Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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LE MOURANT ET LE VOLEUR.


Il y avait dans mon village un vieux monsieur, qui, après avoir fait fortune à Smyrne, était revenu finir ses jours dans le lieu de sa naissance. Ainsi que nombre de vieux garçons, il avait des manies; il était capricieux, bizarre, même un peu bourru. Mais on n'aurait pu découvrir un cœur plus droit, plus franc, plus bienveillant et surtout plus pieux que le sien. Aussi fut-ce pour moi un très grand chagrin, quand je vins à le perdre. Une petite anecdote vous fera connaître cet homme excellent.

Une des nuits qui précédèrent sa mort, un voleur s’introduisit dans sa chambre.

Que désirez-vous, mon ami? demanda le malade.

Votre argent, vos bijoux! répondit brutalement son visiteur.

Ah! vraiment? fort bien! permettez..., reprit le vieillard en se remuant dans son lit. Voyez mes pauvres vieilles jambes! approchez-vous; touchez... Bien; vous comprenez que je ne puis marcher jusqu'à mon bureau. Il faut que vous m’y portiez.


À ces mots il se laissa glisser péniblement sur le parquet. Le voleur recula frappé de surprise.

Mon ami, reprit M. G., en levant d'une manière solennelle sa main décharnée, je vais mourir; souvenez-vous que vous mourrez aussi. Vous êtes venu pour me dérober de l’argent. Faites mieux, approchez...; avancez votre main et arrachez de mon sein les convoitises, l'impureté, les violences, l’amour du monde et tant d’autres passions, en sorte que je sois allégé et plus à l'aise au moment du grand départ.

Faites, et je vous donne volontiers par-dessus tout ce que je possède... Vous secouez la tête! Vous refusez? Ah! que ne le pouvez-vous! Voyons! Je ne suis pas bien lourd, chargez-moi sur vos épaules.


Et comme le voleur, confus et ému, tombait à genoux en demandant pardon:

Êtes-vous réellement dans le besoin? demanda le vieillard.

Oh! sans doute, répondit l'homme. Mais je dois reconnaître que c’est par ma faute; car je vis dans l’oisiveté et dans le désordre: je sens toutefois que je changerai.

Prenez cette clef, reprit le mourant. Ouvrez cette porte: il y a la une bourse; gardez-la.


Et comme le malheureux, après avoir obéi et s’être agenouillé de nouveau, se disposait à partir:

Eh bien! allez-vous me laisser là? Remettez-moi dans mon lit; pensez donc qu’il est minuit et que mon domestique est couché... Bien! merci!

Maintenant, mon ami, sachez que je vous ai demandé ce service autant pour votre bien que pour le mien. Il est bon que vous ayez tenu dans vos bras une charge de poussière mortelle. Ce souvenir vous fortifiera dans vos bonnes résolutions. Qu’Il soit avec vous, Celui qui a dit:


VA ET NE PÈCHE PLUS!


La pioche et la truelle N° 24 (1894)


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