Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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ÉTUDES BIBLIQUES

JEAN-BAPTISTE

1° SON ORIGINALITÉ


Le caractère distinctif de la prédication de Jean-Baptiste, par opposition à celle des écoles juives contemporaines, est l’idée qu’il se faisait du Royaume de Dieu; et c’est aussi par cette idée qu’il a été le précurseur de Jésus.

Les prophètes de l’Ancien Testament avaient annoncé qu’un jour de gloire était réservé au peuple d’Israël. Il viendrait un Messie, dont le nom serait l’Admirable, le Conseiller, le Dieu fort; l’Esprit de l’Éternel habiterait en lui, Esprit de sagesse, d’intelligence, de prudence et de force (Ésaïe, IX, 5; XI, 2); l’empire du monde serait posé sur son épaule; il ferait régner partout la justice, la vérité et les principes religieux des Juifs; il associerait tous les siens à son glorieux triomphe.

Longtemps cette espérance avait été pieusement conservée au fond du cœur de tous les descendants d’Abraham; mais à l’époque de Jean-Baptiste, des causes multiples l’avaient détruite chez un grand nombre.

Les Sadducéens formaient le parti de ceux qui y avaient renoncé.

D’un côté, la longue attente inutile les avait lassés; de l’autre, ils voyaient la cruelle oppression des Romains s’appesantir davantage à mesure que le peuple, infatué de ses destinées, multipliait ses révoltes; enfin et surtout, la brillante civilisation grecque les fascinait.

Ils auraient voulu que le peuple, comme toutes les autres nations conquises par les Romains, prit son parti de la situation, abandonnât les espérances messianiques, cessât de se confiner dans le culte du passé et entrât dans le courant général des idées et des mœurs du reste du monde. Les écouter, ç’eût été, pour les Juifs, trahir leur mission providentielle, abdiquer et disparaître dans l’ensemble des hommes. Mais le peuple ne les écoutait pas.


Ses vrais inspirateurs étaient les Pharisiens.

Ceux-ci, exaspérés de la défection des Sadducéens, maintenaient avec d’autant plus d’énergie les anciennes espérances. Ils étaient sûrs que le Messie promis allait paraître, qu’il affranchirait le peuple du joug étranger, qu’il parcourrait le monde en conquérant, qu’il déplacerait le centre de l’univers et le transporterait de Rome à Jérusalem, et qu’il les établirait, eux, Pharisiens, comme proconsuls et dignitaires du nouvel et éternel empire.

Dans leur hâte, dans leur fièvre, ils suivaient le premier guerrier venu qui se faisait passer pour envoyé de Dieu: Judas le Gaulonite, Theudas et vingt autres. À chaque instant Pilate en faisait d’immenses hécatombes.


Si la solution sadducéenne était l’abdication du peuple,

celle des Pharisiens était la catastrophe à bref délai.


Y avait-il une troisième solution?

Y avait-il un moyen de laisser au peuple sa grande mission, sans le précipiter dans une ruine immédiate?

Oui, il y avait une troisième solution. Jean-Baptiste la prépara et Jésus-Christ la formula définitivement.



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Pharisiens et Sadducéens s’étaient trompés doublement:

Les uns comme les autres s’imaginaient que les prophètes avaient promis le bonheur et la gloire des temps nouveaux à tous les Juifs indistinctement, quel que fût leur caractère moral.

Les Sadducéens, qui avaient autant d’admiration pour l’art et la civilisation grecque, que de mépris pour la populace juive, repoussaient une telle idée avec horreur;

les Pharisiens, au contraire, qui, chaque sabbat dans les synagogues, nourrissaient le peuple dans la haine des étrangers, de leurs mœurs et de leurs coutumes, avaient soin de promettre à chacun sa part de gloire et de bonheur.

Leur seconde erreur commune était de croire que le Royaume messianique, ou Royaume des cieux prédit par les prophètes, était UN ROYAUME MATÉRIEL, fondé et maintenu par la force, et courbant tous les peuples de la terre sous le joug des Juifs.


C’est ce royaume-là que les Sadducéens déclaraient impossible;

C’est ce royaume-là que les Pharisiens étaient si impatients de fonder.


Jean-Baptiste signala et combattit la première erreur; Jésus n’eut plus à s’attaquer qu’à la seconde.



* * *


Les Évangiles ne nous disent pas que Jean-Baptiste ait abandonné l’idée d’un Royaume messianique matériel; un jour même, enfermé depuis quelque temps par Hérode dans sa prison de Machéronte, et voyant que le Messie ne commençait pas ses conquêtes et ne le délivrait pas, il perdit confiance, et envoya demander à Jésus-Christ. «Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre?»  (Matth. XI, 3.)

Par contre, il s’éleva avec véhémence contre la première erreur.

Il proclama de toute son énergie que pour participer au bonheur attendu:

il ne suffisait pas de se réclamer du titre de Juif, mais qu’il fallait avant tout se repentir de ses péchés, et pratiquer la volonté de Dieu.

«Produisez donc des fruits convenables à la repentance, et ne pensez pas à dire en vous-mêmes: Nous avons Abraham pour père; car je vous dis que de ces pierres, Dieu peut susciter des enfants à Abraham...» (Matth. III, 8-9.)

L’originalité du Baptiste est donc l'importance suprême qu’il accorde à la piété morale. Il substitue aux conditions tout extérieures de la naissance et de la circoncision, une condition intérieure, celle de la repentance et de l’obéissance à Dieu. C’est en cela qu’il est le Précurseur de Jésus.



* * *


Mais il était réservé à Jésus seul de voir et de détruire la seconde erreur, la plus grave des deux.

Dans toutes ses paraboles du Royaume des cieux, qui occupent une place si importante au début de sa prédication:


JÉSUS N'ENTRETIENT SES AUDITEURS QUE D’UN ROYAUME SPIRITUEL.


Il montre que ce Royaume consiste dans la domination de Dieu et du Messie, non sur les corps, mais sur les cœurs.

Jean-Baptiste avait proclamé que, sans la pratique de la justice, on n’entrerait pas dans le Royaume;

Jésus proclame maintenant que tout le Royaume consiste, sur la terre:

dans la pratique de la justice,

de l’amour mutuel,

du pardon des offenses,

de la confiance absolue en la Providence de Dieu.

«Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait.» Voilà la réalisation du Royaume des cieux ici-bas!

Jean-Baptiste avait fait entrer l'idée de justice dans celle du Royaume de Dieu; Jésus vint après lui, et identifia les deux idées.

Nous comprenons maintenant la supériorité de Jean-Baptiste sur tous ses contemporains, et en même temps son infériorité vis-à-vis du moindre des disciples de Jésus-Christ et nous avons l’explication de cette parole célèbre du Sauveur:

«Je vous dis en vérité qu'entre ceux qui sont nés de femmes il n'en a pas été suscité de plus grand que Jean-Baptiste; toutefois, le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui.» (Matth. XI, 11.)

Philémon Vincent.

La pioche et la truelle N° 44 (1896)


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