Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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SCÈNE DE LA RUE

JUSQU’AU FOND DE L'ABÎME?


C’était un dimanche; comme je sortais de chez moi, mes regards furent attirés par un rassemblement de personnes.

Je m’approchai pour voir ce qui se passait.

Que vis-je?

Spectacle affreux! Là, un homme, blême de rage, les cheveux en désordre, s’était armé de ses deux sabots qu’il brandissait d’un air menaçant.

Il vociférait, tempêtait, hurlait d'une manière si affreuse, que n’eût été sa face humaine, on l’eût pris pour une bête en furie à qui la parole aurait été donnée.

Il était ivre.

Je vis aussitôt l’objet de sa rage: c’était un estaminet dont la porte venait d’être brusquement fermée.

Bientôt, sa colère fut au comble; se précipitant contre la porte qui lui offrait une résistance invincible, il frappe à coups redoublés avec un de ses sabots. La porte ne bouge pas, mais le sabot vole en éclats.

Il s’éloigne un peu, voulant faire croire au cabaretier qu’il abandonne le terrain. À quelques mètres de là, il s’arrête, prend de sa main droite le sabot qui lui reste, et, guettant le moment où quelqu’un ouvrira la porte, il s'apprête à lui lancer le projectile à la tête.

Espoir vain, personne ne sort.

Exaspéré, il s'élance de nouveau, cette fois, contre la fenêtre.

De son sabot, il frappe plusieurs coups violents dans les carreaux qui se brisent en mille morceaux.

Ce haut fait accompli, il se retourne, fier, vers la foule, continue ses jurements, profère des menaces de mort contre l’objet de sa haine.

Il s’est coupé: son sang coule; le sabot qu’il tient toujours de sa main saignante s’emplit peu à peu.

Dans ses mouvements désordonnés, sa montre se détache, tombe dans la boue, il la ramasse, la remet telle quelle dans sa poche.

Enfin, las de la lutte, il s’en va, pieds nus, couvert de sang; de temps en temps, il se retourne, prêt à revenir, on l’en empêche, et, bientôt, il est hors de vue.

Après avoir assisté à ce triste spectacle, je me disais: «Malheureux! demain, tu auras cuvé ta bière; des douleurs cuisantes te tireront de ton lourd sommeil et alors, revenu à toi-même, tu verras ta main meurtrie; il te faudra bander tes plaies, te reposer forcément pendant quelques jours, perdre ta place et, qui sait, jeter dans la misère et le désespoir ta femme et tes enfants.

Il te faudra faire arranger ta montre qui ne marche plus, racheter des sabots pour remplacer ceux que tu as brisés, payer les carreaux cassés et, en plus de tout cela, la justice viendra peut-être s’occuper de ton affaire.»

Triste! triste conséquence de cette passion: l’ivrognerie!


* * *


Et maintenant, cher lecteur, qui que tu sois, écoute:

Le monde te parle et te dit:

«Il faut s’amuser tant qu’on est jeune...

Il faut que jeunesse se passe, etc., etc...»

Peut-être, cet homme avait-il eu une bonne conduite dans sa jeunesse!

Je l’ignore, mais, ce que je puis assurer, c’est qu’il a prêté une oreille trop attentive aux conseils du monde et que, peu à peu, il s’est plongé tout entier dans abîme des plaisirs mondains. C’est une pente rapide que celle qui mène à la dégradation et au déshonneur public.

Écoute encore, si tu ne songes qu’à t’amuser. Un sage de l’antiquité, le roi Salomon, t’a laissé un conseil:

«Jeune homme, réjouis-toi en ton jeune âge, que ton cœur se rende gai aux jours de ta jeunesse, marche comme ton cœur te mène et selon le regard de tes yeux, mais, sache

que pour toutes ces choses, Dieu t'amènera en jugement.» (Ecclésiaste, XII, 1.)


Les plaisirs du monde sont trompeurs, ils ne procurent qu’une joie factice et de courte durée. Pour assouvir sa soif, l'homme s’y plonge un peu à la fois: c’est son bras, puis c’est son corps, sa tête, tout en lui descend jusqu’au fond de l'abîme, il s’y vautre, y rampe, puis meurt:


APRÈS QUOI, SUIT LE JUGEMENT.

Lecteur, prépare-toi à la rencontre de ton Dieu.


Sabinus.

La pioche et la truelle N° 22 (1894)


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