Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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UNE HISTOIRE AUTHENTIQUE

Suite et fin


Un jour, un colporteur vint. Il nous offrit la Bible. Pauvres insensés, nous refusâmes le trésor de grand prix, le trouvant trop cher. Inspiré par le Seigneur, le colporteur nous prêta le saint livre en nous en recommandant la lecture. Nous lûmes la divine parole avec crainte et respect, nous la lûmes avec toujours plus d’intérêt, puis avec angoisse.

NOUS COMMENCIONS À COMPRENDRE QUE NOUS ÉTIONS COUPABLES ET SOUILLÉS, et qu’un jour il nous faudrait comparaître devant le tribunal divin!


Comment oser affronter le grand jugement?

Ce sentiment du péché, le premier fruit de l’esprit, nous fit chercher avec ardeur le chemin du salut. Le serviteur de Dieu revint: il nous parla du Sauveur, nous fit comprendre son œuvre expiatoire. Il nous montra Jésus.

Les ténèbres furent longues à se dissiper. Il nous fallait abandonner les erreurs de notre religion:

le salut par les œuvres,

la confession,

le purgatoire,

les messes,

terribles murailles élevées par le catholicisme entre Dieu et l’homme!

Enfin la lumière se fit, lumière complète, éblouissante.

Jésus mourant pour effacer nos péchés, Jésus nous apparut victime innocente et sainte, s’offrant à notre place aux coups du Père. Prosternés avec les bergers et les mages, nous l’adorâmes petit enfant dans la crèche de Bethléem, agneau naissant pour le sacrifice; nous le suivîmes en Égypte, à Nazareth, à Jérusalem, partout où il allait, faisant du bien, guérissant les malades, ressuscitant les morts, consolant les affligés.

Comme nous aurions voulu être parmi les douze disciples pour écouter avec eux les enseignements qui tombaient de ses lèvres. À l’exemple de Marie de Béthanie, comme nous aurions aimé nous mettre à ses pieds pour l’entendre! Les scènes du jardin des Oliviers, Gethsémané, le Calvaire, remplissaient nos yeux de larmes.

Pour nous, il a été revêtu de pourpre, couronné d’épines, symboles dérisoires de royauté. Pour nous, il est souffleté, insulté.

Pour nous, on met sur ses épaules une lourde croix.

Pour nous, il est crucifié:

Pour nous, il souffre sanglant, fiévreux, ayant soif pendant les ardeurs du jour sur ce gibet infâme.

C’est pour nous enfin, qu’il ressuscite glorieux, qu'il monte aux cieux, s’assied à la droite du Père et intercède auprès de lui pour les pécheurs.

En toi, Jésus, j'ai trouvé toutes choses,

dit un de nos beaux cantiques. Nous fîmes cette douce expérience, mon mari et moi.

Ce fut la joie, la paix dans notre demeure. Les difficultés de la vie qui nous semblaient autrefois insurmontables, n’étaient plus même un fardeau pour nous.

Nous exposions au Père nos besoins et nous savions qu’il veillait avec amour sur ses enfants. Il n’y avait plus aucun dissentiment entre nous. Nous nous aimions tous les jours davantage, partageant la même foi et les mêmes espérances.


Nous ne tardâmes pas cependant à être appelés à souffrir pour notre foi naissante. Jusqu’alors imbus des doctrines du catholicisme, nous avions pratiqué avec ferveur les erreurs qui nous étaient enseignées.

Mais lorsque, éclairés par l'Évangile, nous eûmes abandonné la messe et le confessionnal, nous fûmes dès lors en butte aux tracasseries du clergé.

Nous tînmes bon cependant, malgré toutes les menaces et promesses qui nous furent faites, nous ne mîmes jamais plus les pieds à l’Église. Voyant notre fermeté et qu’il n’y avait rien à tenter auprès de nous, on eut recours à une ruse diabolique AFIN DE NOUS FAIRE RENTRER DE FORCE DANS LE GIRON DE LA SAINTE MÈRE L’ÉGLISE.

Mon mari était armurier et gagnait, à ce moment, largement notre vie. Un jour, des inconnus vinrent à la maison et nous commandèrent toute une cargaison de pistolets sur un modèle quelconque qu'ils nous remirent.

Mon mari n’eut pas plutôt examiné ce modèle qu’il s’écria:

Messieurs, cette arme est défectueuse et son mécanisme ne peut fonctionner régulièrement.

Que vous importe, lui fut-il répondu? Vous n’avez pas à vous inquiéter: faites le travail qui vous est commandé et vous serez payé. Cela doit vous suffire.

Mon mari eut l’imprudence de se charger de ce travail. Nous prîmes des ouvriers et au bout de quelques mois la cargaison fut achevée. Nous l’envoyâmes, comme de droit à l’adresse indiquée, mais on refusa de la recevoir.

Que voulez-vous que nous fassions d’armes qui ne peuvent servir, nous dit-on. Nous n’en voulons pas. Remportez cela.

Nous étions dans la plus grande angoisse. Nous sentions bien que nous avions eu tort de prendre cette commande, et en eussions-nous appelé à la justice, nous aurions peut-être perdu le procès, car nous avions agi avec la plus grande imprudence. Nous ne savions que faire.

Les ouvriers demandaient à être payés et nous étions accablés de réclamations, mais notre travail n’ayant pas été payés, nous étions sans argent, c’est alors dans ce moment de détresse morale et matérielle que les jésuites tentèrent une nouvelle épreuve pour nous ramener à l’Église.

Vous êtes dans la peine, vous êtes dans les dettes, Dieu vous punit d’avoir abandonné notre sainte religion, vinrent-ils nous dire. Mais il a encore pitié de vous. Voici, revenez à Lui, rentrez dans son Église. Nous prendrons la livraison qui vous a été refusée et nous vous en donnons 20,000 francs.

Ces paroles étaient à peine achevées que mon mari se leva, pâle et rempli d'une sainte indignation.

Sortez, dit-il en étendant la main, et sachez que l’âme de B... et celle de sa femme valent plus de 20,000francs et plus que tous les trésors du monde.


Le Seigneur n’abandonne pas ceux qui l’aiment et veulent lui être fidèles.

Nos fanatiques visiteurs éloignés, nous nous agenouillâmes pour demander à Dieu son secours. Nous nous relevâmes consolés avec la confiance que notre Père veillait sur nous.

Ce n’est jamais en vain qu’on se confie en Lui. Nous fûmes cette fois encore l’objet d’une grande délivrance. À quelques jours de là, nous reçûmes une autre visite, mais une visite bénie cette fois.

Nous étions dans le plus profond de la fournaise. Les ouvriers ne quittaient plus notre demeure et réclamaient impérieusement leur salaire.

Ce jour-là, nous étions à bout de forces, de courage, lorsque quelqu’un frappa à notre porte. C’était un chrétien, un frère qui venait nous visiter.

Il vit sur nos traits les signes de notre angoisse et s’empressa de nous demander le sujet de notre douleur. Nous le lui confiâmes, non sans larmes.

Lorsqu'il sut ce qu’il en était, il nous serra la main avec émotion, puis, sortant aussitôt, il ordonna à un de nos ouvriers qui stationnait à notre porte d’aller chez lui et de dire qu’on apporte, aussitôt chez nous, tout l’argent qu’il avait de disponible chez lui.

Quelques instants plus tard, une somme importante nous était remise de sa main et nous pûmes, le jour même, payer nos ouvriers. Notre cœur débordait de joie et de reconnaissance envers Dieu, qui avait mis au cœur de son serviteur de nous aider si puissamment. C'est, comme venant de sa main, que nous acceptâmes de notre frère chrétien cet argent.

Nous avons pu, grâce à Dieu, nous liquider de cette dette et lui rendre jusqu'au dernier centime ce qu’il nous avait si généreusement prêté.


Mais un jour vint où nous dûmes échanger, ici-bas, notre dernier adieu, mon mari et moi. Après une longue et douloureuse maladie, mon mari me quitta pour les cieux. Son départ fut triomphant. Quelques heures avant sa mort, il s'assoupit.

Quand il s'éveilla, il m’appela doucement à son chevet et avec un accent de bonheur infini, il me dit:

«J'ai vu Dieu. Femme, j’ai vu Dieu».

Je compris que c’était la fin, car ce n'est qu'aux mourants qu'un tel privilège est donné et je ne pus retenir mes larmes.

À ce moment le docteur entra et le malade répéta avec un saint respect:

«J'ai vu bien, Docteur, s'écria-t-il, j’ai vu Dieu.»

Le médecin lui prit la main, tâta son pouls et parut surpris. À près sa visite, je le suivis sur le palier.

Il a la fièvre, n’est-ce pas docteur, lui dis-je, il délire sans doute?

Le docteur me regarde fixement avec sérieux:

Madame, il n'a pas autant de fièvre que vous: ce qu'iI dit n’est pas du délire.

Je rentrai dans la chambre, troublée jusqu'au fond de l'âme. Le moment redoutable approchait. Il approchait, en effet; quelques instants après, mon mari, sa main dans la mienne, rendait le dernier soupir.

Mais celui qui a dit: «Je serai le mari da la veuve et le père des orphelins» ne m'a pas abandonnée. J'ai vécu avec Iui tous les jours de ma vie. Je ne suis jamais seule: il est auprès de moi et je lui parle sans cesse:

Je vois ainsi venir le terme

De mon voyage en ces bas lieux,

Et j’ai l'attente vive et ferme

Du saint héritage des cieux.

Ainsi que le dit mon cantique favori.


Oui, je le sais, un jour viendra où mes yeux se fermeront à la lumière de cette terre, pour s'ouvrir aux célestes clartés.

Là-haut, je serai auprès du Père;

Là-haut, je contemplerais Jésus.

Là-haut, je retrouverais mes bien-aimés.

Réunion à jamais éternelle; plus de deuil, de larmes; du bonheur sans fin avec la multitude des rachetés, dont les robes éclatantes ont été blanchies dans le sang de l'Agneau.

Jane.

La pioche et la truelle N° 23 (1894)


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