LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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UN CHEF TAHITIEN

(Quiconque...)

Au commencement de ce siècle, un missionnaire nommé Hunt se dirigeait vers les mers du Sud, pour annoncer l’Évangile aux habitants de Tahiti.

Après avoir travaillé quatorze ou quinze ans, Hunt et ses compagnons n’avaient pas encore un seul converti. La situation était alors des plus désolantes, car la guerre faisait ses ravages à Tahiti et dans les îles environnantes: l’idolâtrie, la sensualité, l'ignorance et une brutalité horrible prévalaient partout, et la parole de Dieu paraissait n'avoir produit jusque-là aucune impression sur ces insulaires, dégradés au suprême degré.

Une traduction de l'Évangile selon saint Jean venait d’être terminée, et, avant de la livrer à l’impression, Hunt relisait à haute voix le chapitre troisième, en présence de plusieurs Tahitiens qui étaient près de lui.

Arrivé au seizième verset, il fait entendre ce petit Évangile en raccourci:

«Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son fils unique

afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle».

Un chef du nom de Pomaré II sort du groupe et dit au missionnaire:

«Voudriez-vous lire cela de nouveau. M. Hunt»?

Celui-ci le lut de nouveau,

Voudriez-vous le lire une fois de plus?

M. Hunt le relut une fois de plus.

«Ah! répéta Pomaré, cela peut s'appliquer à vous, les blancs, mais non à nous habitants de ces îles. LES DIEUX N’ONT PAS UN AMOUR SEMBLABLE POUR NOUS.

M. Hunt suspendit alors sa lecture; il fit observer à son interlocuteur cette parole du texte: «QUICONQUE»; et il se servit de ce mot pour lui montrer que le message évangélique s’appliquait à lui personnellement et ne pouvait concerner tel homme ou telle femme plutôt que tout autre.

Au moment où Hunt exposait cette vérité merveilleuse, Pomaré lui dit:

«Eh bien! alors, si tel est le cas, votre livre sera mon livre, votre Dieu sera mon Dieu, votre peuple sera mon peuple et votre ciel sera mon «home».

Nous, peuple de Tahiti, nous n’avons jamais entendu parler d'aucun dieu qui nous aimât, NOUS ET CHACUN de cette manière».

Et ce converti fut le premier d’une armée de croyants qui compte aujourd'hui près d’un million dans la région des mers du Sud.

A. D.

La pioche et la truelle N° 20 (1894)