Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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CELUI QUE DIEU SECOURT EST BIEN SECOURU.


Dans une ville d'Asie vivaient deux mendiants. Il y en a beaucoup de mendiants en Asie, car il y a beaucoup de paresseux; mais il arriva à deux d’entre eux, deux réels nécessiteux, deux infirmes, une aventure telle qu’ils furent vite distingués parmi les autres, et c’est leur aventure qui fait l’objet de ce récit.

L'un aimait Dieu et se confiait en Lui. Un jour, on l'entendit crier dans les rues de la ville: «Celui que Dieu secourt est bien secouru! Celui que Dieu secourt est bien secouru!» ce qui semblait surprenant de la part d'un pauvre diable tout déguenillé.

Un autre malheureux, se croyant sans doute plus intelligent, n’eût pas plus tôt entendu les cris de son confrère qu’il se mit à crier: «Celui que le Roi secourt est bien secouru! Celui que le Roi secourt est bien secouru!»

Bref, les bonnes gens riaient, nos mendiants, jour après jour, faisaient retentir les rues de la ville de leur cri étrange, et chacun se demandait ce que dirait le roi quand il les entendrait.

Notre mendiant royaliste avait bien pensé que ce dernier finirait par l’entendre et lui prouverait par une riche aumône qu'il avait plus raison de se confier au Roi que l’autre de se confier à un Être invisible et apparemment insensible!


Le Roi, en effet, les entendit, et, désireux de faire étalage de sa générosité, fit appeler celui qui louait d’avance sa bienfaisance et lui fit remettre un énorme pain bourré d’or.

En recevant cette grosse miche dont il ne pouvait soupçonner le contenu, notre mendiant fit la grimace: «Pour un présent du Roi... ! Hum! ce n'est pas fameux!» pensa-t-il: puis le soupesant et le trouvant très lourd: «Il n’est pas même cuit! un chien le refuserait!»

Il l’emporta cependant.


À ce même instant, l’autre mendiant passait devant le palais royal criant à pleins poumons «Celui que Dieu secourt est bien secouru! Celui que Dieu secourt est bien secouru!»

«Nous verrons si Dieu te secourt comme le Roi sait secourir!» pensa notre sultan qui l'entendit.

Et le chrétien de répéter; «Celui que Dieu secourt...»

«Ohé! l'ami! interrompit le protégé du Roi: combien me donnes-tu de ce pain-ci?»

L’autre, étonné, mais considérant la grosseur du pain; «4 sous!»

«Tiens, Prends-le!»

Et chacun s’en retourne chez soi, l’un criant toujours; «Celui que Dieu secourt est bien secouru, etc.», tandis que l’autre ne disait plus rien, trouvant sans doute qu’il avait été fort mal secouru.

Arrivé chez lui, le mendiant, toujours chargé de son pain et le trouvant pesant, plus pesant qu’un pain ordinaire, veut en savoir la raison; il prend un couteau et le coupe par le milieu. Ô prodige inouï!

Ô extase surhumaine! de l’ouverture béante s’échappent des flots d'or qui roulent de tous côtés avec un bruit joyeux, de belles pièces d'or toutes neuves, toutes scintillantes. Le bonhomme en croit à peine ses yeux, il n’ose pas y toucher; enfin, joignant les mains et levant les yeux au ciel, il crie de toutes ses forces:


«Ô Dieu! celui que tu secours est bien secouru!

Celui que tu secours est bien secouru!»


Ayant ainsi rendu grâces à Dieu, il acheta des habits et de la nourriture pour ses enfants et pour lui-même, et put avec le reste vivre de longs jours sans craindre la disette.

Le Roi passa une bonne nuit cette nuit-là, — croyant avoir accompli une action magnifique; il disait que toute la ville le saurait le lendemain et chanterait sa munificence et sa gloire.

Quelle ne fut pas sa surprise quand le jour suivant il entendit encore: «Celui que le Roi secourt est toujours secouru! Celui que le Roi secourt est toujours secouru!»

«Oh! oh ! pensa le Roi, le pauvre n'est plus secouru! Qu'est-ce que cela veut dire? Et puis, qu’a-t-il encore besoin de crier? La miche renfermait assez d'or pour lui permettre de vivre indéfiniment sans mendier! Qu'on fasse venir le criard!»

Quand le mendiant fut devant lui:

Et bien, qu'as-tu fait de mon pain?

Sire, un pain pour huit, car nous sommes huit chez nous! c'est bien vite mangé!

Allons, ne mens pas, qu'as-tu fait de mon pain?

Je l'ai vendu pour quelques sous à cet autre mendiant qui crie: «Celui que Dieu secourt est bien secouru!»


Le roi se leva, rentra dans ses appartements et ne put pendant quelques minutes que répéter:

«C'est vrai, c'est vrai! Celui que Dieu secourt est bien secouru!»

Et toute la ville, apprenant, l'histoire, répéta après lui:


«CELUI QUE DIEU SECOURT EST BIEN SECOURU.»


Carus.

* * *


Dieu est pour nous un refuge et un appui,

Un secours qui ne manque JAMAIS dans la détresse.

(Ps. 46: 1-2)


La pioche et la truelle N° 21 (1894)


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