Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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LES PETITS RENARDS


Cant. II. 15.

Ce qui fait le plus de tort à l’Église de Dieu, ce ne sont pas toujours les péchés scandaleux, grossiers, qui nous ôteraient, de l’aveu de tous, notre réputation de chrétiens. Ces péchés maladroits, l’Écriture les appellerait sans doute des ours.

Les renards sont plus habiles, ils se cachent, ne font aucun bruit, et ravagent en silence la vigne de Jésus-Christ. Nommons-en quelques-uns.

À tout seigneur tout, honneur: un des premiers c’est:


L'abandon du culte de famille; le mari ne prie plus avec sa femme, la mère avec ses enfants. Sous prétexte que la vraie piété est intérieure, nous avons démoli l’autel dressé à notre foyer, nous avons jeté aux orties la robe et la couronne de sacrificateurs dont Dieu nous a parés dans nos maisons. Nous nous flattons d’être quand même la vigne de Jésus-Christ; c’est vrai, mais UNE VIGNE RAVAGÉE PAR UN RENARD.

Parfois on emprunte quelque chose, un outil, un livre, et on ne le rend pas; on contracte quelque petite dette, sans plus reparler ni du capital ni des intérêts. On compte sur l’oubli de la personne lésée, on compte sur l’indulgence ou la faiblesse de Dieu; on fait semblant d’avoir oublié; en réalité on n’a rien oublié, car si le renard est invisible pour les autres, il nous montre à nous-mêmes, de temps en temps le bout du museau.

Parfois un cher enfant de Dieu s’est rendu coupable, en paroles ou en actes, de quelque tort envers son prochain, et il tarde à le réparer; il a prononcé un mensonge, ou une exagération, et il lui en coûte de rectifier.

C’EST LE RENARD LE PLUS DANGEREUX, il dévore non seulement la joie, mais bientôt la foi; non seulement les raisins, mais la vigne elle-même jusqu’à la racine.

Il y a des parents qui disent des mensonges à leurs enfants pour leur faire peur, ou pour faire cesser leurs cris ou simplement pour se débarrasser de leurs questions. Cela souille votre conscience, et fausse l’âme de vos enfants. CE RENARD RAVAGE VOTRE VIGNE ET CELLE DE TOUTE VOTRE FAMILLE.

Quelques chrétiens ont un esprit, je ne dirai pas de médisance, mais de critique, qui les empêche de profiter de ce que leurs meilleurs frères ont de bon. Je sais qu’ils ne souhaitent de mal à personne, et qu’ils ne croient pas offenser Dieu absolument. Mais ils se font grand tort à eux-mêmes, et abritent un renard vorace qui ne leur laisse rien pour eux.

Je connais des personnes qui ne se sont probablement jamais enivrées, et qui ne boivent de vin qu’à leur repas. Mais.... elles en boivent jusqu’à en avoir la tête alourdie. Rien n’éloigne davantage l’esprit de prières, et ne rend plus sensuel.

Autant que possible nous ne travaillons pas le dimanche, mais nous ne nous gênons pas assez pour éviter aux autres le travail; nous achetons, ou nous exigeons que d’autres travaillent pour nous ce jour-là. Dieu voit notre peu de respect pour sa volonté et pour le repos du prochain, et il s’en afflige.

Parfois pour un ami qui vient, pour une course que nous ne pouvons faire que le dimanche, pour une pluie, pour une cérémonie publique, pour un caprice, nous négligeons le culte. Quelques chrétiens ne méritent jamais ce reproche; ils sont certainement les plus pieux, car leur vigne n’est pas ravagée par ce renard.

Plusieurs chrétiens, quand ils se rencontrent, et même en sortant du culte, perdent leur temps à bavarder de choses étrangères à la piété. On voit assez par là qu’ils ne cherchent pas en premier lieu le Royaume de Dieu et sa justice; ils perdront leur reste de vie spirituelle à moins qu’ils ne reconnaissent de suite qu’ils ne sont que des formalistes.

Quelques-uns se ruinent en indiscrétion, en curiosité; ils se mêlent des affaires des autres et s’embarrassent dans des tourments sans issue et sans fin.

Quelques-uns se ruinent en avarice; pour être trop attachés aux biens d’ici-bas, ils perdent ici-bas leur joie chrétienne et encore leur part du ciel.


Que chacun examine soigneusement sa tanière, je veux dire son cœur, et qu’il enfume lui-même, et force à se montrer renards, renardes et renardeaux.

Reconnaissons ensuite que ce sont bien des renards. Ils ont été assez rusés non seulement pour s’introduire et rester chez nous, mais encore pour SE FAIRE AIMER DE NOUS. Nous ne manquons jamais de bonnes raisons pour les garder.

Il est douteux que telle chose qui me concerne dans l’énumération de tout à l’heure, dira quelqu’un, soit réellement un péché; si c’était sûrement un péché, j’y mettrais ordre sur-le-champ; mais le doute m’autorise à l’indulgence.

Mais, mon ami, si tu aimes réellement Dieu, tu dois éviter avec soin tout ce qui peut lui déplaire. Or, bien sûrement, ton renoncement ne lui déplaira pas; tandis que par ta satisfaction propre, tu risques de lui faire de la peine.

Ne vaut-il pas mieux pour toi prendre la voie la plus sûre?


RISQUER D’OFFENSER DIEU, CE N’EST PAS L’AIMER.

Mettre son enfant en danger, c’est le fait d’un mauvais père;

mettre son père en danger, c’est le fait d’un mauvais fils.


Parfois, en présence de ces faiblesses, on se justifie encore en disant:

«C’est une chose insignifiante; on peut bien être chrétien avec ou sans cela; jamais Dieu ne me punira pour une affaire si minime qui ne vaut pas la peine qu’on s’en soucie.»

Pourtant, bien malgré vous, vous vous en souciez; vous y pensez de temps en temps, et même souvent; votre conscience en est troublée. Au fond, il n’y a que pour cela que vous craignez; si Jésus paraissait, c’est le premier reproche que vous attendriez de lui.

Vous appelez ce scrupule un préjugé, une faiblesse d’esprit, une exagération, mais si quelque châtiment tombait sur vous, vous croiriez que c’est à cause de cela.

Si vos prières ne sont pas exaucées, vous pensez de suite à cette infidélité. Et vous dites que c’est peu de chose! Mais si c’est peu de chose, mettez-le de côté, puisque cela corrompt votre vie tout entière.

Vous voudriez sur ce point une révélation spéciale.

«Que Dieu me le montre clairement, dites-vous, et je céderai.»

Mais comment Dieu vous le montrera-t-il? Faut-il qu’il quitte une seconde fois son ciel pour apparaître à un rebelle tel que vous afin de vous apprendre ce que vous savez déjà?

Il vous parle incessamment par votre conscience en la troublant, en vous condamnant; mais vous faites la sourde oreille. Il vous prêche aussi par l’Ancien et le Nouveau-Testament; il vous y dit que nous devons nous abstenir de toute apparence de mal, que tout ce que nous ne faisons pas avec conviction intime est péché. Mais il n’y a pire aveugle que celui qui ne veut point voir.

Allons, amis, prenez-moi ces renards, ces petits renards, qui gâtent les vignes depuis que les vignes ont des grappes (Cantique II, 15).

L’histoire ancienne rapporte avec admiration l’aventure d’un jeune Spartiate qui s’était avisé de porter un petit renard à l’école. De peur que son maître ne s’en aperçût, il le cacha dans son sein, sous ses habits. Pendant la leçon le renard eut faim, et, trouvant là de la chair tendre et appétissante il se mit à dévorer vive la poitrine de l’enfant qui aima mieux supporter la douleur jusqu’à la fin de l’école que de se trahir et d’encourir les réprimandes du maître. Grand exemple de constance et d’orgueil chez un enfant.

Devant notre Maître à nous, nous ne pouvons pas cacher nos renards. Les conserver alors qu’ils nous dévorent les entrailles et que Dieu nous commande de les expulser, c’est de la sottise et de la révolte.

Philémon Vincent.

La pioche et la truelle N° 50 (1896)


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