Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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TOM, LE PETIT ESTROPIÉ


Dans une des plus pauvres demeures de l’est de Londres, dans une chambre sombre et misérable, tout en haut de la maison, était étendu sur son lit un jeune garçon infirme. Il était là depuis plus de deux ans, bien négligé et presque inconnu des voisins. Ses parents morts lorsqu’il était encore très jeune, l’avaient laissé aux soins d'une parente âgée qu'il appelait «Grand-mère».

Né impotent, il avait toujours souffert; cependant, aussi longtemps qu'il avait pu, appuyé sur ses béquilles il avait balayé des devantures ou fait de petites commissions pour quelques sous. Mais peu après la mort de ses parents, il fut forcé de rester au lit. Bien à contrecœur, la vieille femme lui laissa occuper la mansarde de sa maison, qu'il ne quitta plus.

Sa mère lui avait appris à lire et à écrire, mais ne connaissant pas la Vérité elle-même, elle ne lui avait jamais parlé de Jésus et de son amour. Quelquefois, cependant, par une nuit neigeuse, lorsque le vent glacé soufflait avec force, le petit garçon s’était glissé dans une salle missionnaire du voisinage, dans le seul but de se chauffer près du poêle confortable.

Engourdi par le froid, et harassé de fatigue, il n'était guère attentif à ce qu’il entendait ces soirs-là, mais quand il fut couché dans sa chambre, tout seul, jour après jour, la mémoire lui revint, et peu à peu il fut pris d’un immense désir de connaître les choses de Dieu, et d'avoir une Bible à lui.

Il savait que c’était de la Bible que les orateurs avaient tiré leur science, mais c'était tout ce qu’il en savait. Donc, un jour, rassemblant son courage, il consulta «Grand-mère» à ce sujet. Son seul encouragement de ce côté fut un rire ironique: — Les Bibles lui importaient peu! Qu’est-ce qu’un garçon comme lui voulait faire avec des Bibles! — Le sujet fut laissé pour le moment, mais le désir du jeune garçon d’en posséder une ne diminua pas.


Or, voilà qu’un jour, Jacques Lee, le seul ami que le pauvre estropié eût au monde, monte bruyamment les escaliers qui crient sous ses pieds.

«Hourra! hourra! s’écrie-t-il, me voilà mousse! En partance pour le Nord demain! Je viens te dire adieu, Tom!»

Il criait, gesticulait, s’asseyait sur le lit et essuyait la sueur de son front:

«Et j’ai un très joli cadeau pour toi mon vieux», dit-il, en sortant de sa poche quelque chose enveloppé dans un bout de papier graisseux.

Tom se leva sur ses coudes, peu réjoui des nouvelles qu’il venait d’apprendre.

«Voilà un franc tout flambant neuf pour toi, Tom, mon vieux, et tu ne le dépenseras pas sinon pour quelque chose de tout à fait, tout à fait particulier.»

«Ô Jacques, que tu es bon! Mais, j’ai justement besoin maintenant de quelque chose de tout à fait, tout à fait particulier.»

«Vrai? Qu’est-ce que c’est?»

«Je voudrais une Bible.»

«Une Bible! Si c’est possible! Qui a jamais entendu parler d’un pauvre hère dépensant toute cette pièce pour une Bible, quand j’ai eu à l’économiser sou à sou pendant des mois et des mois.»

«Ne sois pas fâché, cher Jacques; tu vas partir et je serai plus seul que jamais, et je désire tant, oh tant, d’avoir une Bible! Achète-la-moi, je t’en prie, Jacques, maintenant, ce soir même, chez Fisher, avant que la boutique ne soit fermée. Grand-mère ne me l’achèterait jamais; elle dépenserait le franc chez le marchand de vin si je le lui mettais entre les mains.»

«Qu’est-ce que tu veux faire d’une Bible, Tom, mon bon? Ce ne sont que les savants qui comprennent ces choses-là,» répondit-il un peu aigrement.

«Peut être bien, Jacques, mais il me tarde d'en avoir une, car je veux savoir si les gens de la Salle missionnaire où toi et moi sommes allés quelquefois, ont dit vrai au sujet de quelqu’un qu’ils appellent Jésus. Que ce soit ton cadeau d’adieu, Jacques, tu me feras grand plaisir.»

«Très bien, camarade, alors j’irai, mais je ne me connais pas en Bibles.»

«Fisher en a à un franc, car j’en ai vu marquées à ce prix dans la vitrine quand je passais par là. Vite, Jacques, ou la boutique sera fermée!»

Jacques consentit à regret, et descendit les escaliers bien plus lentement qu'il ne les avait montés. Il s’était pourtant remis de son désappointement avant de revenir avec la belle Bible d'un franc.

«Fisher dit que je ne puis pas te laisser un meilleur ami, Tom, mon vieux; et que le franc ne pouvait pas être mieux dépensé, et il a ajouté: Elle vaudra peut-être vingt-cinq mille francs pour ce garçon. Ainsi il paraît qu'il y a dedans quelque chose que nous devrions savoir.»

La joie et la reconnaissance de Tom étaient sans bornes.

«Je le sais, Jacques, je le sais, dit-il, en serrant le livre sur sa poitrine. Maintenant je suis heureux. Oh! comme tu as été bon de me garder ce franc.»

Les deux amis ne se revirent plus jamais; mais si le petit mousse pouvait seulement savoir quel trésor ce Saint Livre devint pour l’estropié, il se croirait amplement récompensé du sacrifice qu'il fit en économisant son franc.


Tom connaissait mieux sa Bible après un mois de lecture attentive, que beaucoup de personnes qui prétendent l’avoir étudiée pendant vingt ans. Instruit par le Saint-Esprit seulement, il avait appris le chemin du salut; il savait aussi que L’OBÉISSANCE À LA VOLONTÉ de Dieu se manifeste par la recherche du salut des autres.

«Il ne faut pas garder toutes ces bonnes nouvelles pour moi seul», se dit-il; il y réfléchit et réfléchit, jusqu’à ce que finalement il résolut de faire un travail bien simple, mais bien beau, pour son Maître. Son lit était placé près de la fenêtre qui était très basse; d’une manière ou d’une autre il put se procurer des bouts de papier, il y écrivit différents textes, les plia, y mit pour adresse:


«AU PASSANT. — LISEZ S. V. P.»


Puis, après avoir prié, il les jeta dans la rue bruyante au-dessous de lui. Il espérait que par ce moyen quelqu'un apprendrait à connaître Jésus et son salut.

Ce service d’amour, si fidèlement accompli, se continuait depuis plusieurs semaines, lorsqu’un soir un pas étranger se fit entendre dans l'escalier, et aussitôt après un monsieur de haute taille et bien mis entra dans la chambre et s’assit à côté du lit du petit estropié.

«Vous êtes donc le jeune garçon qui jette des textes par la fenêtre, n'est-ce pas?» demanda-t-il avec bonté.

«Oui, répondit Tom en s'animant; avez-vous appris que quelqu’un en ait trouvé un?»

«Beaucoup en ont trouvé, mon garçon beaucoup. Croiriez-vous que j'en ai trouvé un hier soir que Dieu a béni pour mon âme?»

«Je crois que, la Parole de Dieu peut tout faire, monsieur», dit l’enfant humblement.

«Je suis venu, dit le monsieur, pour vous remercier personnellement.»

«Ne me remerciez pas, monsieur. Je n’y mets que l'écriture; c'est Lui qui la change en bénédiction.»

«Et vous êtes heureux dans ce travail pour Christ?» demanda le visiteur.

«Je ne pourrais pas être plus heureux, monsieur. Je ne pense pas à mon mal de dos, car ne serai-je pas content de lui dire quand je le verrai qu’aussitôt que je l'ai connu j’ai fait tout ce que j'ai pu pour le servir? Je suppose que vous, vous avez beaucoup d’occasions de le servir, n’est-ce pas, monsieur?»

«Ah! mon garçon, je les ai négligées; mais Dieu m’aidant, je veux agir autrement désormais. Chez moi, à la campagne, j'ai un fils mourant, il m’a fallu venir à la ville pour des affaires pressantes, et lorsqu'en partant, je l’ai embrassé, il m'a dit:

«Mon père, je voudrais avoir fait quelque chose pour Jésus. Je ne puis supporter la pensée d’arriver en sa présence les mains vides.»

Ces mots me sont restés dans l'esprit toute la journée et tout le lendemain, jusqu’au moment où, passant le soir dans cette rue, je reçois sur le chapeau votre petit papier; je l'ouvre et je lis: «Pendant qu'il est jour, il me faut faire les œuvres de celui qui m’a envoyé; la nuit vient, dans laquelle personne ne peut travailler.» (Jean 9: 4). Cela me sembla être un commandement du ciel. Cela me frappa et me fit tomber à genoux ce soir-là, et je ne pus dormir avant d’être capable de chanter:


«Je suis sauvé,

Et dans son sang II m’a lavé!»


Je fais profession d’être chrétien depuis vingt-deux ans, mon garçon, et lorsque, après m’être renseigné, je découvris qui avait jeté ces textes dans la rue, et pour quelle raison, cela m'humilia tellement et me fit tant de honte, que je pris la résolution de retourner chez moi et de travailler pour le même Maître que vous servez si fidèlement»

Des larmes de joie coulaient sur la figure du jeune garçon.

«C'est trop, monsieur, dit-il, c’est trop!»

«Dites-moi, mon garçon, comment vous vous êtes procuré le papier pour votre entreprise?»

«Cela n’a pas été difficile, monsieur, je me suis arrangé avec Grand-mère, et je lui ai offert de me passer de la demi-tasse de lait qu’elle me donnait presque chaque jour, si elle voulait m'acheter du papier à la place. Vous savez, monsieur, je ne peux pas vivre longtemps. Le médecin de la paroisse dit que quelques mois de froid m'emporteront, et ce n’est pas beaucoup de renoncer à une goutte de lait pour le Sauveur. Ceux qui ont beaucoup à lui donner doivent être bien heureux!»

Le visiteur soupira profondément.


«Ah, mon garçon, vous êtes beaucoup plus heureux dans cette chambre misérable, faisant des sacrifices pour Jésus, que des milliers de gens qui font profession de lui appartenir, qui ont au temps, des talents et de l’argent, et qui font peu ou rien pour lui.»

«Ils ne le connaissent pas, monsieur. Le connaître c’est l'aimer, et l'aimer c'est travailler pour lui. Il n'y a pas d'amour sans cela.»

«Vous avez raison, Tom. Mais parlons de vous maintenant. Pour commencer je vais rendre votre vie un peu plus gaie. Aimeriez-vous à être transporté dans un asile pour enfants estropiés, où vous seriez traité et soigné, et où vous verriez les arbres et les fleurs et entendriez chanter les oiseaux? Je pourrais vous faire entrer dans une telle maison, pas loin de chez moi, si vous le voulez, Tom.»

Le chétif garçon dirigea un regard pensif sur la figure du monsieur, puis après un silence de quelques instants, il répondit:

«Merci, monsieur; j’ai déjà entendu parler de ces maisons-là; mais je ne veux pas mourir dans l’aisance quand II est mort dans la gêne. Je pourrais peut-être m’attacher un peu trop à ces choses, et je préfère m’occuper toujours de Lui et continuer ce petit travail jusqu'à ce qu'Il vienne me chercher, c'est assez de joie pour moi d'avoir une demeure Là-Haut auprès de Lui.»

Le visiteur se sentit repris plus que jamais.

«Très bien, mon garçon, alors je tâcherai de vous faire avoir une bonne nourriture et tout le papier dont vous avez besoin. J'arrangerai tout cela avec une dame évangéliste. Maintenant, mon ami, je voudrais que vous priiez pour moi avant que je ne parte»

En faisant la demande, l’homme robuste s’agenouilla au chevet de l'enfant mourant; il retint avec peine un sanglot et couvrit sa figure de ses mains. Tom trembla à l'idée de prier à haute voix, mais en voyant cet homme courbé et en entendant ce sanglot à moitié étouffé, il vit qu’il devait acquiescer à sa demande.

Il y avait une expression angélique sur la pauvre et pâle figure levée vers le ciel, quand Tom dit d’un ton rempli de l’adoration la plus profonde:

«Seigneur Jésus, je sais que tu écoutes, et je te suis bien obligé d’avoir envoyé ici cet ami pour m'encourager dans mon travail. Maintenant, Seigneur Jésus, il est un peu troublé parce qu’il n’a pas assez travaillé pour toi dans les jours passés. Veux-tu l'aider à ne rien négliger à l'avenir? Et, s'il te plaît, Seigneur, fais qu'il aille tout de suite dire aux autres riches qu'ils ne te connaissent pas s’ils ne travaillent pas pour toi.

Et je te suis reconnaissant, Jésus, pour tout le papier et la nourriture qui me parviendront pendant le reste de ma vie. Peut-être durerai-je un peu plus longtemps pour écrire ces textes pour toi. Maintenant, Seigneur Jésus, je te prie, bénis ce bon ami partout et toujours. Je demande ceci en ton nom.»

«Amen», dit la voix émue du monsieur.

Celui-ci se leva et prit congé.


Avant de quitter Londres il prit tous les arrangements pour que l’enfant fût bien soigné; il s'en retourna à sa belle maison de campagne le cœur plus léger et vécut désormais pour le Christ. Aussitôt qu'il le put, il fit bâtir une salle d’évangélisation sur son domaine et prêcha Jésus aux villageois. Lorsqu'il leur confessa son péché de négligence envers eux, et leur raconta sa seconde conversion par le moyen du petit estropié et de son texte, beaucoup d'entre eux furent amenés à «chercher Jésus.»

Des nouvelles du malade leur parvenaient de temps en temps par la dame évangéliste; ce fut seulement à l'entrée de l’hiver, lorsque la neige couvrit la terre de son manteau blanc, qu'ils apprirent que Tom était «parti pour être avec Jésus.»

Un paquet vint par le même courrier, contenant la Bible bien-aimée et bien usée de Tom. Quelle précieuse relique dans cette belle maison, que cette Bible annotée. Car lorsque l'ami de l'estropié la prêta à son plus jeune fils, pour qu’il la lût, les marques soignées, les courtes et simples prières écrites par Tom dans la marge, et son souhait écrit sur la première page une semaine environ avant sa mort: «Que ce Saint Livre soit un aussi bon ami pour quelqu'un d’autre qu’il l’a été pour moi!» firent une si grande impression sur le jeune homme qu'il se donna au Seigneur, et plus tard à l'œuvre missionnaire à l'étranger; et dans l'Afrique centrale il montra cette Bible usée à beaucoup de chrétiens indigènes en leur racontant l’histoire du petit estropié et de ses textes.


Tu naquis pour servir, et servir fut ta gloire;

Servir est à jamais le sceau de tes enfants.

Qui fait peu t'aime peu; qui se borne à te croire

Ne te croit point encore, ô Sauveur des croyants.


Traduit par Julie Loew.

La pioche et la truelle N° 47 (1896)


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