Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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LE LIVRE DU SOLDAT


C’était en juin 1818. au milieu du bouleversement social qui agitait la France. Deux détachements de soldats se préparaient à attaquer ensemble une forte barricade, élevée dans un des quartiers les plus populeux de Paris. L'une des divisions appartenait à la garde nationale, l'autre à la garde mobile. Ce dernier corps était composé de très jeunes soldats, tellement qu’il n’était pas rare de voir dans leurs rangs des enfants de 14 à 15 ans qui étaient souvent les plus hardis et les plus courageux de la bande.

Dans cette occasion-ci, la barricade fut chaudement disputée, et les combattants firent de part et d’autre des actions d'une valeur désespérée. À plusieurs reprises la barricade avait été assaillie avec fureur et défendue avec succès, lorsque, tout à coup,
dans le moment le plus chaud de la mêlée, deux troupiers s'élancent hors des rangs des assaillants, et, sans se mettre en peine de la pluie de balles qui les accueillait, parviennent à atteindre le sommet de la barricade. Leurs compagnons se précipitent après eux pour les soutenir, et ce poste important, objet de la lutte, est emporté.

Mais, hélas! le dernier coup de feu tiré par l'ennemi en retraite était destiné à frapper dans la poitrine l'un des deux intrépides chefs de file qui étaient montés les premiers à l'assaut. Il tomba, mortellement atteint, dans les bras de son frère d’armes, jeune garçon de la garde mobile, dont la stature encore enfantine était à peine en état de soutenir le poids du blessé.

Je meurs, lui dit le garde national en rassemblant ses dernières forces, je meurs; mais ouvre mon havresac:... tu y trouveras un petit livre; c'est un Nouveau Testament; ... Prends-le et lis-le, en priant Dieu que ce soit avec sa bénédiction.

Bientôt après, le soldat blessé expira, et son jeune compagnon d’armes prit possession de son legs.


* * *


Une année environ après cet événement, un homme pieux, voyageant pour affaires, entra dans une auberge située assez loin de paris. En entrant dans la chambre qu’habitait l'aubergiste. Il fut surpris d’y découvrir un Nouveau Testament, qui portait évidemment les traces d'un usage habituel.

Quoi! vous lisez la Bible? s’écria-t-il en s’adressant à l’hôte, d’un ton qui exprimait à la fois la surprise et le plaisir.

Oui, monsieur, et avec grand profit.

Dieu en soit loué! reprit le voyageur. Il n'en était pas ainsi autrefois.

Oui, Dieu soit loué! répéta l'hôte, car à lui, on vérité, appartient la louange, ainsi que vous le reconnaîtrez vous-même, si je vous raconte comment tout cela s’est passé.


Et il lui fit le récit suivant:

«Un de mes neveux, que j’avais recueilli dans ma famille après la mort de ses parents, manifesta bientôt des dispositions si vicieuses, que je me sentis obligé, pour la tranquillité de mon esprit, de le mettre en apprentissage chez un marchand de Paris, que je connaissais pour être un maître consciencieux, mais d’une rigoureuse exactitude. Je fondais sur sa vigilance et sur la discipline de sa maison ma dernière espérance d’arracher le malheureux garçon à une démoralisation complète. Mais j’appris bientôt que Paul, mon neveu, était parvenu à le
 tromper lui-même et qu’il s’était échappé de chez lui, avec une adresse si consommée, que l’on ne put retrouver sa trace.

J’en fus navré, et demeurai longtemps dans la crainte journalière d’avoir de ses nouvelles par le canal de la police, car il y avait grandement lieu de redouter qu’il ne commit quelque acte de nature à le faire tomber entre les mains des tribunaux.

Il y a maintenant six mois environ, qu’un beau jour la diligence de Paris s’arrêta devant ma porte, et qu’à mon grand étonnement, j’en vis descendre mon mauvais sujet de neveu. Je ne pus m'empêcher de frissonner en le reconnaissant, et je m’écriai aussitôt:

Que signifie cette manière insolente de s’introduire chez moi? Après la conduite que vous avez tenue, comment osez-vous rentrer ici pour apporter le déshonneur dans votre famille?

Paul me regarda avec un sourire mélancolique, et me montrant l'uniforme de garde mobile, qu’il portait toujours, il me dit avec calme et modestie:

Croyez-moi, mon oncle, je n’ai pas déshonoré le corps dans lequel j’ai servi, et je puis produire à cet égard de satisfaisants témoignages. Je ne suis en congé actuellement que pour raison de santé, et je puis vous assurer que ma réputation comme soldat n’est point mauvaise. Pour ce qui est de ma conduite précédente, personne ne peut la considérer avec une plus grande horreur que je le fais moi-même maintenant.

Pures inventions que tout cela! interrompis-je avec une impatiente incrédulité. Ta maladie est, sans doute, le résultat de l'intempérance; tes poches étaient vides, et tu as en conséquence, trouvé convenable de venir me jeter de la poudre aux yeux, jusqu’à ce que tu puisses rétablir ta santé et ta bourse, pour recommencer une nouvelle série de méfaits!

Paul baissa la tête à ces mots et répliqua, à voix basse, qu’il avait craint, en effet, que je ne fusse difficile à convaincre.

Et cependant, mon oncle, continua-t-il, je suis véritablement changé. Ce n’est ici ni le moment, ni le lieu d’entrer dans des détails. Mais, quoiqu’il soit vrai que je vienne auprès de vous chercher secours et asile, je sais très bien que ce serait peine perdue que d’essayer d’obtenir vos bienfaits par d’hypocrites protestations. Tout ce que je demande de vous, c’est que vous croyiez que je ne suis plus l'effronté mauvais garnement que vous avez connu autrefois, et que vous laissiez au temps le soin de vous informer du reste.

Soit! répondis-je avec un ton qui n’était pas très amical, et, prenant le pauvre garçon par la main, je le conduisis dans ma maison.

Dès la première heure que je passai avec Paul, je ne pus me dissimuler qu'il s'était fait en lui un incontestable changement, et cela tout à fait à son avantage. Loin de faire le rodomont (fanfaron) en parlant de ses exploits, il ne répondait qu’avec une espèce de répugnance aux questions que je lui adressais sur les particularités de sa carrière militaire, et cependant ses réponses me découvraient mainte preuve d’audace et de courage, quoique tout fût raconté avec une modeste réserve et un désir marqué d’élever ses camarades au-dessus de lui.

Mais le soir devait m’amener une surprise plus grande que tout le reste. J’avais fait monter un lit pour lui dans ma propre chambre, et, avant de se coucher, il me demanda la permission de faire sa prière du soir.

Ta prière du soir? répétai-je avec un grand éclat de rire (car j’étais alors un moqueur de toute religion, un honnête païen). La prière d’un garde-mobile, ou plutôt d'un galopin des boulevards, doit être quelque chose de curieux à entendre... Ainsi, mon
 garçon, je t’en prie, dépêche-toi, et fais-nous entendre ta prière, afin que nous en profitions.

Je parlais avec un ton d’amertume, car je me sentais plein d'indignation à la pensée du rôle que je le supposais jouer. Mais Paul, jetant sur moi un regard de tristesse, me répondit avec sérieux:

Je vous en conjure, mon cher oncle, ne plaisantez pas sur ce sujet. Il n'est pas nécessaire que je parle à haute voix pour m'adresser à Dieu, et bientôt, j’en ai la ferme confiance, vous jugerez différemment, non seulement de moi, mais de la prière.


Depuis ce moment-là, j'observai mon neveu avec beaucoup de soin, tout en conservant encore quelques doutes sur son compte, car je ne pouvais bannir de mon esprit la pensée que quelque mauvais motif se mêlait à la profession de ses sentiments religieux. Mais je fus bientôt forcé de reconnaître que ces soupçons étaient injustes.

La santé de Paul empira de jour en jour, et l'affection de poitrine, qui l'avait obligé à quitter l’armée, fit de si rapides progrès, que nous craignîmes de voir sa vie se terminer promptement.

Dans ses jours de grande souffrance, qui n’étaient que trop fréquents, il joignait les mains et répétait à demi-voix: «Aie pitié de moi, mon père, et viens à mon secours!... cependant que ta volonté soit faite, et non pas la mienne.»

Mais ce qui me frappait le plus, c'était sa douceur inaltérable et son air de contentement. Il était satisfait de tout et reconnaissant pour les moindres services qu’on pouvait lui rendre, tellement que nous en étions tous frappés.

Un jour, je fis à ma femme l'observation que le changement de caractère de Paul était la chose la plus extraordinaire que j'eusse jamais vue, mais que la manière dont il parlait de la bonté de Dieu envers lui dans le temps même où il endurait do si grandes souffrances, me remplissait d'étonnement plus que tout le reste.

Il est vrai, me répondit ma femme, mais je t'apprendrai un secret qui m’explique la chose. Paul est un chrétien, un vrai chrétien.

Que veux-tu dire par là? répliquai-je. Ni toi, ni moi ne sommes des païens, apparemment!

Non, mon cher ami, non PAS COMPLÈTEMENT DES PAÏENS, peut-être; mais NOUS NE SOMMES PAS NON PLUS DE VÉRITABLES CHRÉTIENS.

Dieu n'a pas été jusqu'à présent l’objet principal de nos pensées. Nous n’avons jamais senti le besoin de connaître Jésus, pour être sauvés. Mais, dans mes entretiens avec Paul, j'ai appris bien des choses qui me remplissent maintenant de joie.

Dans tes entretiens avec Paul, tu as appris de nouvelles choses! Mais lesquelles? je t'en prie.

Écoute, me dit-elle. Il y a quelque temps, comme je m'efforçais un jour de soutenir le pauvre garçon dans un des mauvais accès d'étouffement, un petit livre tomba de dessous son oreiller. Je le relevai plus tard, et je vis que c'était un Nouveau Testament, un livre dont j'avais bien entendu parler, mais que je n’avais jamais vu encore.

Le lendemain, je fis mention à Paul de ma découverte. Alors il me raconta qu’un soldat qui avait été mortellement atteint à ses côtés, lui avait donné ce livre, et l'avait, en expirant, prié instamment de le lire... qu'il l’avait fait, et que ce legs lui avait procuré la paix et le bonheur dont il jouissait.

Quelques jours après, quand nous avons été seuls ensemble, Paul a cherché des passages du Nouveau Testament, pour que je les lui lusse, et il m’a donné des explications si claires, si simples de ce que je n’avais pas compris que j'ai commencé bientôt à croire et à aimer la bonne nouvelle du salut. Paul désire ardemment te parler de ces choses, mais il n’ose pas et il demande souvent à son Sauveur le courage de le confesser devant toi et devant tout le monde.

Cette communication de ma femme, dit l'aubergiste, fit une grande impression sur moi. Je me rendis souvent auprès du lit de maladie de mon neveu. Dieu soit béni, il commença bientôt à me parler aussi de l’Évangile, et Dieu accompagna de sa bénédiction ses instructions, si bien que, non seulement ma femme, mon fils et ma fille, mais moi-même, tout endurci que j'étais, je reçu la vérité et nous pouvons tous aujourd’hui nous réjouir d'avoir Jésus pour Sauveur.

Paul n’est plus parmi nous, continua l'aubergiste d'une voix émue. Le Seigneur l'a rappelé dans sa véritable patrie. Mais, ajouta-t-il en posant sa main sur le Nouveau Testament qui avait dès l’entrée attiré l’attention du voyageur, — ce précieux volume est devenu pour nous la source d’une paix inaltérable, d'un bonheur que le monde ne peut ni donner, ni ravir et pour lequel nous bénirons Dieu dans le temps et l'éternité.»

La pioche et la truelle N° 27 (1894)


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