Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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L’ANNONCE DU VENDEUR DE SPIRITUEUX

(Et qui sait, pour notre siècle: du vendeur de drogues)


Vous tous que ceci intéresse, hommes et femmes, jeunes et vieux, citadins ou ruraux, écoutez:

Je vous informe qu’ayant ouvert récemment un débit de liqueurs fortes, j’entreprends de faire de vous des ivrognes, des misérables et des mendiants,

AFIN QUE CEUX QUI SE CONDUISENT HONORABLEMENT DANS LA SOCIÉTÉ SOIENT CHARGÉS DE POURVOIR À LEURS BESOINS.


En fort peu de temps, mais moyennant rétribution, je puis préparer des sujets pour les dépôts de mendicité, de même que pour les hôpitaux de Bicètre et de la Salpétrière ou autres asiles de fous, et je prépare aussi des recrues pour les prisons et pour l’échafaud.

Je puis procurer des esprits qui portent les hommes à se quereller, à voler, à répandre le sang, esprits qui par leur action invariable diminuent le bien-être, augmentent les dépenses et nuisent à la prospérité générale du peuple.

Je puis offrir pour les différents goûts des articles de cabaret qui augmentent le nombre des accidents, aggravent les maladies dangereuses et rendent incurables les maux qui sans mes spiritueux seraient fort anodins.

Je vends des potions qui:

à quelques-uns, ôtent la vie,

à d’autres la raison,

à un grand nombre leurs biens

ET À TOUS LA PAIX!


Je vends des breuvages qui font que de bons pères de famille sont changés en démons furieux.

J’offre à tous des boissons qui font que les épouses deviennent veuves, les enfants orphelins, et qui font que tous mes clients en souffrent considérablement.

Grâce à la vente de mes liquides, la génération qui doit naître des meilleurs habitués de ma maison est sûre de croître dans l’ignorance et de causer un préjudice au pays.

Par mes liqueurs, les mères de famille oublient les besoins et les cris de leurs pauvres petits enfants, en même temps que la valeur de leur inestimable vertu.

Par le contenu de mes flacons, je puis corrompre des hommes au caractère religieux, souiller la pureté des églises et produire la mort spirituelle, temporelle et éternelle des amateurs de mes produits.


Si quelqu’un avait l’impertinence de me demander ce qui me porte â accumuler de tels maux sur des gens relativement heureux, je lui répondrais honnêtement: l'or, l'argent, les billets de banque.

Je vis dans un pays libre, je paie patente pour détruire le cœur, la réputation, les facultés, l'âme et le corps de ceux qui m’honorent de leur patronage.

Venez, venez tous, accourez! Je m'engage à faire tout ce que je promets; vous pouvez vous fier à moi pour cela.

Ceux qui désirent attirer sur eux-mêmes ou sur leurs chers amis quelques-uns des maux indiqués ci-dessus, sont invités à mon comptoir, où, pour quelques centimes à la fois, je leur fournirai le sûr moyen de réussir.

Mon enseigne dit aux amateurs que les poches se vident chez moi, qu’on y fabrique des nez rouges, des vêtements loqueteux, des yeux abrutis.

On y forme aussi des querelleurs, des faussaires, des joueurs, des élèves pour les pénitenciers, des larrons, des meurtriers, des gibiers de prison et de futurs sujets pour la guillotine.


* * *


Pour qui les ah? pour qui les hélas? Pour qui les disputes? pour qui les plaintes?

Pour qui les blessures sans raison? pour qui les yeux rouges?

Pour ceux qui s’attardent auprès du vin, Pour ceux qui vont déguster du vin mêlé.


Ne regarde pas le vin qui paraît d’un beau rouge, Qui fait des perles dans la coupe, Et qui coule aisément.

Il finit par mordre comme un serpent, Et par piquer comme un basilic.

Tes yeux se porteront sur des étrangères, Et ton coeur parlera d’une manière perverse.

Tu seras comme un homme couché au milieu de la mer, Comme un homme couché sur le sommet d’un mât:
On m’a frappé,... je n’ai point de mal!... On m’a battu,... je ne sens rien!...
Quand me réveillerai-je?... J’en veux encore! (Prov. 23, 29-35)


* * *


Ne savez-vous pas que les injustes n’hériteront point le royaume de Dieu?

Ne vous y trompez pas:

ni les impudiques, ni les idolâtres, ni les adultères,

ni les efféminés, ni les infâmes,

ni les voleurs, ni les cupides,

ni les ivrognes, ni les outrageux, ni les ravisseurs,

n’hériteront le royaume de Dieu.

(1 Corinth. 6, 9-10)


La pioche et la truelle N° 7 (1890)


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