Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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LA PRIÈRE D’UN ENFANT


Dans une rue écartée de Londres vivaient une pauvre blanchisseuse et son unique enfant Charlot. Ils étaient seuls au monde et liés l'un à l'autre par le plus tendre amour.

C’était là tout leur bien.

Ils étaient trop pauvres pour oser aller aux grands services à l'église, mais Charlot allait à l'école du dimanche et de retour chez lui, il racontait à sa mère ce qu'on lui avait appris: cela lui servait de sermon.


Un soir d’hiver, ayant eu bien froid, il fut saisi par la fièvre. Il ne devait jamais en guérir. Ce fut une terrible épreuve pour la mère, mais Dieu avait une grande oeuvre à faire faire à l'enfant avant de le prendre à lui.

Sur le même palier vivait un cocher d’omnibus dont la femme était morte en lui laissant quatre enfants. Depuis lors, le pauvre homme s'était mis à boire, et souvent, il rentrait ivre. Il n'était pas méchant, il aimait réellement ses enfants et avait fait de Charlot son ami. Il lui prêtait son grand fouet, et le petit garçon avait bien du plaisir à le faire claquer!

Lorsque le soir il rencontrait son petit voisin dans l'escalier, il lui donnait quelquefois une pomme ou une orange qu'il prenait à la provision de fruits qu’il apportait à ses enfants. Tout ceci, c'était avant que Charlot eût sa fièvre! Maintenant, Charlot était souvent seul, et, ayant appris ce que c'était que de prier, il priait souvent.


Tandis qu'il était là, couché, jour après jour, se doutant bien qu’il n’irait jamais mieux, il lui vint un ardent désir de prier Dieu pour un sujet spécial. Il le pria de guérir le cocher d’omnibus de sa maudite passion.

Il commença donc à prier dans ce but, mais parfois il lui semblait qu'il serait mort avant d’être exaucé, car sa voix devenait de plus en plus faible, et le pauvre homme n'était pas guéri de son triste défaut.

Pendant tout ce temps, le cocher était très bon pour lui. Une preuve touchante de cette bonté, c’est que lorsqu'il se sentait un tant soit peu pris par la boisson, il n’entrait jamais dans la chambre du petit malade; autrement, il y entrait toujours. Charlot s'aperçut bientôt de cette marque de bonté, et sa joie en était augmentée quand le bruit bien connu des pas de son ami, qui cependant marchait en faisant aussi peu de bruit que le lui permettaient ses gros souliers ferrés, s’avançait vers la porte de sa mère et que la bonne figure, puis le corps entier du brave homme se montraient dans l’entrebâillement. Et cela l'égayait toujours quand il entendait ces mots, quoiqu'ils fussent toujours les mêmes:

«Comment vas-tu ce soir, Charlot? — Et comment la journée s'est-elle passée? J'espère bien que tu vas avoir une bonne nuit!»


Un soir que la porte de Charlot était ouverte pour donner un peu d'air, le brave homme, parfaitement à jeun, montait paisiblement les marches de l'escalier, quand il entendit une voix qui semblait prier. C'était le petit mourant qui priait pour son cher ami. La voix était faible et le cocher pouvait à peine entendre ce qu'elle disait, mais il saisit ces paroles, doucement syllabées, comme dans un murmure:

«Bon Père, donne-moi — ce que je désire! Chasse — du coeur — de mon bon ami — son vilain défaut, — pour l’amour — de ses enfants, — par amour — pour lui — au nom — de Jésus Christ, — et — donne-lui un nouveau cœur. — Oh! rends-le sobre!»

Le pauvre homme éclata en sanglots avant de pouvoir entrer.

«Eh quoi, pensait-il, cet enfant qui se meurt prie pour moi?»

II entra tout tremblant, et, se jetant à genoux au pied du lit:

«C’est pour moi que tu pries, Charlot, pour un être vil, un misérable ivrogne comme moi?»

Et il se remit à pleurer.

Charlot prit dans sa petite main blanche et diaphane la grosse main du conducteur et lui dit doucement, mais avec une sagesse au-dessus de son âge:

«Vous n'êtes pas — un être vil, — mais un homme;— et Dieu vous aime. Je ne pourrai plus jamais — prier — pour vous. — Je vais vous quitter, — ma mère et vous. — Je vais vers Dieu. — Mais — promettez-moi — ceci seulement, — ceci, — que vous — viendrez me — retrouver — au — ciel!»

Ce furent les dernières paroles de Charlot.

Il tourna ses regards pleins d'amour vers sa mère, puis paisiblement s'endormit. Cette nuit-là, Charlot mourut, mais ses paroles ne devaient pas mourir. Elles étaient allées droit au cœur du pauvre cocher, et elles furent pour lui comme la voix de Dieu.

Il les entendait retentir à ses oreilles, nuit et jour, chez lui, dans la rue tandis qu'il conduisait ses chevaux. Il lui semblait parfois que le ciel s'ouvrait et qu'un ange lui disait: «Vous n'êtes pas — un être vil, — mais un homme; — et Dieu vous aime».

Et il alla à Christ avec sa misérable vie, et Christ l'aida à dompter son cœur; il devint maître de sa passion, et des jours meilleurs commencèrent pour lui et ses pauvres enfants.

Traduit de l'anglais,

Carus.

La pioche et la truelle N° 57 (1897)


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