Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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UN EMPLOYÉ LABORIEUX.

ou l'honneur d'une mère


Depuis une semaine environ, on pouvait lire, à la porte d'une importante maison de commerce de la ville de N., une annonce ainsi conçue:

«M. X. demande un jeune employé sérieux, consciencieux, sachant tenir les écritures. De bons appointements seront donnés au jeune homme qui conviendra. On est prié de se présenter le matin de 7 à 8 heures.»

Des le premier jour, ii arriva bon nombre de jeunes garçons qui se présentèrent avec empressement pour obtenir la place offerte, mais... l'un après l'autre ils furent éconduits, et, si un ou deux furent admis à l'essai, avant la fin de la journée, ils partirent et ne se représentèrent plus.

Le lendemain, ce fut la même chose. Un d'entre eux, jeune homme assez vaniteux, se vantait que, si les autres ne pouvaient faire l'affaire de M. X, lui, au moins, serait reçu les bras ouverts et, comme il était assez instruit, il se présenta avec aplomb au bureau. Il fut agréé, mais avant midi, on le vit revenir tout furieux, disant qu'on lui demandait un travail impossible.

«C'est étonnant», disaient les personnes qui connaissaient M X. comme un homme extrêmement bon et droit, «il faut qu'il cherche une perle; jamais on ne l'a vu refuser tant d'employés, il y a quelque chose là-dessous.»


Il y avait pourtant un jeune garçon, unique soutien de sa mère, l’aîné d'une nombreuse famille, qui aurait bien voulu être accepté. Mais il était timide et n’osait guère se présenter après avoir vu tant de ses camarades ou repoussés ou découragés.

Sa mère avait cependant grand besoin de son travail et les bons appointements promis le tentaient vivement. Il voulut tenter au moins un effort, et après avoir ardemment prié Dieu de le faire réussir, il se présenta devant M. X.

Eh bien! mon garçon, vous venez me demander de vous prendre comme employé? lui dit cordialement le maître du magasin.

Oui, monsieur, répondit poliment le jeune garçon, en regardant franchement son interlocuteur.

Voyons, croyez-vous que vous pourrez faire mon affaire? Savez-vous écrire convenablement? Êtes-vous disposé à faire tout ce que je vous commanderai, agréable ou non?

Oui, monsieur, je ferai tout mon possible pour vous contenter; quant à l'écriture, je crois que j'écris passablement et je puis faire les comptes que vous me donnerez à faire.

Avez-vous bien envie d’entrer chez moi, mon garçon?

Oui, monsieur. Ma mère est pauvre, je suis l'aîné d’une nombreuse famille et j'ai besoin de gagner pour subvenir aux besoins de ma pauvre mère et de mes frères et soeurs.

C'est bien, mon garçon, vous reviendrez à midi et si celui que je mets à l'épreuve en ce moment ne fait pas mon affaire, je vous essayerai à votre tour.


À midi sonnant, notre ami était à la porte du magasin et le patron le fit entrer.

Vous voila, mon ami, vous êtes à l’heure, c'est bien, et maintenant venez avec moi et je vous montrerai votre ouvrage d'aujourd'hui. Mais comment vous appelez-vous?

Ernest Duplan, monsieur.

Eh bien! monsieur Ernest, voilà un de mes employés qui va vous conduire, et vous donner les instructions dont vous aurez besoin. Étienne, dit-il en s'adressant à un homme qui se trouvait là, conduisez ce jeune homme où vous savez. Adieu, mon ami, tâchez de vous plaire chez moi, j'espère que vous ferez mon affaire.

Merci, monsieur.


Et Ernest suivit son conducteur jusqu’à une chambre qu'il ouvrit devant lui..., mais il recula consterné. Que voulait-on lui faire faire dans une chambre pareille! Le plancher était couvert de vieux livres, de vieux papiers, de chiffons de toutes sortes: on ne pouvait mettre le pied nulle part; c’était un fouillis indescriptible. Les vitres étaient noires de poussière et on se voyait à peine.

Il se tourna vers son conducteur qui lui dit en souriant:

Le patron désire que vous mettiez cette chambre en ordre maintenant.

Mais... commença le jeune garçon: il allait dire que ce n'était pas là l'ouvrage qu'il était venu faire, mais il s'arrêta et prenant encore son courage à deux mains, il dit:

C'est bien, monsieur, je vais essayer de le faire, quoique ce ne soit pas chose aisée, ajouta-t-il en esquissant un sourire.

Il resta là seul. Un moment il demeura immobile, se demandant par quel bout il allait commencer: enfin, prenant quelques livres et les mettant de côté, il se fraya un chemin jusqu'à la fenêtre qu’il ouvrit avec assez de peine, et l'air enfermé, l'odeur de poussière furent chassés au dehors; il commença à respirer.

Il mit en tas tous les papiers, rangea les livres du mieux qu'il put et travailla avec ardeur jusqu'à ce qu'il fut parvenu à rendre la chambre présentable. Quand il eut à peu près réussi, il se mit à chercher de l’eau et un chiffon pour laver les vitres, car cela faisait partie, lui semblait-il, de son travail. Il trouva tout cela à la porte, ainsi qu'un balai. Le voilà donc frottant, essuyant, balayant et, à mesure que l'ouvrage avançait, plus content quoique bien fatigué.

Enfin, les carreaux de vitre sont bien propres, la chambre est balayée et tout mis en place. Dans son ardeur à travailler, notre jeune ami ne s'était pas aperçu que depuis quelques minutes, quelqu'un se tenait à la porte ouverte et le regardait.

Quand, enfin, il se prépara à sortir, il se trouva en face de M. X. qui, avec un bon sourire, lui donna une chaleureuse poignée de main et lui dit:

Mon garçon, vous êtes tout à fait le jeune homme qu'il me faut: je vous garde et vous n’aurez pas à vous plaindre de moi. N’allez pas croire, surtout, que je vous ferai faire un travail semblable tous les jours: j'ai voulu simplement mettre l’épreuve ceux qui se présenteraient à moi et voir si vraiment ils étaient travailleurs et capables de faire à l'occasion un travail ennuyeux et pénible. Pas un de vos camarades n'a voulu s'astreindre à une telle besogne. C'est donc vous qui resterez chez moi: vous ferez mes écritures et vous aurez des appointements qui vous permettront d'aider efficacement votre mère.

Vous pouvez lui dire de ma part qu'elle a su élever dignement ses enfants et que je l'en félicite.

À partir de ce jour. Ernest Duplan fut le soutien de sa famille. Il fut toujours un employé consciencieux et actif et l'honneur de sa digne mère qui avait su le diriger dans la crainte de Dieu et le sentiment du devoir.

J. Vincent.

La pioche et la truelle N° 52 (1896)


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