Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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CELUI QUI EST MORT POUR MOI


Il y a bien des années, je désirais aller comme missionnaire dans les pays païens, mais mon chemin semblait hérissé d'obstacles, et après quelques années je vins demeurer sur la côte occidentale des États-Unis. La vie était bien rude pour les mineurs de la région où je vivais, et ce fut pour moi l’occasion de remplir ma vocation missionnaire.

J'entendis parler d’un homme demeurant à quelque distance de chez moi, qui se mourait de la poitrine.

«Il est si méchant, me disait-on, que personne ne peut rester avec lui; les mineurs mettent sa nourriture auprès de lui et le laissent tout seul pendant vingt-quatre heures. Ils le trouveront mort un de ces jours, et le plus tôt sera le mieux. Il n’a jamais eu d'âme, je crois.»

Ce que j’avais entendu me revint souvent à l’esprit tout en faisant mon ouvrage, pendant trois jours. J’essayai de trouver quelqu'un qui voulût aller le visiter et voir s’il avait besoin de meilleurs soins. En quittant le dernier homme auquel je m'adressai, toute vexée de son indifférence, je fus assaillie de cette pensée:

«Pourquoi n’y vas-tu pas toi-même? Voilà une œuvre missionnaire si tu en désires.»

Il ne m’était jamais venu à l'esprit que je devais y aller moi-même. Je ne raconterai ni comment je pesais la folie de la question, ni comment je frissonnais à la pensée d'aller voir quelqu’un de si abject. Ce n’était pas là le travail que je voulais. Un jour, pourtant, je traversai la colline pour aller à la petite chaumière, qui ne consistait qu'en une seule chambre. La porte était ouverte, et dans un coin, sur de la paille et des couvertures de couleur, je vis le mourant. LE PÉCHÉ AVAIT LAISSÉ DES TRACES AFFREUSES SUR SA FIGURE, et si je n’avais su qu’il ne pouvait remuer, je serais partie en hâte.


Lorsque mon ombre passa près de lui, il leva les yeux en m’accueillant par un affreux juron, et comme je m'avançais un peu il en prononça un autre.

Ne parlez pas ainsi, mon ami, lui dis-je.

Je ne suis pas votre ami, dit-il. Je n’ai point d'amis.

Mais je suis votre amie, répliquai-je, et...

Les jurons se succédèrent tandis qu'il disait;

Vous n'êtes pas mon amie. Je n’ai jamais eu d’amis, et je n'en veux pas maintenant.

Je lui tendis du bout du bras le fruit que je lui avais apporté, et en me reculant jusqu’à la porte, je lui demandai avec l’espoir de toucher un endroit sensible de son coeur, s’il se souvenait de sa mère, mais à cette question il la maudit.

Je lui demandai alors s’il avait eu une femme, il la maudit aussi.

Je lui parlai de Dieu, et il le maudit.

J’essayai de lui parler de Jésus et de sa mort pour nous, mais il m’interrompit par des jurons, et dit:

Tout cela n’est qu’un mensonge. Personne n’est jamais mort pour quelqu'un.


Je m’éloignai toute découragée. Je me disais:

«Je savais que ce serait inutile.»

Cependant, le lendemain je retournai le voir, et le fis chaque jour pendant deux semaines, mais il ne montra pas même la reconnaissance qu'un chien aurait témoignée à sa place. À la fin des quinze jours, je me dis:

«Je n’irai plus.»

Ce soir-là lorsque je couchai mes petits garçons, JE NE PRIAI PAS POUR LE MINEUR comme j'avais coutume de le faire. Mon petit Charlot le remarqua et me dit:

Maman, tu n'as pas prié pour le méchant homme.

Non, répondis-je avec un soupir.

L’as-tu abandonné, maman?

Oui, je le crois.

DIEU L’A-T-IL ABANDONNÉ, MAMAN? DOIS-TU LE DÉLAISSER AVANT QUE DIEU NE LE FASSE, MAMAN?


Je ne pus dormir cette nuit-là à force de penser à cet homme pécheur, se mourant, sans personne pour s’inquiéter de lui. Je me levai et m’agenouillai pour prier; je me sentis accablée par le sentiment du peu de foi qu’il y avait eu dans mes prières et du peu de souci que je m’étais donné pour cet homme. Oh! la honte, la fausseté de mon zèle missionnaire! Je tombai littéralement sur ma face et m’écriai:

«Ô Jésus, donne-moi une petite connaissance de la valeur d’une âme humaine!»

Lecteurs, avez-vous jamais fait cette requête avec sincérité?

Ne la faites pas à moins que vous ne soyez prêts à abandonner vos aises et vos plaisirs égoïstes, car la vie sera différente pour vous après une telle révélation.

Je restai à genoux jusqu'à ce que le Calvaire devint une réalité pour moi. Je ne pourrais pas dépeindre ces heures. Elles vinrent et passèrent inaperçues pour mot, mais j’appris cette nuit-là, ce que je n’avais jamais connu jusqu’alors, à travailler pour une âme immortelle.

Je vis mon Sauveur comme je ne l’avais jamais vu auparavant. Je restai là jusqu’à ce que l’exaucement vint. Lorsque je retournai à ma chambre, mon mari me dit;

Et que devient ton mineur?

Il sera sauvé.

Comment t’y prendras-tu?

Le Seigneur le sauvera: pour moi, je ne sais pas si j’y serai pour quelque chose, lui répondis-je.


Le lendemain matin m’apporta une leçon de travail chrétien que je n’avais jamais apprise. Autrefois j'attendais jusqu’à l'après-midi, alors que, mon ouvrage fini, je pouvais changer ma robe, mettre mes gants et me promener au moment où l’ombre couvrait le coteau.

Ce jour-là, aussitôt que mes petits garçons furent partis à l'école, je quittai mes occupations et sans attendre l’ombre ni mettre mes gants, je me hâtai non pour voir «ce vil misérable», mais POUR GAGNER UNE ÂME.

Je me dis:

«Il peut mourir, il y a une âme immortelle dans la balance», et je désirais arriver vite. Comme je passais, une voisine sortit de sa chaumière et me dit:

«Je crois que j’irai avec vous» Je ne le désirais pas, mais cela devait m’être une autre leçon; Dieu savait mieux que moi la voie à suivre.

Ma voisine avait sa petite fille avec elle, et lorsque nous arrivâmes à la cabane, elle me dit:

«Je vous attendrai ici, vous ne serez pas longtemps, n’est-ce pas?»


Ce ne fut pas au juste la réception que j’espérais, mais l’homme m’accueillit par un affreux juron. Cela ne me fit pas tant de peine qu’auparavant, car je sentis que mon Sauveur était près de moi. Comme je lui changeais sa cuvette d’eau et sa serviette, comme j’avais fait chaque jour sans que jamais il me remerciât, le rire innocent de la petite tille se fit entendre comme le chant d'un oiseau.

Qu’est – ce que c’est? demanda l’homme avec intérêt.

C'est une petite fille qui m’attend dehors.

Voudriez-vous bien la laisser entrer? demanda-t-il d’un ton bien différent de ceux que j'avais entendus jusqu’alors.

J’allai à la porte et lis signe à l'enfant de venir, puis la prenant par la main, je lui dis:

Viens voir le malade, Marie.

Elle recula en voyant sa figure et dit:

J'ai peur.

Mais je la rassurai en lui disant:

Pauvre homme! il ne peut pas se lever, et il voudrait te voir.

Elle ressemblait à un ange avec son visage entouré de boucles dorées, ses yeux tendres et pleins de pitié, et tenant en sa main les fleurs qu'elle venait de cueillir. Se penchant vers lui, elle lui dit:

Voulez-v.ojùs mon bouquet?

Il étendit sa grande main osseuse au delà des fleurs et la plaça sur la main potelée de l’enfant, et des larmes lui vinrent aux yeux tandis qu’il disait:

J'avais une petite fille, mais elle est morte; son nom était Marie. Elle m'aimait. Personne d'autre ne m'a aimé. Peut-être aurais-je été différent si elle avait vécu. J'ai haï tout le monde depuis sa mort.


Je vis que j'avais la clef de son cœur et la pensée suivante, née de cette prière faite la nuit, me vint vite, et je lui dis:

Lorsque je, vous ai parlé de votre mère et de votre femme vous les avez maudites et je sais maintenant qu’elles n’étaient pas de bonnes personnes ou vous n’auriez jamais pu les maudire, car je n’ai jamais connu un homme qui pût maudire une bonne mère.

De bonnes personnes! Vous ne connaissez rien de cette sorte de femmes! Vous ne pouvez pas vous imaginer ce qu’elles étaient.

Et si votre petite fille avait vécu et grandi auprès d'elles, ne serait-elle pas devenue semblable à elles? Vous n'auriez pas aimé qu’elle vécût pour devenir ainsi, n’est-ce pas?

Il n’avait évidemment jamais pensé à cela, et ses grands yeux se perdirent en pensées pendant un instant; quand ils se tournèrent de nouveau vers les miens, il s’écria:

Oh non! Je l'aurais tuée plutôt. Je suis content qu’elle soit morte!

Je tendis la main et pris la sienne, en lui disant:

Le Dieu bon n’a pas voulu qu’elle leur ressemblât. Il l'aimait même plus que vous. Il l’a reprise à lui et il la garde pour vous. Elle vous attend. Ne voulez-vous pas la revoir?

Oh! je serais prêt à être brûlé vif mille fois, si seulement je pouvais voir une fois de plus


Ô mes amis, vous savez quelle belle histoire j’avais à raconter alors, et j'avais été si près du Calvaire la nuit précédente que je pouvais la raconter avec cœur! Sa pauvre figure devint aussi pâle qu’un linge pendant que je lui parlais, et il jeta ses bras en I'air comme si sa douleur était trop forte pour lui.

Il soupira deux ou trois fois comme s'il perdait la respiration. Puis il me saisit le bras et me dit:

Qu’est-ce que vous avez dit l’autre jour, madame, au sujet de parler à quelqu'un d’invisible?

C’est prier. Je dis à Dieu mes désirs.

Priez maintenant, priez tout de suite. Dites-lui que je veux revoir ma petite fille! Dites-lui tout ce que vous voulez.

Je pris les mains de l’enfant et les plaçai sur les mains tremblantes de l'homme. Puis m’agenouillant avec l’enfant devant moi, je lui demandai de prier pour l'homme qui avait perdu sa petite Marie, et qui désirait la revoir. Voici quelle fut sa prière aussi bien que je puis me la rappeler:

«Cher Jésus, cet homme est malade. Il a perdu sa petite fille et cela l'afflige. Je suis si fâchée pour lui, et il est peiné aussi. Ne veux-tu pas l’aider, et lui montrer où il retrouvera sa petite fille? Fais-le, je t'en prie. Amen.»

Le ciel semblait ouvert devant nous, et il y avait Quelqu’un qui se tenait là avec des marques de clous dans ses mains et une blessure dans son côté.

Marie s’en alla bientôt, mais l'homme répétait constamment:

«Parlez-lui davantage, dites-lui tout. Oh! mais vous ne savez pas ce que je suis!»

Il me fit alors une telle confession que je n’aurais pu la supporter sans l’aide de Celui qui était près de nous pendant cette heure.


Vous, travailleurs chrétiens, vous savez quel était l'amour de Jésus pour cette âme perdue. Le pauvre homme saisit finalement la Main Forte de son Sauveur. Ce fut le troisième jour que la pauvre âme fatiguée cessa de s'absorber dans sa misère pour regarder à Celui qui est puissant pour sauver.

Il vécut encore pendant plusieurs semaines comme si Dieu voulait montrer combien le changement était véritable. Un jour je lui parlai d’une réunion, et il me dit:

«J’aimerais bien aller à une réunion. Je ne suis jamais allé à une de ces choses-là.»

Nous nous arrangeâmes donc pour avoir une réunion chez lui et les ouvriers des moulins et des mines vinrent et remplirent la chambre.

«Mes amis, dit le malade, agenouillez-vous pendant qu’elle nous parle de CELUI QUI EST MORT POUR MOI.»

On m'avait toujours enseigné à croire qu’une femme ne doit pas parler dans des réunions, mais je me trouvais forcée de le faire, et j’essayai de raconter l’histoire simple de la Croix. Après un peu de temps il s’écria:

«mes amis, vous ne croyez qu’à moitié cette histoire, sans cela vous pleureriez, vous ne pourriez pas vous en empêcher. Soulevez-moi, je voudrais la raconter une fois.»

Ils le soulevèrent donc, et il essaya, malgré sa respiration difficile et sa toux, de prononcer quelques paroles. Il employa le langage qui lui était familier, et voici, aussi bien que je puis m’en souvenir (et cela est vrai ainsi que de toutes les conversations que je raconte), ce qu’il dit:

«Mes amis, vous savez comme l’eau coule dans les écluses emportant toutes les impuretés et y laissant l'or. Eh bien! le sang de Celui dont elle parle a passé sur moi de cette manière-là, et a emporté à peu près tout ce qu’il y avait en moi. Mais il m’a laissé la joie de voir bientôt Marie et Celui qui est mort pour moi. Ô mes amis, ne l'aimez-vous pas?»

Quelques jours plus tard il vint sur sa figure une expression qui montra que la fin était proche. En le quittant je lui demandai:

Que vous dirai-je, ce soir, Jacques?

Simplement bonsoir, me répondit-il.

Que me direz-vous lorsque nous nous reverrons?

Je vous rencontrerai Là-Haut, fut sa réponse.


Le lendemain matin sa porte était fermée, et je vis deux hommes assis silencieux à côté d'une planche placée sur deux chaises. Ils relevèrent le drap qui couvrait le mort et je regardai cette figure qui semblait s'être rapprochée un peu de «l'image de Dieu».

Nous aurions voulu que vous le voyiez quand il s’en est allé, me dirent-iIs.

Racontez-moi sa fin, dis-je.

Eh bien, il s'anima subitement vers minuit et dit en souriant:

«Je m’en vais. Dites-lui que je verrai Marie. Dites-lui que JE VERRAI CELUI QUI EST MORT POUR MOI», et il s'éteignit.

M'agenouillant là, mes mains placées sur ces mains froides qui avaient été souillées par le sang humain, je demandai de comprendre de plus en plus la valeur d’une âme, et de ressentir plus profondément la vive compassion du Christ qui ne veut pas qu'aucun périsse.

Mme Barney.

Traduction de Mlle Julie Loew.

La pioche et la truelle N° 51 (1896)


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