Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

----------

COMMENT JE DEVINS
 CHRÉTIENNE PUIS BAPTISTE


Notre cher petit Fernand, âgé de quatre ans, n’est plus. Frappé du croup il y a trois jours, il est là sans vie, notre petit bien-aimé. Après une crise de désespoir, je dis à mon cher mari:

«Dieu nous frappe parce que nous l'avons abandonné.»

Je l'entends dire;

«Cher petit, il ne souffrira jamais ce que je souffre.»

Il semble que tout s’est écroulé pour nous. Il nous reste deux enfants, mais nous ne voyons plus que celui qui est parti.


Nous sommes au temple; il se fait en moi un apaisement; j’entends le pasteur dire:

«N’ayez pas seulement l’espoir de le retrouver, ayez-en la certitude.»

Mais comment acquérir cette certitude que je n'ai pas?

Je suis venue passer un mois dans le village de G. Ma chère petite L., âgée de six ans, dépérit; elle n’est pas malade, mais elle s’ennuie de son petit frère; nous espérons que ce changement fera diversion à son chagrin.


Heureux village beauceron qui possède un joli temple et un fidèle pasteur! Avec quel plaisir je vais l’entendre! Au moins ce n’est plus comme à Paris où je ne prends plus le chemin d’aucun lieu de culte. Ce qu’il dit tombe en moi comme la pluie dans une terre altérée; mon enfance, ma mère qui priait avec moi, ma jeunesse passée au milieu des chrétiens; ces précieux souvenirs me reviennent, et me laissent un profond regret et des aspirations; mais je suis dans une nuit profonde; surtout JE NE COMPRENDS PAS QUE JE SUIS UNE PÉCHERESSE PERDUE.

H. et L sont à l’école: notre séjour à G. leur a fait du bien; je profite de mes moments de liberté pour aller le plus souvent possible au cimetière. J'aime à relire l'inscription choisie par mon mari:

«Nous irons vers lui, mais il ne viendra plus vers nous

J'essaie de prier, mais le ciel est d’airain.


Un peu plus d'un an s’est écoulé; j’ai dans les bras un joli petit André; il ressemble à Fernand, mais mon cœur est comme mort; à peine si j’aime ce petit mignon; j’en suis effrayée; je ne pense qu’à l'autre.

Nous sommes retournés à G. passer les vacances des enfants; avec quel plaisir je retrouve le cher pasteur K.; son visage a un rayonnement céleste. J'entends raconter que sa dame est si pieuse; dans ses visites elle presse les gens de se convertir; elle a un soin tout particulier de la jeunesse. Nous lui rendons visite; je la regarde avec admiration; elle a l’air si occupée des choses du ciel; j’envie d’être comme elle.

Je ne peux m'empêcher de penser à ces paroles de Jésus:

«Que votre lumière luise devant les hommes, afin que voyant vos bonnes oeuvres ils glorifient votre Père qui est dans les cieux.»

J’apprends que M. K. ne veut à aucun prix baptiser les enfants, mais QU'IL BAPTISE LES CROYANTS PAR IMMERSION; je n’avais jamais pensé à ces choses, mais je le trouve bien entêté, car il a laissé des gens chercher un pasteur éloigné, pour un enfant malade que la mère, ex-catholique, ne voulait pas laisser mourir sans baptême.

Nous sortons du culte: Mme K. vient de lire une lettre du Midi: il y a un réveil à V.; c’est comme une traînée de poudre: les chrétiens prient et les pécheurs se convertissent; quand quelqu'un déclare être sauvé, ceux qui l'entendent demandent à leur tour le salut.

J’avais des sanglots plein le cœur en écoutant ces choses et je me contins à grand-peine. Jules B. chemine à côté de moi; il me dit:

«On ne voit pas cela ici».

Malgré mon trouble, je lui réponds:

«Ils ont eu peur du choléra.»


Deux mois se sont passés depuis mon retour de G.; je ne fais que pleurer; je ne comprends rien à ce que j’ai; il est vrai que je suis encore triste de la perte de mon petit garçon, mais j’ai autre chose: mon mari est bon pour moi; mes chers enfants se portent bien, mais tout me laisse indifférente: c’est affreux d’être dans un tel état.

De plus le choléra est à Paris et je suis remplie d’épouvante; il me semble que la parole que j’ai dite à J.: «Ils ont eu peur du choléra», résonne à mes oreilles. À cette époque ma mère m'écrivait que parfois Dieu nous humilie à nos propres yeux.

Je suis allée à une réunion évangélique, rue M.; M. A. nous a montré Jésus si pur, si bon, pardonnant à la femme adultère et lui disant: «Je ne te condamne pas».

Il m’a semblé que c’était à moi que cette parole s’adressait.

ENFIN J’AI COMPRIS. JE NE SUIS AUSSI QU’UNE PÉCHERESSE PERDUE; ce sont mes péchés qui produisent en moi cette agonie morale.

Je lis en entier le chapitre VIII de saint Jean et l’Esprit de Dieu m’applique ce verset: «Celui que le Fils affranchit est véritablement libre».

Je crois; mon fardeau tombe; je suis sauvée!


Trois années se sont écoulées depuis ma conversion. Dieu m’a consolée; je sais que je retrouverai mon cher petit Fernand. Quelle jeunesse Dieu a mise dans mon cœur! «Les choses vieilles sont passées; toutes choses sont devenues nouvelles.» Je dis merci à Dieu pour ceux qui me restent et je les aime pour l'éternité.


SEIGNEUR, SAUVE-LES COMME TU M’AS SAUVÉE.


La nature elle-même me parait en fête; comme les œuvres de Dieu sont belles! Mon cœur aussi fait partie de cette harmonie, car Dieu y a mis le calme et la sérénité qui règnent dans ce beau ciel bleu.

Je me rends dans divers lieux de culte, mais j'affectionne particulièrement le temple de la rue M. Je vais aussi entendre le père Hyacinthe. Je n'ai pas de peine à comprendre qu’il pressent dans l’Évangile un idéal plus élevé que l’organisation des églises actuelles; il déclare que l’ultramontanisme est l’ennemi, mais qu'aussi il fait froid dans nos temples, et que quelque chose y manque pour y attirer les foules.

Cependant, ce qu’il dit de la justice de Dieu n’est pas conforme à l’Évangile: il ne croit pas aux peines éternelles.

Un chrétien que je consulte à son sujet me dit;

«Le père Hyacinthe a besoin de relire le Nouveau Testament avec attention;» puis il ajoute:

«Sur des tables somptueusement servies, dans des plats d’or et d'argent, on peut verser du poison.»


J’ai dû changer de quartier à cause du travail de mon mari; j’apprends qu’il y a, pas trop loin, une salle de conférences: quel accueil chaleureux j’y reçois! Un monsieur qui fait le portier me dit:

«Connaissez-vous Jésus?»

Je lui dis:

«Oui, je l'aime.»

Il me serre la main avec effusion; quelle joie règne là! je n’ai jamais vu tant de piété unie à tant de simplicité; aussi je m'y rends le plus possible; l’appellation affectueuse de frère et sœur y est courante entre chrétiens.

Un ami venu de Cannes depuis peu nous conseille d’avoir des réunions de prières; cela soulève bien de l’opposition de la part de quelques anciens; néanmoins les réunions de prières ont lieu; un réveil éclate; les pécheurs demandent nos prières et se convertissent. Il m’est donné de voir ce que j'ai entendu raconter à G. Nous sommes tellement bénis! je n’aurais jamais pensé que tant de bonheur se trouve sur la terre; nos cœurs comme ceux des disciples d'Emmaüs brûlent au-dedans de nous.

Le jour de la Toussaint arrive; mes nouveaux amis m’invitent à venir dans un cimetière, distribuer des traités qu’une dame russe, la princesse G., met à notre disposition. Elle-même vient au rendez-vous, nous apportant dans sa voiture plusieurs milliers de ces petits livres.

Je la rencontre à l'œuvre dans une des allées, et lui dis:

«Je vous aime, madame, parce que vous aimez les petits.»

Avec une grande modestie elle me répond:

«Nous sommes tous petits devant Dieu.»

Deux de nos amis exhortent la foule sur des tombes connues.

Heureux de cette journée, nous nous acheminons vers la ville; mes amis parlent entre eux du baptême de nouveaux convertis; j’apprends qu'ils sont tous baptisés du baptême évangélique. En voyant mon étonnement, l’un d’eux me dit.

«Étudiez l'Évangile à ce point de vue.»

En examinant attentivement ce qu'en dit la Parole de Dieu, j’arrive au baptême de Jésus; et, en l’entendant dire à Jean-Baptiste: «Il est convenable que j’accomplisse ce qui est juste,» avec enthousiasme j'ai pu dire, moi aussi:

«Seigneur, je vais dans le temple de mes amis, rue de Lille, depuis quelque temps; des baptêmes vont y avoir lieu; je ne puis y prendre part cette fois pour des raisons secondaires; mais comme eux je me soumets à tes institutions.»

Je ne saurais décrire l’émotion qui s’est emparée de moi la première fois que j’assistai à cette cérémonie. Les néophytes descendent vêtus de longues robes blanches, dans une sorte de piscine; le pasteur debout dans l'eau, lui aussi, demande au nouveau chrétien, s'il veut vivre et mourir pour Jésus-Christ; puis, sur sa réponse affirmative, il le plonge dans l'eau, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, ce qui réalise absolument cette parole de saint Paul; «Nous avons été ensevelis avec Christ par le baptême.»


J’eus, pendant ce temps-là, comme une vision du passé et de l’avenir. Je voyais revivre les premiers chrétiens de Jérusalem, avec leur puissance spirituelle. Je compris ce qui manquait à notre protestantisme: on en a enlevé des choses fortes comme Dieu lui-même, celles qui seraient un attrait pour notre peuple; le peuple aime en effet les choses difficiles, qui demandent l’effort, et font pressentir la lutte; car IL FAUT LUTTER POUR SE SÉPARER OUVERTEMENT DU MONDE PAR UN ACTE VIRIL.

Je compris aussi la fidélité de M. K. à ne pas vouloir baptiser les enfants, et les recherches du père Hyacinthe pour trouver ce qu’il appelle «la Réforme dans la Réforme». Et je comprends qu’il doive «relire le Nouveau Testament», car ce qu’il cherche est contenu dans la simple observance des institutions divines, qui feront la force de l’Église de l’avenir.


Nous avons un nouveau pasteur. M. V.; l’Église est heureuse et prend un nouvel essor. Ceux qui demandent à être baptisés doivent faire leur profession de foi devant l'assemblée. Je me lève tremblante, mais encouragée par un regard affectueux de notre cher pasteur, et c’est avec joie que je déclare que Jésus m'a rachetée par son précieux sang, et que je veux obéir à son commandement:


«Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé.»


Après avoir été acceptée par l'Église, j’eus le bonheur d’entrer dans les eaux du baptême avec plusieurs frères et sœurs.

Je suis dans la douzième année de ma conversion, plus heureuse que jamais d'avoir compris ce que Dieu commande quant à l'organisation de son Église ici-bas. J’ai eu bien des épreuves: le Seigneur m’a repris mon petit André à l’âge de cinq ans; mais il m’a soutenue, et mon cher petit était content d’aller vers Jésus qu’il aimait déjà. Le Seigneur m’a donné d’autres enfants qu’il m’accordera d’élever pour Lui.

Mes deux aînés sont convertis et ont accepté librement le baptême, et je sais que Dieu a dit: «La promesse est pour vous et pour vos enfants.»

Je sais qu’Il achèvera l’œuvre qu’il a commencée en nous; et que Celui qui a commandé le baptême a aussi dit: «Soyez saints, car je suis saint

Nous savons qu’il ne commande rien qu'il ne veuille nous donner la force d'accomplir Nous croyons que «Lui-même accomplira sa force dans notre faiblesse» et que j’aurai le bonheur du lui dire un jour:


«Me voici. Seigneur, avec ceux que tu m'as donnés.»


R. Joseph.

La pioche et la truelle N° 45 (1896)


Table des matières