Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA PIOCHE ET LA TRUELLE

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VOIX DES TOMBES


Dans le cimetière ensoleillé et silencieux, qu’il fait bon marcher à pas lents à travers l’ombre grêle des cyprès et le rayonnement des fleurs! Les croix de marbre s'élancent toutes blanches dans la splendeur des cieux, tel l'élan d’une prière; pensives les pierres tumulaires s’alignent le long des allées et des murs, les unes surchargées de couronnes, de perles, les autres visiblement abandonnées, rongées de mousse et enlacées de lierre aux fines découpures.

Mais le charme le plus pénétrant du grand jardin baigné de lumière, c’est le calme, la paix profonde qui y règne. Quelquefois seulement un bruit très doux: un bouquet de roses qui s’effeuille sur une dalle, ou bien un pas dans un sentier, celui d'une vieille femme toute cassée qui se glisse familièrement parmi les tombeaux; vieillesse solitaire dont le reste de vie, on le sent à la façon dont elle se penche sur une tombe, ne se concentre plus que dans cette visite aux morts aimés, sa dernière sortie et sa dernière joie.

Êtes-vous lassé du bruit de la foule, surmené par des travaux absorbants?

Venez vous recueillir une heure avec ceux qui ne sont plus, vous vous sentirez bientôt rafraîchi, apaisé par le calme plein de douceur qui se dégage du grand jardin des disparus. 


Les morts se taisent mais les tombes parlent.

Elles vous diront bientôt l'inanité de tous vos efforts sans Dieu. Leur langage est parfois sévère:

TU NE SERAS BIENTÔT PLUS QU'UN NOM SUR UNE PIERRE, disent-elles à l’ambitieux qu’un vain désir de gloire étourdit et entraîne.

Pour le souffrant, le désolé, elles se font plus douces: C'EST ICI LE LIEU DU REPOS; TU DORMIRAS AUSSI À L'OMBRE DE NOS SAULES.

Pour le croyant enfin elles ont une éloquence pleine d'élévation et de force:

Les corps dans la poussière, mais L’ÂME EN HAUT; l’âme purifiée, dégagée de tout lien. HEUREUX, HEUREUX CEUX QUI MEURENT AU SEIGNEUR!

Plus fermes et immuables que le granit sur lequel elles ont été gravées, que j’aime à les retrouver sur les pierres tombales, les déclarations de l’Écriture, les promesses bénies de vie céleste et d’immortalité! De quel éclat elles brillent ici les paroles de Jésus telles que celles-ci: «Je suis la résurrection et la vie, celui qui croit en moi vivra quand même il serait mort.»

À côté des tristes «regrets éternels» et des «priez pour nous» qui les entourent, comme ils ressortent lumineux et vrais les beaux passages de notre vieille Bible! Parfois sur un modeste monument ce sont ces mots qui vous arrêtent ému: «Ici, repose décédé dans la paix du Seigneur...»

De ce coin de terre où dort un racheté du Seigneur c’est comme une voix amie qui s’élève vous saluant au passage. Et l’on s’attarde involontairement devant cette pierre qui se soulèvera un jour, et le nom qu’on y lit ne semble plus celui d’un inconnu mais d’un ami, d’un frère, enfant du même Père, concitoyen du ciel.

Entre deux tombes voisines quel contraste souvent!

Sur l’une, une pensée philosophique désolante et froide, sur l’autre un simple fragment de l’Évangile réchauffant, consolant, disant l’espérance de la gloire. Ce contraste est parfois plus saisissant encore. C’est ainsi que parcourant notre tranquille petit cimetière de Montrouge, nous fûmes attristés un jour par la lecture d’une étrange épitaphe. Elle commençait ainsi:

Ci-gît un gai libre penseur

À qui Dieu fut toujours un problème.

Je vous fais grâce du reste de ces mauvais vers. C'était tout au long une insulte à la religion grossièrement dénaturée. Le poète terminait en disant qu’il retournait sans crainte...

À l’ombre et au néant d'où il était sorti

Sachant bien que personne jamais n’v fut rôti.

Cela était ainsi: cyniquement bas. Et comme nous achevions la lecture de ce triste credo, je levai les yeux et je vis se détachant en lettres d’or sur un tombeau en face le témoignage du chrétien:


CHRIST EST MA VIE ET LA MORT M’EST UN GAIN.


Qu'elles étaient réconfortantes dans leur sereine beauté les paroles de l’apôtre après l'ironique défi de l’athée!

De quel côté était la force, de quel côté était la joie?

Était-ce dans la gaieté de mauvais aloi du négateur?

Il avait bien pu plaisanter de la mort lorsqu’elle lui semblait encore loin, après boire peut-être, dans l’excitation mauvaise d’une orgie; mais lorsque le moment redoutable était venu, ç’avait été les affres de l’angoisse, comme pour tous ceux dont l’âme n’a pas été blanchie dans le sang de l’Agneau.

Mais la joie chrétienne, calme et profonde, ne se dément pas au moment de la mort. Elle ne fait que s'y affirmer. La fin du croyant c’est l’abandon de l’enfant fatigué entre les bras de son Père; la fin du croyant, elle est tout entière dans ces trois mots qui caractérisent la mort du premier martyr:


«IL S’ENDORMIT»


Jeanne Vincent.

La pioche et la truelle N° 58 (1897)


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