Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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LA PROVIDENCE

DIEU POUVOIT EN TOUT TEMPS


Parmi les membres de mon troupeau était un pauvre couple perclus de rhumatismes. La femme était complètement infirme et ne pouvait bouger du lit, le mari avait sur elle un double avantage: on le tirait du lit le matin et on le plaçait sur une chaise où il restait jusqu’au soir; il avait même une main assez libre pour pouvoir porter la nourriture à sa bouche. Ils souffraient souvent beaucoup, mais sans murmurer: c'était édifiant de voir leur patience et leur sérénité.

Un jour que nous parlions de la volonté de Dieu, ils me dirent qu’ils se reprochaient d’habiter cette bonne chambre et d'avoir auprès d'eux leur fille mariée pour les soigner.

Il y a bien des années, dirent-ils, que nous avons fait ensemble le sacrifice de notre volonté à Dieu; pourtant, il était dur de nous dire qu’en nos vieux jours, quand nous serions devenus tout à fait impotents, nous n’aurions d’autre refuge que l’hôpital, où nécessairement il faudrait vivre séparés. Nous ne pouvions supporter cette pensée et nous avons demandé au Seigneur de nous faire trouver quelque part une petite chambre. Et maintenant, voilà des années que nous sommes ici; une dame charitable paie notre loyer.

N'avonsnous pas péché en faisant cette prière!

Après que j'eus calmé leur scrupule à cet endroit:

Oh! dit la femme, le diable est bien méchant de nous tourmenter comme il fait. II ne cesse de nous répéter que nous avons fait notre propre volonté on restant ici et en refusant de prendre notre croix et d’aller à l'hôpital! Que ferez-vous, nous dit-il encore, quand cette dame mourra? Il faudra bien y aller alors!


Pauvres gens! Pour les encourager je les engageai à continuer à se confier au Seigneur qui ne peut mourir, lui, et qui mettrait sûrement au cœur de quelqu’un de les aider.

Tu vois! Pierre, s’écria la femme, ne te l’avais-je pas dit?

Ah! dit le mari qui était évidemment le moins affermi des deux, j’ai si peu de foi! si souvent ces doutes-là me reviennent.

Oui, ajouta la femme, et tu les entretiens, Pierre, et tu me les apportes.


Quelques mois après j’appris par les journaux la mort soudaine de leur bienfaitrice. Je redoutai d’abord de leur communiquer cette triste nouvelle, mais craignant que quelqu'un d’autre ne vînt à la leur annoncer trop brusquement, je résolus d’aller les en informer aussi doucement que possible, ne sachant comment ils l’accepteraient.

D'abord ils se turent un moment: puis la femme, avec sa façon paisible et joyeuse, dit:

Que Dieu soit béni, pour toutes les bontés qu’a eues pour nous cette bonne et chère dame! Heureusement il n’est pas mort, Lui.

C'est bien! repris-je. Ne craignez rien; je réponds du loyer pour un mois.

Je trouvai bientôt une autre personne disposée à leur donner régulièrement leur loyer, sans qu'ils aient jamais su son nom. Un samedi je reçus l'argent, comme de coutume, mais il me fut impossible de le leur porter ce jour-là. Je ne pus me rendre chez eux que le lundi matin, et comme j'entrais, j'entendis la femme qui disait à son mari:

Je t’avais bien dit, Pierre, que ce n'était pas lui!

De quoi s’agit-il? demandai-je.

Oh! dit la femme, l’homme qui perçoit l’argent des loyers vient d’ordinaire le samedi. Samedi dernier mon mari était dans les transes parce que l’argent nous manquait, mais l’homme ne vint pas. Tout à l'heure en entendant le bruit de vos pas, Pierre a dit:

«Le voici! qu’est-ce que nous pourrons dire?»

J’ai répondu:

«Je suis sûre que le Seigneur ne le laissera pas venir avant que nous ayons l'argent. Pourquoi ne te confies-tu pas en lui?»

Eh bien! ajouta Pierre évidemment rassuré en voyant la somme sur la table, la femme a raison. Maintenant il peut venir quand il voudra, je n’ai pas peur!

Je n’avais pas quitté la mansarde que le visiteur redouté apparaissait et empochait son argent en disant:

Je voudrais que tous les locataires à qui j'ai affaire fussent aussi bons payeurs que vous!

Un jour je pris avec moi un chrétien encore mal affermi pour voir l'heureux Pierre et sa femme. En voyant ce couple si joyeux, mon ami demanda à Pierre depuis combien de temps il était heureux à ce point.

Depuis trente-sept ans, grâce à Dieu.

C'est beaucoup, assurément! Voulez-vous dire que durant ce temps aucun nuage n’ait paru dans votre ciel?

Un nuage? reprit Pierre en jetant un regard sur sa pauvre femme souffrante et se rappelant toutes ses tribulations: oui, en vérité, nous en avons eu beaucoup de nuages et d’assez sombres parfois... Mais s’il n’v avait pas de nuages, d'où donc viendraient les pluies bienfaisantes?

V. Haslam.

La pioche et la truelle N° 22 (1894)


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