Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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LE FRÈRE DE L’ENFANT PRODIGUE

(Luc XV, 25-32)


Si jamais quelqu’un s'est cru honnête homme, c'est bien le frère de l'enfant prodigue. Voyez avec quelle assurance il dit à son père: «Il y a tant d'années que je te sers sans avoir jamais contrevenu a ton commandement» verset 29.

Aux yeux du monde, il pouvait passer pour honnête:

il n'avait pas, comme son jeune frère, déserté la maison paternelle;

il n'avait pas dépensé tout son héritage dans les débauches,

il n’avait pas déshonoré le nom qu'il portait;

il n'avait pas abreuvé de chagrin son pauvre vieux père;

il ne s'était jamais mis dans le cas de garder des pourceaux.

Si on lui avait conseillé de se convertir, il n’aurait pas manqué de répondre, d’un air piqué, ce que répondent bien des gens aujourd'hui: «Grâce à Dieu, je suis un honnête homme; employez donc votre zèle à sermonner mon frère.»


Examinons cependant s'il est aussi honnête qu'il le prétend.

Le premier acte que nous savons de lui (versets 25 et 26), nous montre qu'il était d'un caractère méfiant et soupçonneux.

En revenant des champs, il entend chez son père, un bruit de fête, et au lieu de se hâter d’entrer pour apprendre par lui-même ce qui peut réjouir une maison si longtemps plongée dans le deuil, il reste à la porte, appelle un domestique et lui demande des renseignements.

Est-ce ainsi que se conduit un homme franc et loyal?

Qu’il entre donc! son pauvre père, les yeux pleins de larmes de joie, s'empressera de lui annoncer la bonne nouvelle et de lui marquer sa place au festin de famille.

Quel sournois que cet honnête homme!

Cependant, le serviteur donne les explications demandées. «Ton frère est de retour, et ton père a tué le veau gras parce qu'il l'a retrouvé en bonne santé.»


Vous pensez peut-être, ami lecteur, que dans sa joie de revoir son frère si longtemps perdu pour la famille, notre honnête homme va se précipiter dans la maison, et, imitant l'empressement de son père, se jeter au cou de l'enfant toujours chéri et le baiser.

Vous n’y êtes pas; notre honnête homme est un mauvais frère; — bien loin de le réjouir, LA NOUVELLE DU RETOUR DU PRODIGUE LE REMPLIT DE TRISTESSE.

Si encore, sans aimer son frère, il avait eu pour son père le moindre égard, il se serait quand même réjoui d’un événement qui ramenait le bonheur dans le cœur si longtemps affligé du vieillard:


mais il est aussi mauvais fils que mauvais frère;

Cet honnête homme n’a ni affection naturelle, ni compassion, ni respect, ni cœur.


Et il n'a pas honte de montrer sa tristesse; loin de là!

Il se met en colère (verset 28) et refuse d’entrer.

Il trépigne de fureur, notre honnête homme.

C’est mal de se mettre en colère, même quand on a raison; c'est encore plus mal quand on a tort; mais le comble de la méchanceté, n’est-ce pas de se mettre en colère contre son père?

Sa colère dura longtemps. «Il ne voulut point entrer», nous dit l'Évangile. Bon; le voilà qui boude maintenant.

Le voyez-vous allant s'adosser au mur, les bras croisés, secouant la tête, le visage renfrogné, et grommelant entre les dents?

Quel grand niais que notre honnête homme!


Son bon père vient le trouver et le prie d’entrer. Mais l'impoli, au lieu d'obéir, se met à répondre à son père, à lui taire des reproches: Il se vante de n'avoir jamais désobéi une seule loi, ce qui était un mensonge, car il n’y a pas un seul enfant qui n’ait jamais désobéi au moins une fois à ses parents; et du reste, il désobéit bien en ce moment, puisqu’il refuse d’entrer.

De plus, ce mauvais fils, qui avait reçu comme son frère sa part d'héritage (verset 12), a l'audace inouïe de reprocher à son père de ne jamais lui avoir donné un chevreau pour se réjouir avec ses amis.

Ingratitude et second mensonge!

En face de tant de perversité, le pauvre père est muet de stupeur. Le misérable en profite pour redoubler de reproches et d'accusations: il rappelle avec amertume l’inconduite de son frère, son argent prodigué, son ivrognerie et ses débauches.

Ah! que la jalousie et l'égoïsme sont de funestes conseillers!

Ce sont ces deux vices qui forment le fond du caractère de notre honnête homme.

Il est furieux de voir que son frère est tant aimé et que, pour fêter le retour de celui-ci, on n’ait pas reculé devant le sacrifice d’un veau gras.

Pour satisfaire son égoïsme et sa jalousie, il souffrirait volontiers que son vieux père mourût de chagrin, et que son pauvre frère retournât garder les pourceaux.

Que de péchés cet homme, qui se croyait juste, a commis en une seule journée!

Quel cœur dur il a étalé devant son père, devant nous, et devant Dieu! S’il ne s'est pas repenti et converti, le sort de son frère est aujourd'hui bien préférable au sien.


Vous qui vous croyez honnêtes, et qui pensez n'avoir besoin ni de repentance, ni de conversion, méditez cet exemple.

Ph. Vincent.

La pioche et la truelle N° 7 (1890)


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