Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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UN POT DE FLEURS

(Où se dissimulent: des larmes, des remords, un désespoir éternel et tous les tourments de l'enfer.)


Le 5 avril dernier, à huit heures quarante-cinq du soir, Paris était troublé par un nouvel attentat, celui du restaurant Foyot. Arrivée après tant d’autres, cette dernière explosion a jeté la consternation dans les esprits, l’effroi dans la population et le désarroi à la préfecture de police.

À quoi servent donc les précautions prises, les arrestations en masse, les perquisitions répétées? Voilà ce que l’on se demande: il n'y avait pas trois semaines que le fanatique Pauvrets, fatigué de porter la mort dans sa poche et de soigner sa bombe prête à crever, était tombé le ventre ouvert, le cœur à nu, les chairs broyées, sous le porche de l’église de la Madeleine.

Mais l’explosion du restaurant Foyot diffère de toutes celles qui ont précédé. Ici c'est un pot de fleurs qui éclate... Quand la foudroyante chimie frappe les hommes, elle ne cache pas toujours son crime, paraît-il, dans les flancs d'une marmite bourgeoise. Elle se dissimule sous les fleurs, et c’est parmi les feuilles d’un réséda, dans une bonne odeur de printemps qu'elle prépare sa besogne sacrilège.

Y a-t-il au monde quelque chose de plus inoffensif, de plus innocent qu'un pot de fleurs? J'ai souvent été étonné du goût des Parisiens pour les fenêtres verdoyantes. Tout le monde ne peut pas avoir un jardin rempli de roses ou d'azalées; mais chacun tient à posséder chez soi, au moins un pot de fleurs qu’il entretient avec goût.

Nulle part l’anarchiste du restaurant Foyot n’aurait pu cacher plus sûrement sa bombe.

Savez-vous dans quelles réflexions m’a plongé cette mort atroce dissimulée dans l’appareil le plus gracieux?

Je me suis dit que le monde avec tous ses charmes se présente à la jeunesse comme une fleur au suave parfum. Il est écrit:

«Que les fruits de l’arbre de la connaissance du bien et du mal étaient agréables à la vue et que cet arbre était désirable pour donner de la science; Ève prit donc du fruit et en mangea, et en donna à son mari qui en mangea aussi.» (Genèse 3, 6.)


Quand nous faisons nos premiers pas dans la vie, il nous semble marcher dans un parterre éblouissant, au milieu des senteurs les plus douces, les plus enivrantes.

Qu’un jeune homme, une jeune fille quitte la maison paternelle pour aller étudier ou se placer dans nos grandes villes.

Que de fleurs se rencontrent sur leur sentier?

Quel plaisir à les respirer?

Voyez les jeunes gens! Comme la vie leur semble belle!

Ne vous êtes-vous jamais arrêtés au Quartier Latin à Paris?

N'avez-vous jamais remarqué cet entrain quand ils se rendent au café-concert ou au théâtre, ces chants, ces éclats de rire?

On les croirait vraiment heureux: approchez-vous plus près, et peut-être serez-vous surpris de voir TOUT CE QU’IL Y A DE FACTICE DANS CETTE JOIE BRUYANTE.

Ils sont heureux parce qu’ils ne sont plus sous la tutelle de leurs parents. Ils vous parleront avec un certain respect de ces derniers, qui après tout étaient la bonté même, mais ils les trouvent trop sérieux.

Les jeunes gens à la fin de ce siècle ont besoin de sortir de l’ornière. Quand ils étaient sous le toit paternel il leur fallait rendre compte de la soirée prolongée un peu plus tard que d’habitude, de la nuit passée hors de la famille. II fallait donner des explications à n’en plus finir, et C’EST À FORCE DE MENSONGES QU’ILS RÉUSSISSAIENT À CONVAINCRE DE LEUR INNOCENCE.


Mais maintenant, vive la liberté! À nous les fleurs enivrantes, les séductions de la jeunesse.

En voici plus qu’il n’en faut: romans, théâtres, bals, cafés-concerts, orgueil, amour des richesses, l’égoïsme, passions et voluptés de toute nature.

Alors, on laisse la religion de côté.

Foin de ce qui est triste ou sévère: le monde enchanteur avec tous ses sophismes les a éblouis... NI DIEU NI MAÎTRE!


La loi suprême, c’est le plaisir.

Ils ont dit: «Liberté!» et dans leur folle ivresse,

Ils ont cru te saisir, t'enlacer dans leurs bras:

Mais ce n'était pas toi, noble et pure déesse,

LA LICENCE AVAIT PRIS TA FORME ET TES APPÂTS.

Ceux qui avaient l’habitude de lire la parole de Dieu, ne la lisent plus, ne prient plus, et ils se livrent à corps perdu à toutes ces joies malsaines qui dissimulent sous l’apparence de fleurs les épreuves et les catastrophes les plus redoutables.

Mon cœur se serre en voyant parfois de ces jeunes gens couchés sur un lit d’hôpital d’où ils ne se relèveront jamais. Ils ont voulu se débarrasser d'un joug en laissant de côté la parole de Dieu, en oubliant les conseils d'un père ou d’une mère. Mais dans leurs passions ils ont trouvé plusieurs tyrans sans cœur et sans pitié qui se sont acharnés sur leurs dix-huit, vingt ou vingt-cinq ans.

Laissons-les rentrer en eux-mêmes un instant... Ils font la récapitulation de leurs folies. Ils pensent à leur première chute, ensuite à la seconde et ils s'étonnent eux-mêmes d’être descendus si bas.

Ils revoient ceux qui leur donnaient de mauvais conseils. Ils ont cru avoir à faire à des amis!... Hélas! ils comprennent maintenant que c'étaient des ennemis, qui les ont perdus.

Ah! que n'ont-ils écouté leurs excellents parents! En voilà qui les aimaient, et d’une affection désintéressée. Oh! s’ils pouvaient recommencer la vie! Ils se frappent la poitrine. Serait-il vrai qu'ils n’ont plus que quelques semaines à vivre? Ils ne veulent pas mourir encore; ils sont trop jeunes.

Cependant la maladie fait de sensibles progrès.

La pendule continue son mouvement. Chaque heure vient jeter l’épouvante dans ces cœurs angoissés, à chaque instant leur trouble augmente... C'est l’affaire de quelques heures, disent les médecins: mais il ne faut rien leur dire...


L’un d’eux meurt à vingt-deux ans; il a été impie pendant sa vie.

IL L'EST ENCORE À SA MORT.

Maintenant, il ne peut plus se repentir.


Le tribunal de Dieu se dresse devant lui. Impossible de l’éviter. Et, comme l'a dit Racine fils,

«Il n'est plus temps, il voit la gloire qui l'opprime,

Il tombe enseveli dans l'éternel abîme.

Et loin des voluptés on fut livré son coeur

Ne trouve devant lui que la rage et l'horreur.»

Jeunesse!!... Voilà ce que le monde t’offre.

Des fleurs qui dissimulent: des larmes, des remords, un désespoir éternel et tous les tourments de l'enfer.

Maneval

La pioche et la truelle N° 24 (1894)


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