintes de ses frères en brandissant son fouet et en excitant ses chevaux.


* * *


Nicolas surtout maugréait contre l’obstination de son frère; ses yeux alourdis ne pouvaient plus regarder la terre blanche, les arbres blancs, le ciel blanc; ses oreilles étaient lassées du bruissement monotone de la neige: il se sentait envahi par le froid de la mort.

Tout à coup, il s’aperçoit que Pierre est endormi.

Pierre! crie-t-il.

Pas de réponse.

Pierre! Il le remue, puis il le secoue de toutes ses forces, mais Pierre est une masse inerte.

Michel! Vois donc Pierre. Arrête les chevaux. Il nous faut le frictionner avec de la neige.

Mais Michel, sans même se retourner, secouait les rênes sur le dos des chevaux.

Crois-tu, s’écria-t-il, que je vais risquer ma vie pour ressusciter un mort?

Cette fois Nicolas n’y tint plus; abandonnant le corps inerte de Pierre, il se jette sur Michel:

Misérable, lui dit-il, je saurai bien t’obliger à sauver ton frère!

Michel, cette fois, n’osa plus résister: il tira les rênes, en disant avec colère:

Eh bien! Dépêche-toi.


* * *


Nicolas déposa à terre le corps sans vie de son frère, puis, prenant à pleines mains de la fraîche neige, il le frictionna avec énergie. Pendant cinq minutes, il mit toutes ses forces dans ce travail, et, comme Pierre ne donnait aucun signe de vie, i! s’écria:

Michel! Mais viens donc m’aider.

Michel, dans le traîneau surveillait l’opération:

Il me semble, dit-il que je lui ai vu remuer les lèvres.

En effet, la chaleur commençait à rentrer dans ce corps à demi gelé, Nicolas redouble d'efforts. Bientôt Pierre rouvrit les yeux, reprit connaissance, s’assit sur la neige, et se mit lui-même à se frictionner. Désormais, il était sauvé.

Grâce au rude travail auquel il s’était livré, Nicolas était, lui aussi, réchauffé. Enfin, il aide son frère à se lever:

Maintenant, dit-il courons un peu derrière le traîneau. En route, Michel.

Mais le traîneau ne bouge pas.

Michel!

Pas de réponse.

Les deux frères s’avancent et voient, le pauvre Michel endormi à son tour.

Ils le prennent, l’étendent aussi sur la neige et le frictionnent de toute leur énergie; mais leurs efforts furent inutiles. Pendant une demi-heure ils s’acharnent en vain à rappeler un mort à la vie.


* * *


Souvenons-nous de la Parole de Jésus-Christ:


«Quiconque voudra sauver sa vie la perdra,

mais quiconque perdra sa vie pour l’amour de moi,

Celui-là la retrouvera.»


Ph. Vincent.

La pioche et la truelle N° 6 (1890)


Table des matières