Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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UN JOYAU TIRÉ DU BOURBIER

(du crime et de la délinquance)


Dans plusieurs quartiers de Berlin, vous pouvez voir des rues bien alignées, avec des maisons de fort belle apparence, derrière lesquelles, dans les cours, s’élèvent des bâtiments beaucoup plus modestes, qui ressemblent à des casernes. Ce sont des habitations occupées en général par des familles ouvrières ou de la petite bourgeoisie.

Au quatrième étage d’une de ces maisons, on aperçoit près de la fenêtre la tête d'une jeune fille extrêmement pâle, qui occupe cette place dès l'aube jusque bien avant dans la nuit. La régularité de ses mouvements laisse deviner que c’est une ouvrière cousant à la machine. Sa petite chambre est très propre; mais l'ameublement en est chétif: une table, deux chaises, la machine en question, quelques ustensiles de cuisine et un peu de faïence.


«La pâle Pauline», comme l'appellent les voisins, mène une vie très retirée; elle ne quitte son petit asile que pour aller remettre l'ouvrage au magasin de confections et faire quelques emplettes pour subvenir à son existence.

Ce n'est cependant pas le travail assidu qui a fait pâlir ses joues, mais bien une série de malheurs et de douleurs poignantes, dont le souvenir brise l'existence de cette jeune fille de 18 ans.

Elle est l'arrière-petite-fille d'un couple de meurtriers qui mourut à la «maison de force», la petite-fille du meurtrier H., qui fut décapité le 6 mai 1855, et la fille de parents qui suivirent ce triste exemple.

Son père mourut, il y a cinq ans, et sa mère, deux ans après, à la «maison de force». Elle est la sœur de trois malfaiteurs, qui passent la majeure partie de leur vie en prison.


Comment ce joyau a-t-il pu conserver sa pureté dans cette atmosphère viciée! Voici ce qu'on nous a raconté de son enfance:

Il y a dix ans, ses parents et son frère aîné comparurent devant le tribunal, pour avoir commis un vol avec effraction. Pauline fut aussi appelée dans la salle des audiences. Les regards se portaient avec intérêt sur cette enfant de huit ans, chétivement vêtue, et dont le visage fut éclairé par un rayon de joie en apercevant ses parents et son frère.

Le président lui demanda avec un ton de bienveillance:

Voyons, mon enfant, connais-tu les dix commandements?

Oh oui! répondit-elle timidement.

Et l'oraison dominicale.

Oui. Je la connais.

Récite-la.

La petite se mit à répéter: «Notre Père qui es aux cieux, etc.» Mais, arrivée à la demande: «Ne nous induis pas en tentation», elle tourna son regard vers le banc des accusés et fondit en larmes.

Les juges et les jurés furent profondément émus, et il y eut un long silence.

Puis-je m’en aller? demanda la fillette après un moment d’attente, et, en disant ces mots, elle paraissait prête à défaillir et posait sa main amaigrie sur son cœur, qui battait avec violence.

Le président et le juge échangèrent quelques paroles, puis celui-ci lui dit:

Mon enfant, tu peux te retirer, nous n'avons plus besoin de toi.

Arrivée près de la porte, la petite se retourne, fait quelques pas, demande la permission de s'approcher de sa mère et lui remet un petit pain, qu’elle tire de sa poche. Ce fut alors le tour de la mère de fondre en larmes, et l'enfant quitta la salle d'audience.


Il est d’usage, en Silésie, que les pauvres qui sont à la charge de la commune sont entretenus, à tour de rôle, par les particuliers.

La petite Pauline eut le bonheur d'être reçue dans la famille d’un brave menuisier, qui, quoique déjà chargé d’enfants fut très bon pour elle, ainsi que sa femme. D'autres personnes charitables lui témoignèrent aussi leur sympathie, et lorsqu'elle quitta l'école, munie d’excellents certificats, ses protecteurs lui achetèrent une machine à coudre, et elle travaille pour la maison de commerce que ses parents et son frère avaient dévalisée, il y a dix ans.

La prière de l'enfant fut exaucée:


ELLE FUT GARDÉE DE LA TENTATION.


La pioche et la truelle N° 30 (1894)


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