Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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UN CONSEIL: SI TON FRÈRE....

Matthieu, XVIII, 15.


C’est un conseil que je vous apporte.

«Un généreux conseil est un puissant secours,» dirait le poète, prenez-le en bonne part; je le crois bon, très bon. J'ai pour le croire cette raison que c'est Jésus qui le donne.

Est-ce bien un simple conseil?

N’est-ce pas un ordre?

Enfin, laissons le mot. D'ailleurs, c'est un conseil qui vient de si haut, revêtu de tant d'autorité, que chacun en sentira l'importance et mettra, quand il l’aura bien compris, tous ses efforts à le suivre.


I


À propos de quoi, ce conseil?

Voici. Nous sommes, chacun, tous les jours, exposés à avoir des difficultés grandes ou petites avec nos semblables. Alors, comment faire?

Si ton frère, dit Jésus...

TON FRÈRE. Souviens-toi bien de cela, ami lecteur.

Si ton frère...

quel que soit l’homme,

son caractère,

sa méchanceté prouvée ou supposée,

sa volonté de te nuire,

le mépris qu'il t’inspire ou qu’il fait de tes droits;

quoi qu’il ait entrepris contre toi,

quels que soient ses torts présents ou passés,

son acharnement à les multiplier, si ton frère...

Cet homme, c’est ton frère.

Il y en a qui s’en souviennent et qui s’en vont répétant:

«Plus l'offenseur est cher et plus grande est l’offense.»

Je ne crois pas que l'offenseur soit bien cher quand on fait si grande l'offense. Mais soit! Il y en a qui l’oublient.

«Un frère, dit-on....Non pas! non pas! un ennemi!» Si ton frère, dit Jésus.

Ainsi pensait Abraham quand il disait à Loth: «Je te prie, qu’il n’y ait point de querelle entre nous, car nous sommes frères.»


SI TON FRÈRE A PÉCHÉ CONTRE TOI.

Tu l'entends bien. S'il est bien certain, s’il est bien prouvé, s'il n’y a pas de doute que ton frère ait péché contre toi. Il ne s'agit pas de savoir s’il t’a fait de la peine, s'il t’a manqué d’égards: il s'agit de savoir s'il a péché contre toi.

Pèse bien le pour et le contre.

C’est beaucoup de prudence que Jésus te conseille. QUE DE CHOSES DANS CE SI!

Assieds-toi un moment, examine, réfléchis sérieusement en te souvenant toujours que nous sommes frères les uns des autres.

Y a-t-il péché?

N'exagères-tu rien?

Ne te fais-tu pas d’illusion?

N’y a-t-il pas chez toi susceptibilité trop aigue, peut-être; animosité cachée qui te fait tout mal voir, mal juger; trop de vivacité à t’alarmer, à te blesser de choses qui, vues d’un peu plus haut ou seulement d’un peu plusloin.se réduiraient à rien?


Un péché?

Tu conçois bien ce que c'est. IL Y EN A DANS TA VIE.


Ne fais pas un péché, dans la vie d'un autre,

ce que tu ne voudrais pas qu'on appelât péché dans la tienne.


Et puis encore, n'appelle pas légèrement péché, ce qui ne t’atteint que toi personnellement.

Nous n’avons le droit d’appeler péché, même, surtout contre nous, que ce qui va jusqu’à offenser Dieu.

Songez-y:

Accuser un frère et l’accuser devant Dieu de pécher contre toi et par conséquent contre Lui!

Si ton frère a péché contre toi, je comprends que tu sois triste.

Triste, mais non pas irrité, transporté de colère, avide de vengeance.

Triste de voir ton frère coupable devant Dieu;

Triste, non pas à cause du mal qu’il t'a fait, mais à cause du mal qu’il s’est fait.

Il est vrai que ce sont là autant de restrictions que Jésus fait — avec quelle sagesse! — à ce que nous appelons si volontiers l'exercice de nos droits.

Voyons maintenant comment il comprend cet exercice.


II


SI ton frère a péché contre toi...

Alors quoi?

Alors, va! — Où? — Chez lui. Pas chez un autre.

Sans doute, je comprends que dans l’excès de ta peine, si tu connais, ici-bas, une âme sœur de ton âme, tu ailles vers elle, lui dire que tu souffres, chercher auprès d’elle consolation, réconfort, lumière, direction, ou chercher ces choses avec elle auprès de Celui qui les possède et les donne dans la plénitude. Je veux bien que tu ailles là d’abord.

Il y a de ces coups qui obligent à requérir la sympathie et, plus que cela, — si l’on a l’âme bien placée, — la force de marcher droit dans la voie qu'on sait, être celle du devoir.

Mais encore, je crois que le mieux sera d'aller d’abord, de suite, je t'ai dit où: CHEZ LUI!

Mais, aller chez lui, je n'oserai jamais. Après ce qui s’est passé, comment me présenter chez lui?

Comment?... COMME UN FRÈRE.

De deux choses l'une encore: ou tu l'aimes comme un frère ou tu ne l'aimes pas. Et si tu l’aimes, comment, pourquoi n’irais-tu pas?


Que tu n’ailles pas, voilà qui ne se comprendrait pas.

Aurais-tu peur? — et peur pourquoi?

Ta conscience n’est pas sûre de son droit? Alors n'y va pas.

Es-tu bien persuadé que péché il y a eu? Alors pense au salut de ton frère et va! Cours! Demain, peut-être, il serait trop tard.

Mais encore une fois, VA COMME UN FRÈRE CHEZ UN FRÈRE.

Ne prends pas un air roide, rogue, un ton cassant, tranchant. Va comme tu voudrais que Jésus vînt chez toi si tu avais péché contre Lui. Va et que Dieu soit avec toi.


III


Mais, chez lui, que ferai-je?

Reprends-le... C’est ton droit.

C'est plus que ton droit: c'est ton devoir.

Tu feras bien de le reprendre. Personne, pas même Dieu, ne pourrait te le reprocher.

Et comment le reprendras-tu?

Toujours comme un frère reprend son frère. Dans la charité. Un traducteur me semble avoir bien indiqué la pensée de Jésus quand au lieu de «Si ton frère a péché contre toi, reprends-le, il écrit: Si ton frère a péché contre toi, montre-le lui.»

C'est moins un reproche que tu dois lui faire qu'un avertissement que tu dois lui donner. Toi tu n'es plus rien que son frère. Efface-toi. Mais encore, que ce ne soit pas pour substituer à ta chétive personne le Dieu saint, le Dieu juste, le Dieu vengeur. Non; que ce soit pour parler du Dieu amour qui ne veut pas perdre, mais sauver, dont la charité, heureusement! plus que la nôtre, couvre une multitude de péchés.


Surtout, que tout se passe entre ton frère et toi.

Qu’il n'y ait pas de témoins de votre entrevue et de votre entretien. Que tout soit et reste entre vous: pendant que seras chez lui; après que tu seras sorti de chez lui!

Cela, c’est un peu dur!...

Quoi, personne ne saura ce que je lui ai dit, ni comment je me serai exprimé?

Quoi, personne ne saura ce qu’il m'aura répondu, ni comment il se sera excusé?

Mais non, à quoi bon? Quel intérêt peux-tu avoir à humilier ton frère?

S'il t'écoute.... Le contraire est possible.

Toutefois s'il ne veut rien entendre, tu n’auras rien à te reprocher. Hésite cependant à croire qu'il se pourrait qu'il ne voulût point t'écouter, si tu veux et si tu sais t’y prendre comme je viens de dire.


S’il t'écoute — oh! fais en sorte qu'il t’écoute – tu auras gagné ton frère.

IL VAUT MIEUX LE GAGNER QUE LE PERDRE.


Or, ce qui se passe le plus souvent, le voici;

Quand nous avons été offensés par l'un de nos frères, nous nous empressons de courir à droite, à gauche, pour dire à qui voudra l’entendre et même à ceux qui n’y tiennent pas: «Savez-vous ce qu'il m'a fait! Savez-vous!... »

Ou bien ce que nous racontons est vrai. Alors il arrive que nous perdons notre frère, et nous nous compromettons nous-mêmes; car il se trouvera toujours quelqu’un pour dire que nous avons bien mauvais cœur.

Ou bien ce que nous racontons est faux. Alors, il arrive encore que nous perdons notre frère; et nous compromettons nous-mêmes; car il se trouvera toujours quelqu’un pour dire que 
nous avons... bien mauvaise langue.

Voilà pourquoi, dans l'intérêt des uns et des autres, j'ai cru devoir rappeler cet excellent conseil du Seigneur:


«SI TON FRÈRE A PÉCHÉ CONTRE TOI.

VA, REPRENDS-LE ENTRE TOI ET LUI SEUL.

S’IL T’ÉCOUTE, TU AURAS GAGNÉ TON FRÈRE


J. Roth.

La pioche et la truelle N° 22 (1894)


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