Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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ESCLAVAGE


Je lisais hier soir dans saint Jean, VIII, 34. ces paroles: «Quiconque s’adonne au péché est esclave du péché», et je méditais sur ce passage de l'Écriture sainte, lorsqu’un papillon qui voltigeait autour de ma lampe attira mon attention.

Il était entré par la fenêtre largement ouverte à côté de moi, la soirée étant belle et chaude, c'était évidemment la flamme qui l’avait attiré. Il avait commencé à décrire de larges cercles autour de cette lumière qui le fascinait, puis peu à peu il s’était rapproché et il venait enfin de s'engouffrer sous l’abat-jour où il tourbillonnait à présent sans trêve. Il allait infailliblement se brûler lorsque j’essayai de l'arracher à son malheureux sort en le saisissant aussi délicatement qu’il me fût possible et en le lançant par la fenêtre.

Je me remettais à ma lecture lorsque revint voltiger autour de moi l’insecte que je venais de sauver. Il recommença aussitôt son manège, mais cette fois il ne me laissa pas le temps de le soustraire à une mort certaine, car ayant frôlé le verre de la lampe, il se brûla les ailes et retomba sur la table. Mais il n'était pas mort. Il tenta encore de s’élever jusqu’à cette brillante clarté qui l'attirait invinciblement, et malgré ses pauvres ailes mutilées il l’atteignit encore jusqu’à ce qu’enfin il retomba sans vie près du saint livre ouvert devant moi.


À ce moment les paroles que je venais de lire me frappèrent plus vivement. «Quiconque s'adonne au péché est esclave du péché». Et le pauvre papillon que je venais de voir périr sous mes yeux me sembla l'image du pécheur, victime, lui, de sa fascination pour le péché.

Comme l'insecte, il est esclave, ESCLAVE DE SA CONVOITISE, il ne s'appartient plus. En vain chercherait-il à résister à ce courant qui l’entraîne.


LE PÉCHÉ EST POUR LUI UN AIMANT PUISSANT

QUI L'ATTIRE SANS POUVOIR Y RÉSISTER.


Il ne peut s’arracher à ce foyer de corruption et ainsi que mon papillon de tout à l’heure, il s’y brûle. Son âme se consume en la recherche de vains et coupables plaisirs et en la satisfaction de ses instincts mauvais.


* * *


J'en étais là de mes réflexions lorsqu'une voix avinée vint troubler le silence de la nuit. C’était quelque ivrogne attardé qui rentrait au logis après avoir bu son salaire de la semaine avec les amis.

Ah! Celui-là, quel triste esclavage de la plus honteuse passion! Et je pensais à la femme, la femme en pleurs peut-être, qui attendait cet homme au foyer, aux enfants dans le dénuement, ayant faim. Et mon cœur se serra.

Mais ce n'est pas la femme, ce ne fut pas les enfants que je plaignis le plus: ce fut ce misérable qui n'avait pas la force de résister à son penchant.

Évidemment cet homme devait se maudire lorsqu’il n’était plus sous l'influence de l'ivresse. Même en ce moment où il titubait dans la rue avec une ignoble chanson aux lèvres, n'avait-il pas conscience de sa honte?

À travers les fumées du vin ne voyait-il pas passer et repasser devant lui les visages de ceux qui l'attendaient au logis, celui de sa femme, pauvre créature vieillie et usée avant l’âge par la vie de privations et de misères qu’il lui avait faite, celui des enfants, pauvres petites figures pâles et amaigries dont les grands yeux tristes semblent chargés d'un muet et terrible reproche de son ignoble conduite.

Évidemment cet homme devait souffrir, et mon cœur s'émut de pitié pour lui. Et me mettant à genoux j'intercédai pour son âme avec larmes. Je suppliai Dieu de l'affranchir de ce terrible esclavage, de briser ses chaînes, de le revêtir de sa force et de lui faire goûter la liberté glorieuse des enfants de Dieu.

Cet homme n'était-il pas mon frère?

Pourquoi ne jouirait-il pas avec moi des privilèges que Jésus nous offre, pourquoi ne les saisirait-il pas comme je l’ai fait par la foi.

Comme lui n'ai-je pas été un esclave, assujetti à mes mauvaises passions, esclave de mes penchants, de mes habitudes. Ah! si Dieu a eu pitié de moi en me faisant connaître la vérité, si Jésus, mort pour mon péché, s'est révélé à moi comme un Tout-Puissant Sauveur, pourquoi ne se révélerait-il pas de même aux yeux de ce misérable?

Ô Jésus, je ne valais pas mieux que lui et tu m'as fait connaître ton amour, et je suis délivré par toi de la séduction du monde, TU AS BRISÉ LES LIENS QUI ME RETENAIENT CAPTIF.

Tu as été mon Libérateur. Ah! sois aussi celui de ce malheureux qui périt comme je périssais moi-même lorsque j'étais loin de toi!

A. C.

La pioche et la truelle N° 24 (1894)


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